Le 9 juillet, le gouvernement syrien a organisé à Pékin un séminaire pour promouvoir la foire commerciale de Damas qui se tient en août après plusieurs années d’interruption.
À cette occasion, le gouvernement a essayé de vanter auprès des entreprises chinoises l’attractivité du marché syrien et les opportunités que la reconstruction va offrir. L’agence syrienne de l’investissement y a présenté une liste de projets auxquels des entreprises chinoises pourraient contribuer, alors que l’ambassadeur Imad Mustafa a tenu un discours plus politique et évoqué la fin du conflit, le retour à la normale et l’attractivité retrouvée du pays.
Les Chinois semblent pourtant encore très prudents.
L’historique des relations économiques
Avant 2011, les relations commerciales entre les deux pays se traduisaient par un énorme déficit commercial syrien. En 2010, la Chine était le second fournisseur de la Syrie avec des importations de 1,5 milliard de dollars, précédée seulement par la Turquie. Les entrepreneurs chinois bénéficiaient de leurs prix très compétitifs dans un marché qui y est très sensible et qui se libéralisait rapidement.
Les investissements chinois étaient, quant à eux, largement concentrés dans le secteur énergétique.
China National Petroleum Corporation (CNPC), une entreprise publique, avait acquis des parts dans Al Furat Petroleum Company (AFPC), la plus grosse coentreprise entre le gouvernement syrien représenté par la General Petroleum Company (GPC) et des entreprises étrangères − Shell en l’occurrence.
En 2010, AFPC produisait environ 92 000 barils de brut par jour (b/j) – à son pic en 1996 elle produisait près de 400 000 b/j de ses champs situés autour de la ville de Deir ez-Zor. CNPC détient autour de 20 % des parts, alors que l’indien ONGC (Oil and Natural Gas Company) complète le trio de partenaires étrangers avec environ 9 % des parts.
CNPC a créé une autre coentreprise avec GPC, nommée Syria-Sino al-Kawkab Oil Company (SSKOC), pour développer le champ pétrolifère de Kebibe, également dans l’Est syrien. En 2010, SSKOC produisait près de 13 000 b/j. Oudeh Petroleum, un partenariat entre GPC et Sinopec, une autre entreprise d’État, produisait en 2010 17 000 b/j. Finalement Sinochem, une autre société publique, et Gulfsands, une entreprise britannique dont le partenaire local est Rami Makhlouf, se sont associées pour développer avec GPC des champs pétrolifères au nord de Hassaké. En 2011, la production de Dijla Petroleum Company se montait à 24 000 barils par jour.
En tout, les entreprises d’État chinoises avaient donc des parts dans des champs pétrolifères qui produisaient près de 146 000 b/j, soit l’équivalent de 40 % de la production totale syrienne.
Le gouvernement et CNPC s’étaient également mis d’accord pour la construction d’une nouvelle raffinerie dans la région de Deir ez-Zor pour un coût de deux milliards de dollars et une production de 100 000 b/j. Sa construction devait débuter en 2011.
Plusieurs entreprises d’ingénierie chinoises avaient également réussi à glaner des contrats. Par exemple, la société CBMI a fourni les lignes de production de la cimenterie al-Badia, construite près de Damas par Ciments français et des partenaires locaux. China National Electric Equipment Corporation (CNEEC) a obtenu en 2009 un accord pour la fourniture à la centrale de Zara de turbines électriques d’une capacité de 600 MW pour un montant de 400 millions d’euros. Dans le secteur de la télécommunication, Huawei et ZTE avaient obtenu des contrats de plusieurs dizaines de millions de dollars pour le développement du haut débit.
Le modèle de développement chinois pris pour exemple
Pendant les premières années du régime de Bachar el-Assad, les autorités syriennes, relayées par leurs médias, avaient tendance à promouvoir un développement “à la chinoise”, c’est-à-dire un système de libéralisation économique sans ouverture politique. Cette option était particulièrement attirante pour le régime syrien qui ne voulait pas entendre parler de concessions politiques et qui venait de réprimer l’éphémère printemps de Damas.
