Soutenus par la Banque centrale, les 14 plus grands établissements financiers du pays affichent des bénéfices et un bilan en forte hausse en 2016, malgré un contexte économique difficile au Liban et dans la région.
Les 14 plus grandes banques libanaises – dont les dépôts excèdent 2 milliards de dollars – ont réalisé 2,27 milliards de dollars de bénéfices en 2016, soit 300 millions de dollars de plus que l’année précédente. Les profits des banques alpha ont ainsi augmenté de 11,5 % en rythme annuel, contre une croissance de 8,6 % en 2015, tandis que leurs actifs ont augmenté de 6,5 %, à 216,9 milliards de dollars, contre 4,8 % un an plus tôt. Les chiffres, compilés par Bankdata Financial Services, révèlent une accélération claire sur le marché domestique. En effet, en termes nominaux, les actifs des banques alpha à l’étranger ont baissé de 10,6 % en 2016 en raison notamment de la dévaluation en Égypte et en Turquie, dont les monnaies ont perdu respectivement 58 % et 18 % de leur valeur vis-à-vis du dollar.
En revanche, sur le marché local, la croissance des actifs a été multipliée par deux, passant de 5,06 % en 2015 à 10,83 %. Étant donné le contexte politique et économique du pays en 2016, les performances des banques alpha ne peuvent que refléter l’ampleur de l’ingénierie financière mise en place l’année dernière par la Banque du Liban (BDL). Cette opération a permis aux banques de générer cinq milliards de dollars de revenus exceptionnels, mais ces gains n’ont pas été entièrement comptabilisés comme des bénéfices.
Amélioration du bilan
Dans une circulaire émise en décembre 2016, la BDL a en effet autorisé les banques à faire ce qu’on appelle dans le jargon du “window dressing”, un terme qui désigne des opérations comptables faites en fin d’année pour “embellir” les bilans. Les banques ont ainsi été priées d’utiliser une partie des revenus additionnels pour s’aligner aux critères de la BDL en termes de capitalisation et de provisions. Les banques devaient également constituer les réserves nécessaires en vue de l’application de la norme internationale IFSR 9 prévue en 2018. La circulaire mentionne aussi la nécessité de constituer des provisions pour couvrir les dévaluations dans les activités à l’étranger, et les écarts de goodwill (l’excédent du coût d’acquisition lors d’une prise de participations ou d’une fusion). Une fois ces affectations accomplies, 70 % des sommes restantes devaient être comptabilisées comme des bénéfices non distribuables, et inclus dans les fonds propres de base (tier 1) et 30 % en tant que “passifs reportés” (deffered liabilities) inclus dans les fonds propres complémentaires (tier 2).
Au total, selon le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, environ 2,4 milliards de dollars ont été consacrés au renforcement du capital et aux provisionnements. Les banques alpha ont ainsi amélioré leurs ratios de solvabilité sans devoir recourir à des émissions d’actions ou d’actions préférentielles, qui impliquent des coûts pour elles. Les provisions collectives ont atteint un niveau record, en termes absolus et relatifs, couvrant 1,23 % du portefeuille net de crédits.
Quant à l’enveloppe restante, elle a été en partie partagée avec de riches clients, qui ont bénéficié de “produits structurés”, grassement rémunérés en échange de l’ouverture d’un compte en dollars. La forte concurrence que se sont livrée les banques alpha pour séduire les déposants explique la forte croissance de leurs dépôts en dollars : 9,2 % sur un an contre 4,5 % pour les dépôts en livres libanaises. Au total, les dépôts des 14 plus grandes banques du pays ont augmenté de 7,5 % sur un an. L’ingénierie de la BDL « a permis une accélération des dépôts, qui sont les principales sources de financement des banques, ce qui a gonflé leur bilan et leur profitabilité dans un climat macroéconomique et géopolitique difficile », souligne le directeur de recherches à FFA Private Bank, Nadim Tabbara.
Accélération des crédits en livres
Du côté des crédits, en revanche, les difficultés économiques se sont traduites par une croissance modeste des prêts octroyés au secteur privé, de 2,2 % sur un an, notamment des prêts en dollars qui ont à peine augmenté (+1,4 % sur un an). Les banques ont en revanche ouvert les robinets des crédits en livres libanaises (+13,5 %), encouragées à la fois par les plans de relance de la BDL et son ingénierie financière, qui a créé un excès de liquidités en monnaie locale. Si l’inflation reste maîtrisée, « la canalisation d’une partie des liquidités en livres vers le secteur privé permettrait de stimuler l’économie dans un contexte d’amélioration de la confiance », résume Nadim Kabbara.
