Quand Aheda Zanetti, femme au foyer d’origine libanaise, crée le burkini (un maillot couvrant l’intégralité du corps) en 2004 pour les femmes musulmanes de son quartier, elle était loin d’en imaginer le succès. Avec 800 000 pièces vendues en 12 ans, elle emploie aujourd’hui 15 personnes à temps plein et est sollicitée chaque jour pour ouvrir des franchises dans le monde.
« Je voulais créer une tenue qui libère la femme musulmane et lui ouvre l’accès aux activités sportives », telle est la motivation d’Aheda Zanetti lorsqu’elle conçoit, à Sydney, un maillot qui cache l’intégralité du corps. L’idée lui vient durant les Jeux olympiques d’Athènes en 2004. « J’ai été choquée par la tenue de la sprinteuse bahreïnie Rogaya el-Ghasara. Elle ressemblait à une momie dans sa tenue suffocante. »
« La souffrance de la sprinteuse » pousse cette couturière amateur d’origine libanaise à dessiner des modèles de maillots. Mais, c’est après de longues recherches qu’elle repère le meilleur tissu pour confectionner des maillots résistants à l’eau et aux UV (indice 50). « Il faut une matière en mesure de cacher le corps et de lui permettre des mouvements souples. » Aheda Zanetti, qui a alors 37 ans, n’a pas les moyens de ses ambitions, mais grâce à la contribution de son gendre, elle réussit à emprunter 6 000 dollars à la banque pour s’offrir son premier rouleau de tissu ; l’aventure peut alors commencer. « J’avais peur de ne pas pouvoir rembourser la banque. »
Aheda Zanetti s’attaque ensuite à la recherche d’un nom pour ce nouveau produit à cheval entre un maillot et une abaya. Elle soumet un questionnaire aux musulmanes de son entourage pour cerner leurs attentes. Le “burkini” s’impose comme une évidence : le mot est dérivé de burqa (long manteau couvrant le corps) et de bikini (maillot deux pièces).
« Il y a 15 ans, la définition de la burqa n’était pas péjorative, mais avec la guerre contre les talibans, la burqa est devenue symbole très politique. » Elle dépose la marque pour les deux orthographes : burkini et burqini.
« Je me suis alors installée dans le salon et j’ai commencé à faire du sur-mesure pour les femmes du quartier. Je vis à Bankstown, dans la banlieue de Sydney, dans un environnement multi-ethnique avec une forte présence musulmane libanaise. » Les commandes affluent et la jeune mère est bientôt dépassée par son succès.
Elle loue un studio près de son appartement et développe sa petite entreprise. Elle négocie un contrat avec un gros importateur pour le tarif des tissus de haute qualité. Son prix de revient de 4 dollars par burkini est très faible. Elle embauche des couturières et déménage dans un plus grand atelier pour satisfaire des commandes reçues en ligne.
L’entrepreneuse conclut en 2007 un accord avec la Fédération olympique musulmane iranienne (ANOC) pour habiller les sportives avec une tenue réglementaire approuvée par le CIO. Elle se déplace en Malaisie en 2007 pour rencontrer en personne son inspiratrice. Son plus grand bonheur est de signer la tenue de la sprinteuse bahreïnie el-Ghasara pour les Jeux olympiques de Pékin de 2008.
Comme un pied de nez aux émeutes raciales de Cronulla Beach de 2005, dans lesquelles des affrontements violents ont opposé des jours durant les Libanais aux Australiens, l’association Surf Life Saving Australia (SLSA) décide d’intégrer les musulmanes à l’équipe des sauveteurs. Aheda Zanetti adapte sa tenue aux couleurs du SLSA, le jaune et le rouge et, en 2006, pour la première fois des sauveteurs femmes patrouillent sur les plages d’Australie.
« Mon burkini ne s’adresse pas exclusivement aux 300 000 femmes musulmanes australiennes, 40 % de mes clientes ne sont pas musulmanes. Mes deux marchés principaux sont les États-Unis et le Canada, mais depuis deux ans, l’Allemagne et la France ont augmenté leurs commandes de 40 % », explique la patronne qui refuse toutefois de communiquer son chiffre d’affaires.
Tout au plus, dit-elle, que les ventes de sa boutique de Bankstown en haute saison (d’octobre à mai) oscillent entre 7 500 et 11 500 dollars par jour.
Une polémique qui gonfle les ventes
La trajectoire de son développement – une croissante sûre mais mesurée – est soudain affectée par des événements qui se déroulent à 15 000 kilomètres de chez elle. « En mai 2016, les commandes en provenance de la France se sont accélérées. J’ai mené mon enquête et j’ai vite compris qu’une journée burkini était organisée dans un parc aquatique. » Dans l’Hexagone, la polémique commence alors à enfler. En mars déjà, la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, avait désapprouvé le burkini ; le 24 juin, une femme porte plainte contre un parc aquatique qui refuse le port du burkini. Contre toute attente, le burkini commence à faire les gros titres de la presse française et européenne. Tout le mois d’août est émaillé de prises de position de la classe politique pour ou contre le port du burkini considéré comme signe religieux ostentatoire. La municipalité de Cannes publie un arrêté pour l’interdire à la plage, ce qui pousse la Ligue des droits de l’homme et le Collectif contre l’islamophobie à se pourvoir en justice. Le ton monte encore avec la circulation d’une image montrant des policiers niçois verbalisant une femme voilée, qui choque bien au-delà de la France. Le 26 août, une décision du Conseil d’État contre un arrêté municipal d’interdiction du burkini amène un épilogue provisoire à la polémique, mais les divisions sur le sujet sont très profondes.