En juin 2004, Bachar s’est d’ailleurs rendu en Chine pour une visite d’État avec une importante délégation d’hommes d’affaires dans le but affiché de s’inspirer de la réussite chinoise.
Les Syriens ont dû rapidement déchanter, la différence de taille entre les deux marchés étant parmi les nombreuses différences structurelles entre les deux pays. Damas s’est alors tournée vers Kuala Lumpur pour vanter “le modèle malaisien” sans que le gouvernement n’ait jamais fait l’effort d’expliquer ce qui caractérisait ce modèle.
En retrait depuis 2011
Alors qu’elle continue de jouer un rôle de premier plan en tant que fournisseur − la Chine était encore le second fournisseur en produits non pétroliers de la Syrie en 2015 avec des exportations d’un milliard de dollars dans un marché qui s’est beaucoup contracté −, Pékin s’est signalé par le retrait de ses entreprises et sa très grande timidité politique.
Les entreprises chinoises ont toutes quitté le pays, ce qui n’est pas surprenant au vu de la situation sécuritaire, en particulier pour les entreprises pétrolières qui opéraient dans des régions qui sont aujourd’hui en partie aux mains de l’État islamique. Politiquement, Pékin a attendu l’année dernière pour nommer un représentant spécial pour la Syrie et reste largement absent des discussions politiques. Même sur le volet humanitaire, ses contributions financières sont très modestes.
Alors que les entreprises iraniennes et russes commencent déjà à capitaliser sur le soutien de leurs gouvernements respectifs au régime pour s’accaparer les principaux actifs syriens (phosphate, pétrole et gaz, téléphonie mobile, etc.), le gouvernement aimerait attirer les Chinois, et ce pour deux raisons. Premièrement, contrairement à la Russie et l’Iran qui n’ont pas les moyens de financer la reconstruction, la Chine regorge de cash et a déjà pris l’initiative d’investir massivement dans de nombreux pays émergents comme en Afrique, en particulier dans les infrastructures, ce dont Damas aurait particulièrement besoin. Par ailleurs, de nombreuses entreprises chinoises ont une vraie expérience et du succès, à l’international, ce qui pourrait leur permettre de se déployer beaucoup plus rapidement – ce qui n’est pas le cas des entreprises russes et iraniennes.
Les Chinois en attente
Les Chinois ne semblent cependant pas vouloir se presser. À la suite de la conférence du 9 juillet, Global Times, un média officiel, a ainsi cité plusieurs responsables économiques chinois qui ont affirmé que l’instabilité politique et sécuritaire persistante devait inciter à la prudence.
D’autres facteurs pèsent. D’abord les sanctions occidentales sur de nombreux secteurs et institutions syriennes qui bien qu’elles ne s’appliquent pas aux entreprises chinoises pourraient en toucher certaines par association. Les sanctions sur le secteur bancaire sont aussi très problématiques, car elles retardent ou empêchent toutes les transactions financières de et vers la Syrie.
Par ailleurs, l’investissement de la Chine dans des projets d’infrastructures dans les pays émergents se fait quasiment toujours en échange d’un accès aux ressources naturelles des pays en question. Or la Syrie n’a que peu de ces ressources à fournir et celles-ci sont de toute manière déjà accaparées par les Russes ou les Iraniens. Lors d’une récente rencontre avec l’ambassadeur de Chine à Damas, le Premier ministre Imad Khamis a annoncé que les entreprises chinoises auraient la priorité pour les projets de reconstruction. Or la même promesse a déjà été faite aux Russes et aux Iraniens.
La taille du marché syrien est un obstacle additionnel. Avec un taux de pauvreté à 85 %, un chômage à 55 % et un pouvoir d’achat très faible, les Syriens n’ont plus les moyens de dépenser et ne représentent donc pas un marché très attractif.
Finalement, il y a l’obstacle politique. Bien que Pékin soit allié à Damas, la Chine reste généralement très prudente au Moyen-Orient et évite de fâcher les États-Unis. On ignore si les Chinois souhaitent prendre les devants dans la reconstruction sachant l’impact d’une telle attitude en terme de renforcement de la légitimité politique de Bachar el-Assad.
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