Mais si les conditions économiques ne s’améliorent pas, ou se dégradent, l’emballement des crédits pourrait au contraire se traduire par une détérioration de la qualité des actifs des banques, souligne le Fonds monétaire international dans son dernier rapport sur le Liban. À cet égard, Bankdata Financial Services se veut rassurant, soulignant une baisse du ratio des créances douteuses brutes sur les créances brutes de 5,51 % à 5,38 %. Les experts soulignent toutefois qu’il est encore trop tôt pour en juger et que ce ratio devrait être surveillé dans les deux ans à venir. Pour FFA Private Bank, le risque ne découle pas seulement des crédits en livres. Dans une note de recherche publiée fin janvier, la banque souligne que les taux sur les crédits en dollars, qui représentent 70 % du total, n’ont pas encore été relevés pour le moment, malgré une baisse des liquidités en dollars et un excès en livres. Mais l’augmentation du coût des dépôts en devises pourrait les contraindre à augmenter leurs taux sur les crédits en dollars, dont la plupart sont variables, ce qui aurait un impact sur la capacité de remboursement d’une partie de la clientèle.
Globalement, pour FFA Private Bank, l’ingénierie a donné un coup de pouce au secteur, sans changer fondamentalement la donne. « Bien que le swap ait eu un effet favorable sur le système bancaire l’année dernière, nous le considérons comme un effet ponctuel, qui n’aura probablement pas d’impact sur les perspectives et les valeurs des actions bancaires à moyen terme », conclut Nadim Kabbara.
En revanche, sur le marché local, la croissance des actifs a été multipliée par deux, passant de 5,06 % en 2015 à 10,83 %. Étant donné le contexte politique et économique du pays en 2016, les performances des banques alpha ne peuvent que refléter l’ampleur de l’ingénierie financière mise en place l’année dernière par la Banque du Liban (BDL). Cette opération a permis aux banques de générer cinq milliards de dollars de revenus exceptionnels, mais ces gains n’ont pas été entièrement comptabilisés comme des bénéfices.
Amélioration du bilan
Dans une circulaire émise en décembre 2016, la BDL a en effet autorisé les banques à faire ce qu’on appelle dans le jargon du “window dressing”, un terme qui désigne des opérations comptables faites en fin d’année pour “embellir” les bilans. Les banques ont ainsi été priées d’utiliser une partie des revenus additionnels pour s’aligner aux critères de la BDL en termes de capitalisation et de provisions. Les banques devaient également constituer les réserves nécessaires en vue de l’application de la norme internationale IFSR 9 prévue en 2018. La circulaire mentionne aussi la nécessité de constituer des provisions pour couvrir les dévaluations dans les activités à l’étranger, et les écarts de goodwill (l’excédent du coût d’acquisition lors d’une prise de participations ou d’une fusion). Une fois ces affectations accomplies, 70 % des sommes restantes devaient être comptabilisées comme des bénéfices non distribuables, et inclus dans les fonds propres de base (tier 1) et 30 % en tant que “passifs reportés” (deffered liabilities) inclus dans les fonds propres complémentaires (tier 2).
Au total, selon le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, environ 2,4 milliards de dollars ont été consacrés au renforcement du capital et aux provisionnements. Les banques alpha ont ainsi amélioré leurs ratios de solvabilité sans devoir recourir à des émissions d’actions ou d’actions préférentielles, qui impliquent des coûts pour elles. Les provisions collectives ont atteint un niveau record, en termes absolus et relatifs, couvrant 1,23 % du portefeuille net de crédits.
Quant à l’enveloppe restante, elle a été en partie partagée avec de riches clients, qui ont bénéficié de “produits structurés”, grassement rémunérés en échange de l’ouverture d’un compte en dollars. La forte concurrence que se sont livrée les banques alpha pour séduire les déposants explique la forte croissance de leurs dépôts en dollars : 9,2 % sur un an contre 4,5 % pour les dépôts en livres libanaises. Au total, les dépôts des 14 plus grandes banques du pays ont augmenté de 7,5 % sur un an. L’ingénierie de la BDL « a permis une accélération des dépôts, qui sont les principales sources de financement des banques, ce qui a gonflé leur bilan et leur profitabilité dans un climat macroéconomique et géopolitique difficile », souligne le directeur de recherches à FFA Private Bank, Nadim Tabbara.
Accélération des crédits en livres
Du côté des crédits, en revanche, les difficultés économiques se sont traduites par une croissance modeste des prêts octroyés au secteur privé, de 2,2 % sur un an, notamment des prêts en dollars qui ont à peine augmenté (+1,4 % sur un an). Les banques ont en revanche ouvert les robinets des crédits en livres libanaises (+13,5 %), encouragées à la fois par les plans de relance de la BDL et son ingénierie financière, qui a créé un excès de liquidités en monnaie locale. Si l’inflation reste maîtrisée, « la canalisation d’une partie des liquidités en livres vers le secteur privé permettrait de stimuler l’économie dans un contexte d’amélioration de la confiance », résume Nadim Kabbara.
