Dans son rapport annuel sur le Liban, le Fonds monétaire international appelle la Banque centrale à revenir, si nécessaire, à des politiques monétaires plus conventionnelles.

Dans son dernier rapport sur le Liban, publié le 24 janvier, le Fonds monétaire international (FMI) dresse un bilan mitigé de l’ingénierie financière mise en place l’été dernier par la Banque du Liban (BDL). « Cette opération a renforcé les réserves en devises de la Banque centrale et le capital des banques, mais elle a aussi induit une injection de liquidités en livres et une érosion des réserves en devises des banques qu’il faut maintenant gérer », résume l’institution.
« Historiquement, l’économie libanaise a réussi à maintenir de grands déséquilibres et à surmonter des chocs significatifs grâce à une structure macro-financière dans laquelle les banques attirent les capitaux des investisseurs étrangers et de la diaspora libanaise pour financer le déficit budgétaire, et celui des comptes courants. Mais à partir de mi-2015, les flux ont commencé à décélérer », rappelle le Fonds.
Face à des besoins de financement en dollars toujours croissants, les réserves brutes en devises de la BDL ont fondu de 10,1 % sur un an, à 35,1 milliards de dollars fin mai. La BDL a donc mené une opération non conventionnelle, en plusieurs étapes, dont l’objectif était, “entre autres”, de reconstituer ces réserves.

Opération en trois étapes

Elle a commencé par échanger des titres de dette en livres par de nouveaux eurobonds émis par le ministère des Finances, pour un montant de 2 milliards de dollars. Cette opération a aidé à réduire le coût du service de la dette publique et rallongé sa maturité, reconnaît le Fonds. À partir de juin, la BDL s’est mise à vendre ces eurobonds ainsi que d’autres titres en devises aux banques, pour un montant total estimé à 13 milliards de dollars. Par conséquent, les réserves en devises brutes de la BDL sont remontées à 40,6 milliards de dollars fin octobre, tandis que la balance des paiements affichait un excédent cumulé de 555 millions de dollars.
Le volet le plus controversé de l’opération concerne les incitations données aux banques pour participer à l’opération. Pour chaque achat de titres en devises, la BDL leur a escompté un montant équivalent de bons du Trésor en livres à 0 %, en partageant avec elles les bénéfices, à parts égales. Concrètement, pour un titre d’une valeur faciale de 100 livres avec un coupon de 8 % et une maturité restante de 10 ans, la BDL a versé aux banques 140 livres : 100 livres pour le principal et la moitié des 80 livres de gains qu’elles auraient réalisés si elles avaient conservé les titres jusqu’à maturité. « Cet escompte à 0 % équivaut à une injection de capital dans les banques de l’ordre de 10 % du PIB, sans prise de participation. » En d’autres termes, la Banque centrale a renfloué les banques sans rien leur demander en retour.
Pour collecter des devises, les banques ont vendu des eurobonds à des investisseurs et transféré une partie des gains réalisés aux grands déposants, à qui elles ont offert des taux d’intérêt attractifs sur les comptes en dollars. La croissance annualisée des dépôts a ainsi augmenté de 3,5 % fin mai à 4,7 % début novembre.

Excès de liquidités

Mais les banques se retrouvent désormais avec un excès de liquidités en livres. Mi-octobre, ces liquidités représentaient environ le tiers du PIB, selon le FMI. Une partie de ces liquidités doit être absorbée par de nouvelles émissions de bons du Trésor, ou des instruments à long terme offerts par la BDL. Cette dernière encourage également les banques à prêter en livres, mais « cela risque dans le contexte économique actuel de détériorer la qualité des actifs bancaires », souligne le FMI.
Parallèlement, les devises se font plus rares. Pour fournir des billets verts à la BDL, les banques libanaises ont fait des retraits auprès de leurs banques correspondantes. Avant l’opération, les liquidités en devises des banques placées à l’étranger avaient déjà baissé d’un pic de 18 milliards de dollars en juin 2011 à 10,4 milliards en mai 2016. Fin août, ce chiffre était inférieur à 8,5 milliards de dollars, accentuant la dépendance des banques locales vis-à-vis de la BDL, souligne le FMI.

