La productrice s’est imposée au sein des majors du jeu vidéo. Après six ans au service de gros éditeurs, Yara Khoury a décidé de rejoindre l’industrie indépendante.
À l’évocation de chacun des jeux vidéo qui ont jalonné sa vie, Yara Khoury esquisse un sourire. On y devine d’abord les longues heures passées à jouer en quête de sensations, à la découverte d’un univers parallèle. On y discerne ensuite celles consacrées au travail : attelée à ficeler une histoire, articuler les mouvements des personnages, penser leur environnement. Chaque jeu est un chapitre de plus sur le CV déjà long de cette Franco-Libanaise d’à peine trente ans, arrivée sur les plus hauts plateaux de l’industrie des jeux vidéo. Le premier s’appelait Final Fantasy VII. Une référence pour toute une génération de gamers. À commencer par la jeune Yara Khoury, âgée à l’époque de 14 ans. Le septième volet de la superproduction japonaise − près de 11 millions d’exemplaires vendus dans le monde − sonne comme une vocation. « J’ai toujours perçu les jeux vidéo comme un moyen de m’évader, et c’est la première fois que j’en regardais un avec un œil critique », confie-t-elle via la messagerie Skype à San Francisco où elle vit depuis 2011. L’adolescente d’alors décompose le jeu, décrypte l’univers, la musique, analyse les interactions du héros avec ce qui l’entoure… L’idée de se retrouver de l’autre côté prend racine. Elle germe un an plus tard quand elle tombe sur un magazine qui liste les métiers du secteur : « En lisant la description de chef de projet, je me suis reconnue dans cette profession, c’est celui qui est au cœur de la production, qui travaille avec toutes les disciplines, crée le processus. » Alors que son plan de carrière devrait la pousser à squatter les bancs des préparatoires d’école de commerce, la native de Hazmié installée en France depuis 1988 opte pour le choix du cœur : celui des lettres et s’engage dans une prépa khâgne/hypokhâgne. « Les jeux vidéo, c’est toute une histoire, il y a ce côté narratif, la base d’un titre réussi », justifie-t-elle. Ce n’est que plus tard que la raison l’emportera pour la mener vers l’école de commerce Audencia de Nantes. Quand ses camarades se dirigent vers les cabinets d’audit et autres institutions financières, Yara Khoury reste les yeux rivés sur l’industrie du jeu vidéo. Cette volonté érigée en obsession lui ouvre les portes d’Electronic Arts (EA), l’un des poids lourds du secteur − 1,2 milliard de dollars de bénéfices en 2016 − pour un stage d’un an au marketing. « Quand je suis entrée, c’était comme un rêve de gamine. Il y avait des consoles, des démonstrations partout, on pouvait essayer les jeux, je me suis sentie moi-même », se souvient-elle. Yara Khoury fait ses armes, rempile pour cinq mois chez le concurrent français Ubisoft, puis s’envole à l’université de Cincinnati pour son MBA. Au sein du studio de développement américain Visceral Games, propriété d’EA, sa carrière décolle. Ce qui n’est qu’un stage se transforme en contrat à durée indéterminée. « Décrocher un CDI dans ce milieu dès ses débuts est quasi-mission impossible, j’avais une chance sur mille d’avoir le poste. Le rêve est devenu réalité. » Chez Visceral Games, Yara Khoury atterrit chez une pointure du secteur habitué aux adaptations de films à succès (“James Bond 007 : espion pour cible”, “Le seigneur des anneaux : le tiers âge”, “Le parrain”…) et donc à des titres à gros budgets. Elle s’attaque aux finitions du jeu de science-fiction “Dead Space 2”, la suite d’un premier opus encensé par la critique et vendu à deux millions d’exemplaires. Dans le studio californien, le style de la Franco-Libanaise plaît. Ses supérieurs apprécient ce profil, là non pas pour “imposer”, mais bien pour “coordonner” la réalisation des jeux. « J’ai commencé à gravir les échelons rapidement, à me faire connaître pour la qualité de mon travail. Peut-être que mon côté “étrangère diplômée d’un MBA”, ou le fait que je sois une femme dans un univers masculin m’ont aidée à ressortir du lot. » Le niveau suivant l’amène vers d’autres “Triple A”, un terme qui désigne dans le secteur les superproductions aux coûts de production et aux budgets marketing exorbitants (chiffrés entre 30 et 150 millions de dollars), pour des recettes tout aussi importantes. Celui-ci s’appelle Battlefield Hardline, l’un des volets d’une des plus grosses franchises d’EA, vendu à plus de 5 millions d’exemplaires. Des mois durant, Yara Khoury vit au rythme de Nick Mendoza, un inspecteur de police engagé contre le trafic de drogue à Miami. En tant que productrice, elle chapeaute la fabrication du jeu, des scènes cinématographiques d’ouverture jusqu’au chapitre final. Sur sa route, la Franco-Libanaise croise aussi Amy Hennig, l’une des figures de l’industrie qui l’embarque avec elle à bord du nouveau “Star Wars”, confectionné dans le plus grand secret et dont la sortie est prévue pour 2018. « La plus grosse licence de l’histoire du jeu vidéo », glisse-t-elle tout juste, contrainte à un devoir de réserve.