Smile 13 qui se présente comme une association socioculturelle, sportive et d’entraide pour femmes et enfants privatise le Speed Water Park, situé au nord de Marseille, le samedi 10 septembre. « Des associations de femmes, dont je n’ai pas retenu les noms, m’ont contactée pour me demander de m’exprimer à propos du burkini. Dans la foulée, la Commission européenne m’a invitée à Bruxelles afin de parler de mon produit. Toute cette affaire m’a sidérée, mais j’ai décliné l’invitation. J’ai vite compris que le burkini est devenu un objet politique et je refuse d’entrer dans ce jeu. Je n’ai pas à justifier une création qui libère la femme modeste en lui offrant une tenue en phase avec ses convictions religieuses. Paradoxalement, cette controverse qui a atteint les plus hautes sphères de l’État a boosté mes ventes en France mais aussi en Allemagne. Je ne pouvais espérer meilleure publicité. »
Aheda, cette mère tripolitaine née en Australie et qui se targue de cuisiner chaque jour des plats traditionnels pour ses quatre enfants, a de nombreux projets en tête pour son burkini. Le marché mondial des produits destinés à la communauté musulmane (produits halal, tourisme halal, etc.) qui pèse 107 milliards de dollars en 2015, selon Thomson Reuters. Mais elle n’était certainement pas prête à réagir aux opportunités que lui offre cette publicité mondiale. L’entrepreneuse croule sous les invitations pour participer aux salons et foires musulmans. Son modeste “maillot”, comme elle le dit, vendu à 115 dollars environ, est devenu, malgré elle, le porte-étendard de toute une génération de musulmanes installées dans des pays occidentaux.
« Je sais que mon produit est porteur, mes ventes en ligne s’envolent et je compte bientôt développer toute une nouvelle gamme de produits. » Mais, pour l’instant, la polémique a quelque peu refroidi ses ardeurs. La styliste ne veut pas devenir la porte-parole de la femme musulmane. Elle dit attendre que la controverse se dissipe avant de réactiver ses contacts de franchise.
« La souffrance de la sprinteuse » pousse cette couturière amateur d’origine libanaise à dessiner des modèles de maillots. Mais, c’est après de longues recherches qu’elle repère le meilleur tissu pour confectionner des maillots résistants à l’eau et aux UV (indice 50). « Il faut une matière en mesure de cacher le corps et de lui permettre des mouvements souples. » Aheda Zanetti, qui a alors 37 ans, n’a pas les moyens de ses ambitions, mais grâce à la contribution de son gendre, elle réussit à emprunter 6 000 dollars à la banque pour s’offrir son premier rouleau de tissu ; l’aventure peut alors commencer. « J’avais peur de ne pas pouvoir rembourser la banque. »
Aheda Zanetti s’attaque ensuite à la recherche d’un nom pour ce nouveau produit à cheval entre un maillot et une abaya. Elle soumet un questionnaire aux musulmanes de son entourage pour cerner leurs attentes. Le “burkini” s’impose comme une évidence : le mot est dérivé de burqa (long manteau couvrant le corps) et de bikini (maillot deux pièces).
« Il y a 15 ans, la définition de la burqa n’était pas péjorative, mais avec la guerre contre les talibans, la burqa est devenue symbole très politique. » Elle dépose la marque pour les deux orthographes : burkini et burqini.
« Je me suis alors installée dans le salon et j’ai commencé à faire du sur-mesure pour les femmes du quartier. Je vis à Bankstown, dans la banlieue de Sydney, dans un environnement multi-ethnique avec une forte présence musulmane libanaise. » Les commandes affluent et la jeune mère est bientôt dépassée par son succès.
Elle loue un studio près de son appartement et développe sa petite entreprise. Elle négocie un contrat avec un gros importateur pour le tarif des tissus de haute qualité. Son prix de revient de 4 dollars par burkini est très faible. Elle embauche des couturières et déménage dans un plus grand atelier pour satisfaire des commandes reçues en ligne.
L’entrepreneuse conclut en 2007 un accord avec la Fédération olympique musulmane iranienne (ANOC) pour habiller les sportives avec une tenue réglementaire approuvée par le CIO. Elle se déplace en Malaisie en 2007 pour rencontrer en personne son inspiratrice. Son plus grand bonheur est de signer la tenue de la sprinteuse bahreïnie el-Ghasara pour les Jeux olympiques de Pékin de 2008.