Mais si les conditions économiques ne s’améliorent pas, ou se dégradent, l’emballement des crédits pourrait au contraire se traduire par une détérioration de la qualité des actifs des banques, souligne le Fonds monétaire international dans son dernier rapport sur le Liban. À cet égard, Bankdata Financial Services se veut rassurant, soulignant une baisse du ratio des créances douteuses brutes sur les créances brutes de 5,51 % à 5,38 %. Les experts soulignent toutefois qu’il est encore trop tôt pour en juger et que ce ratio devrait être surveillé dans les deux ans à venir. Pour FFA Private Bank, le risque ne découle pas seulement des crédits en livres. Dans une note de recherche publiée fin janvier, la banque souligne que les taux sur les crédits en dollars, qui représentent 70 % du total, n’ont pas encore été relevés pour le moment, malgré une baisse des liquidités en dollars et un excès en livres. Mais l’augmentation du coût des dépôts en devises pourrait les contraindre à augmenter leurs taux sur les crédits en dollars, dont la plupart sont variables, ce qui aurait un impact sur la capacité de remboursement d’une partie de la clientèle.
Globalement, pour FFA Private Bank, l’ingénierie a donné un coup de pouce au secteur, sans changer fondamentalement la donne. « Bien que le swap ait eu un effet favorable sur le système bancaire l’année dernière, nous le considérons comme un effet ponctuel, qui n’aura probablement pas d’impact sur les perspectives et les valeurs des actions bancaires à moyen terme », conclut Nadim Kabbara.
Des revenus en principe imposés Début mars, en plein débat sur l’augmentation des salaires dans la fonction publique et les moyens de la financer, l’Association des banques du Liban (ABL) a publié un communiqué affirmant que les revenus de l’ingénierie financière seront imposés et pourraient rapporter jusqu’à 850 millions de dollars de recettes au Trésor, si l’impôt sur les bénéfices passait comme prévu à 17 %. Cette somme s’ajouterait, selon elle, aux 322 millions de dollars d’impôts sur les bénéfices ordinaires réalisés en 2016 (toujours dans le cas d’un taux à 17 %) et le produit de l’impôt de 10 % sur les revenus de capitaux mobiliers (55 millions de dollars). Ces recettes suffiraient, à elles seules, à financer la révision de la grille des salaires (dont le coût est estimé à 796 millions de dollars sur l’exercice 2017) soulignait l’association, en s’étonnant qu’elles n’aient pas été inclues dans l’avant-projet de budget discuté à l’époque en Conseil des ministres. À ce moment, l’exécutif semblait en effet privilégier d’autres mesures fiscales pour financer la grille des salaires, des mesures fermement contestées par les banques. Certaines touchaient directement le secteur, comme la hausse de l’impôt sur les bénéfices de 15 à 17 % et la taxe sur les taux d’intérêt de 5 à 7 %, ou la non-déductibilité des impôts payés sur les titres de l’impôt sur les bénéfices. D’autres les affectaient indirectement, en grevant le pouvoir d’achat de leurs clients, notamment le relèvement de la TVA de 10 à 11 %. Incapable de trancher, le Conseil des ministres a renvoyé la balle dans le camp du Parlement. Mi-mars, les députés ont renoncé à leur tour sous la pression de la rue. Le 27 mars, comme par magie, des recettes fiscales supplémentaires de « 1 300 milliards de livres » apparaissent dans le projet de budget, juste avant son adoption en Conseil des ministres. Les revenus exceptionnels de l’ingénierie rapporteront 1 000 milliards de livres (soit 666 millions de dollars) et les recettes portuaires augmenteront de 300 milliards, se félicite le ministre, Gebran Bassil, en soulignant que d’autres mesures, notamment l’instauration d’un impôt sur la plus-value immobilière, seront laissées à l’appréciation des députés. À l’heure de passer sous presse, aucune clarification n’avait été faite, en attendant une conférence de presse du ministre des Finances, Ali Hassan Khalil. Au lendemain de l’échec du vote au Parlement, ce dernier avait accusé les banques d’avoir « proposé un milliard de dollars » en échange de l’abandon de l’ensemble du projet. Impossible de savoir à l’heure actuelle si le marché a finalement été conclu et selon quels termes. Si les recettes fiscales de l’ingénierie remplacent toutes les autres, tout le monde serait content, ou presque. Les banques échapperaient à une pression fiscale accrue, le pouvoir politique récolterait les fruits électoraux d’une hausse des salaires sans nouvelles taxes et le contribuable gagnerait un an de répit (à moins que les revenus exceptionnels générés par les banques ne deviennent récurrents). Le pays, lui, a en tout cas déjà perdu l’occasion de réformer sa fiscalité. |