Productions à taille humaine
Mais la folie des grandeurs ne dure qu’un temps. Après six années au service des majors du secteur, Yara Khoury rêve d’ailleurs de productions à taille humaine. Fin 2016, elle rejoint l’autre versant de l’industrie : les indies games (jeux indépendants), réalisés sans l’appui financier des grands éditeurs du secteur et souvent confectionnés par de petites équipes (la production d’un jeu oscille entre 100 000 et quelques millions de dollars). Yara Khoury devient productrice principale chez Outpost Games, une quinzaine d’employés, et tout de même 19 millions de dollars levés en 2016. « La beauté et la force d’un jeu vidéo résident dans sa dimension interactive. Contrairement aux grosses productions avec des jeux standardisés, l’industrie indépendante permet une multitude de formes créatives », défend-elle. Le credo de son prochain titre s’inscrit dans cette lignée. “SOS” ambitionne de donner au joueur une liberté de choix dans sa progression tout en lui permettant d’échanger avec la communauté de gamers. « L’objectif est d’encourager des comportements intéressants à regarder, donc à susciter de l’audience pour s’inscrire dans la lignée de ces dernières années où les gens diffusent en direct leur partie en ligne. » Un segment en pleine expansion comme l’atteste le rachat par Amazon en 2014 pour 970 millions de dollars de la plate-forme du streaming de jeux vidéo Twitch et ses quelque 100 millions de visiteurs mensuels. « J’ai envie de prendre des risques créatifs, poursuit la productrice, d’utiliser le jeu vidéo pour raconter des histoires uniques, quelque chose de très engageant. C’est là que réside la différence entre un livre et un film, l’atout du jeu vidéo vient de son interactivité. Tu peux devenir acteur de ta propre histoire. »
Productions à taille humaine
Mais la folie des grandeurs ne dure qu’un temps. Après six années au service des majors du secteur, Yara Khoury rêve d’ailleurs de productions à taille humaine. Fin 2016, elle rejoint l’autre versant de l’industrie : les indies games (jeux indépendants), réalisés sans l’appui financier des grands éditeurs du secteur et souvent confectionnés par de petites équipes (la production d’un jeu oscille entre 100 000 et quelques millions de dollars). Yara Khoury devient productrice principale chez Outpost Games, une quinzaine d’employés, et tout de même 19 millions de dollars levés en 2016. « La beauté et la force d’un jeu vidéo résident dans sa dimension interactive. Contrairement aux grosses productions avec des jeux standardisés, l’industrie indépendante permet une multitude de formes créatives », défend-elle. Le credo de son prochain titre s’inscrit dans cette lignée. “SOS” ambitionne de donner au joueur une liberté de choix dans sa progression tout en lui permettant d’échanger avec la communauté de gamers. « L’objectif est d’encourager des comportements intéressants à regarder, donc à susciter de l’audience pour s’inscrire dans la lignée de ces dernières années où les gens diffusent en direct leur partie en ligne. » Un segment en pleine expansion comme l’atteste le rachat par Amazon en 2014 pour 970 millions de dollars de la plate-forme du streaming de jeux vidéo Twitch et ses quelque 100 millions de visiteurs mensuels. « J’ai envie de prendre des risques créatifs, poursuit la productrice, d’utiliser le jeu vidéo pour raconter des histoires uniques, quelque chose de très engageant. C’est là que réside la différence entre un livre et un film, l’atout du jeu vidéo vient de son interactivité. Tu peux devenir acteur de ta propre histoire. »
Yara Khoury en 5 dates 2008 : premier stage au marketing d’Electronic Arts (EA) France. 2011 : décroche un contrat chez EA aux États Unis. 2013 : productrice de “Battlefield Hardline”. 2014 : productrice du prochain “Star Wars”. 2016 : rejoint l’industrie indépendante, productrice générale d’“Outpost Games”. Au Moyen-Orient, une industrie tournée vers le jeu mobile Pour la première fois en 2016, le jeu vidéo mobile représentait une part de marché plus importante que le PC avec 36,9 milliards de dollars, en hausse de 21,3 % au niveau mondial. C’est le résultat de l’enquête trimestrielle publiée par le cabinet d’études Newzoo, spécialisé dans le jeu vidéo. Une tendance qui se confirme aussi au Moyen-Orient. Si des barrières structurelles (couverture Internet trop faible pour le jeu en réseau, manque de formations…) empêchent le développement d’une industrie solide du jeu vidéo, sa version ludique mobile se fait une place dans la région et au Liban. « Produire un jeu mobile nécessite beaucoup moins de temps et d’argent », indique Lara Noujaim, directrice marketing de Game Cooks, éditeur de douze titres sur mobile depuis 2012. Le plus célèbre d’entre eux “Run for peace”, édité dans la foulée des printemps arabes, a été téléchargé 1,6 million de fois. « Le titre, précise Lara Noujaïm, a été conçu en arabe et en anglais. Il nous a permis de placer le Liban sur un marché international. » |