Comme un pied de nez aux émeutes raciales de Cronulla Beach de 2005, dans lesquelles des affrontements violents ont opposé des jours durant les Libanais aux Australiens, l’association Surf Life Saving Australia (SLSA) décide d’intégrer les musulmanes à l’équipe des sauveteurs. Aheda Zanetti adapte sa tenue aux couleurs du SLSA, le jaune et le rouge et, en 2006, pour la première fois des sauveteurs femmes patrouillent sur les plages d’Australie.
« Mon burkini ne s’adresse pas exclusivement aux 300 000 femmes musulmanes australiennes, 40 % de mes clientes ne sont pas musulmanes. Mes deux marchés principaux sont les États-Unis et le Canada, mais depuis deux ans, l’Allemagne et la France ont augmenté leurs commandes de 40 % », explique la patronne qui refuse toutefois de communiquer son chiffre d’affaires.
Tout au plus, dit-elle, que les ventes de sa boutique de Bankstown en haute saison (d’octobre à mai) oscillent entre 7 500 et 11 500 dollars par jour.
Une polémique qui gonfle les ventes
La trajectoire de son développement – une croissante sûre mais mesurée – est soudain affectée par des événements qui se déroulent à 15 000 kilomètres de chez elle. « En mai 2016, les commandes en provenance de la France se sont accélérées. J’ai mené mon enquête et j’ai vite compris qu’une journée burkini était organisée dans un parc aquatique. » Dans l’Hexagone, la polémique commence alors à enfler. En mars déjà, la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, avait désapprouvé le burkini ; le 24 juin, une femme porte plainte contre un parc aquatique qui refuse le port du burkini. Contre toute attente, le burkini commence à faire les gros titres de la presse française et européenne. Tout le mois d’août est émaillé de prises de position de la classe politique pour ou contre le port du burkini considéré comme signe religieux ostentatoire. La municipalité de Cannes publie un arrêté pour l’interdire à la plage, ce qui pousse la Ligue des droits de l’homme et le Collectif contre l’islamophobie à se pourvoir en justice. Le ton monte encore avec la circulation d’une image montrant des policiers niçois verbalisant une femme voilée, qui choque bien au-delà de la France. Le 26 août, une décision du Conseil d’État contre un arrêté municipal d’interdiction du burkini amène un épilogue provisoire à la polémique, mais les divisions sur le sujet sont très profondes.
Smile 13 qui se présente comme une association socioculturelle, sportive et d’entraide pour femmes et enfants privatise le Speed Water Park, situé au nord de Marseille, le samedi 10 septembre. « Des associations de femmes, dont je n’ai pas retenu les noms, m’ont contactée pour me demander de m’exprimer à propos du burkini. Dans la foulée, la Commission européenne m’a invitée à Bruxelles afin de parler de mon produit. Toute cette affaire m’a sidérée, mais j’ai décliné l’invitation. J’ai vite compris que le burkini est devenu un objet politique et je refuse d’entrer dans ce jeu. Je n’ai pas à justifier une création qui libère la femme modeste en lui offrant une tenue en phase avec ses convictions religieuses. Paradoxalement, cette controverse qui a atteint les plus hautes sphères de l’État a boosté mes ventes en France mais aussi en Allemagne. Je ne pouvais espérer meilleure publicité. »
Aheda, cette mère tripolitaine née en Australie et qui se targue de cuisiner chaque jour des plats traditionnels pour ses quatre enfants, a de nombreux projets en tête pour son burkini. Le marché mondial des produits destinés à la communauté musulmane (produits halal, tourisme halal, etc.) qui pèse 107 milliards de dollars en 2015, selon Thomson Reuters. Mais elle n’était certainement pas prête à réagir aux opportunités que lui offre cette publicité mondiale. L’entrepreneuse croule sous les invitations pour participer aux salons et foires musulmans. Son modeste “maillot”, comme elle le dit, vendu à 115 dollars environ, est devenu, malgré elle, le porte-étendard de toute une génération de musulmanes installées dans des pays occidentaux.
« Je sais que mon produit est porteur, mes ventes en ligne s’envolent et je compte bientôt développer toute une nouvelle gamme de produits. » Mais, pour l’instant, la polémique a quelque peu refroidi ses ardeurs. La styliste ne veut pas devenir la porte-parole de la femme musulmane. Elle dit attendre que la controverse se dissipe avant de réactiver ses contacts de franchise.
En quelques dates 1967 : naissance à Sydney de parents libanais. 2004 : création du burkini. 2006 : Surf Live Saving Australia adopte le burkini. 2009 : première polémique en France au sujet du burkini à Emerainville (Seine-et-Marne). 2016 : 800 000 burkinis vendus jusqu’à cette date dans le monde. Et la polémique antiburkini enfle avec des dizaines de villes qui se prononcent contre le port du burkini dans l’espace public. La presse internationale s’empare de la controverse et très vite Aheda Zanetti fait la une des journaux. 26 août 2016 : le Conseil d’État (France) met un terme aux “arrêtés antiburkini”.. |