Risque de dollarisation

L’augmentation des taux d’intérêt sur les comptes en dollars a également réduit le différentiel de taux entre la livre et le dollar, ce qui « réduit l’attractivité des dépôts en livres et augmente les risques de dollarisation », ajoute-t-il. Au lieu de proposer des taux d’intérêt plus élevés, certaines banques ont offert à leurs riches clients des bonus immédiats en échange de l’ouverture d’un compte en dollars. Donc pour le FMI, il n’est pas certain que ces capitaux resteront à terme dans le système.
Enfin, l’institution prévient que l’opération a eu un impact sur le bilan de la Banque du Liban, dont le passif en devises et les coûts associés ont augmenté, mais sans le chiffrer.
L’évaluation du FMI communiquée aux autorités libanaises a été jugée « plutôt négative » par ces dernières, selon lesquelles l’opération a permis de « préserver la stabilité financière » dans un contexte difficile, et il « faut laisser le temps au marché d’absorber ses implications », lit-on dans le rapport. Plus sceptique, le FMI appelle la Banque centrale à la vigilance, et à communiquer sur la taille et l’ampleur de l’opération, pour réduire les incertitudes sur le marché. Il lui conseille aussi de ne plus recourir à ce type d’opérations, quelle que soit l’évolution du contexte local ou régional dans les mois à venir.

Baisse des flux de capitaux ?

Dans le meilleur des cas, « un gouvernement capable de mener les réformes tant attendues » pourrait doper la confiance dans l’économie libanaise et soutenir les entrées de capitaux. De même, « une résolution du conflit syrien permettrait au Liban de profiter de l’effort de reconstruction, de la reprise du commerce et de l’amélioration de la confiance des investisseurs dans la région », souligne le FMI.
Mais une inertie politique ou une détérioration du conflit syrien pourrait au contraire accentuer les pressions financières. « La volonté et la capacité des déposants à financer le Liban ne peuvent être prises pour acquis, surtout dans la perspective d’un resserrement des conditions financières régionales et mondiales, et de tensions géopolitiques accrues », prévient l’institution. Selon les estimations du FMI, les dépôts doivent augmenter en moyenne entre 6 et 7 % par an pour financer le pays. Fin novembre, la croissance était de 6,4 %. Le risque d’une décélération des entrées de capitaux est toutefois jugé « élevé » par le FMI, avec une probabilité de 30 à 50 %.
Si ce risque se matérialise, la Banque centrale doit continuer à soutenir la parité de la livre vis-à-vis du dollar, mais à travers un outil de politique monétaire plus conventionnel : la hausse des taux d’intérêt. Cette politique, longtemps pratiquée, est désormais jugée « coûteuse pour l’économie » par les autorités libanaises. Le FMI reconnaît en effet qu’une hausse des taux aurait un impact sur le service de la dette pour les secteurs public et privé, et sur les coûts de financement des banques. « Mais ces coûts devraient être comparés aux implications de la récente opération de la BDL, ajoute-t-il. D’autant qu’avec le niveau de réserves actuel, qui reste adéquat, les autorités ont une certaine marge de manœuvre pour choisir le rythme et le calendrier d’une éventuelle hausse des taux. »



Moins de 1 % des clients détiennent la moitié des dépôts
Selon le FMI, la vulnérabilité du système financier libanais est accentuée par la concentration des dépôts et l’importance de la part des clients non résidents. Fin 2015, près de 16 000 comptes, soit moins de 1 % du total, représentaient 50 % de la valeur totale des dépôts et 1 600 comptes (soit moins de 0,01 %) détenaient 20 % du total. Si ces quelques centaines de personnes décidaient de retirer leur argent du Liban, les conséquences seraient énormes pour le pays. Par tranches, 84,6 % des comptes ont un solde supérieur à 100 000 dollars, 50,2 % ont un solde supérieur à un million de dollars et 3,7 % des comptes ont une balance supérieure à 100 millions de dollars. Toujours selon le FMI, les “petits dépôts” (d’un montant inférieur à un million de dollars) ont crû de 55 % entre 2008 et 2015, tandis que les “grands dépôts” (plus d’un million) ont augmenté de 185 %. Le ralentissement de la croissance des dépôts observé en 2015 est attribué en grande partie aux grands déposants. Les dépôts de plus d’un million de dollars ont augmenté de seulement 5,8 % l’année dernière, contre une croissance annuelle de 12 à 14 % les années précédentes. Pour le FMI, ces chiffres laissent penser que « la part des non-résidents dans le total des dépôts est plus importante que ce qui est communément admis ».

Le ratio de la dette sur le PIB en hausse de 6 points
L’inertie politique a coûté cher à l’économie libanaise en 2016. Selon le FMI, la croissance n’a pas dépassé 1 % l’année dernière, un taux identique à 2015.  Le ratio de la dette sur le PIB en revanche s’est nettement dégradé. Il est évalué à 144 %  en 2016 contre 138 % un an plus tôt. De même, le déficit public est passé de 7,3 % du PIB en 2015 à 7,9 % l’année dernière.