La loi sur le financement de la grille des salaires, publiée au journal officiel le 21 août mais dont l'application a été suspendue dix jours plus tard par le Conseil constitutionnel,  prévoit une série de hausses d’impôts et de taxes, ainsi que des mesures fiscales relatives notamment aux biens-fonds maritimes, aux banques,  et aux professionnels libérales.  Leur entrée en vigueur définitive dépend désormais de la décision du Conseil constitutionnel, auprès duquel une dizaine de députés ont présenté un recours en invalidation. 

Le président de la République a évoqué les mesures fiscales avec les différents acteurs économiques dans une réunion à Baabda, le 14 août dernier.
Le président de la République a évoqué les mesures fiscales avec les différents acteurs économiques dans une réunion à Baabda, le 14 août dernier. Nasser Traboulsi

Hausses d’impôts et de taxes


 • TVA
La taxe sur la valeur ajoutée devait passer de 10 à 11 % à partir du 1er octobre. « L’impact économique et social de cette hausse n’a pas fait l’objet d’une étude fiable et précise, alors qu’elle a été largement décriée, déplore l’avocat fiscaliste Karim Daher. Pour l’État, c’est une mesure facile à mettre en œuvre et rentable au niveau de la perception. » Les syndicats et les différents ordres professionnels ont mis en garde contre son impact inflationniste et les risques de faillites et de licenciements. « Il aurait été possible dans les circonstances actuelles de limiter cette augmentation aux produits de luxe comme cela avait été proposé en 2013 », a souligné l’ordre des avocats dans un communiqué. Le projet de loi initial de financement de la grille des salaires proposait à l’époque une hausse de la TVA à 15 % sur certains produits de luxe (saumon, caviar, crevettes, véhicules neufs et usagers…). De son côté, dans un rapport publié en 2017, le Fonds monétaire international avait préconisé une amélioration de la collecte et un élargissement de l’assiette en limitant certaines exonérations, déductions et remboursements. Selon le FMI, l’écart entre les revenus collectés et les revenus potentiels de la TVA au Liban représente 7,4 % du PIB en 2013. Sont actuellement exemptées de la TVA les transactions menées sur le territoire libanais dans le domaine de l’éducation, de l’assurance et la réassurance, des services bancaires et financiers, des ONG, de l’approvisionnement en or des réserves de la Banque centrale, de la Loterie et des jeux d’argent, entre autres. Au niveau des produits, outre les produits de première nécessité (comme le pain, la farine, la viande, les poissons, le lait et les produits laitiers, le riz, le sucre, le sel, les produits agricoles non industrialisés, la volaille…), certains produits de niche bénéficient également d’exemptions, comme les pierres précieuses et semi-précieuses ou les yachts et bateaux de plaisance.


 • Impôt sur les bénéfices
L’impôt sur les bénéfices des sociétés de capitaux devait être relevé de 15 à 17 %. Ce nouveau taux devait s’appliquer  au moment de la déclaration annuelle des revenus de l’année 2017.
Cette disposition a largement été critiquée par le patronat, qui y voit un coup porté au secteur productif dans un contexte économique difficile. « Même si l’augmentation est limitée, elle reste contestée et contestable pour deux raisons : d’une part, car elle intervient en période de récession et de crise et, d’autre part, car elle va à l’encontre d’une tendance mondiale d’abaissement de l’impôt sur les sociétés. Les États-Unis ou la Grande-Bretagne ont abaissé leurs taux à 17 %, alors que dans des pays comme l’Irlande ou Chypre, les taux avoisinent les 12 %. C’est un mauvais message adressé aux investisseurs dans les circonstances actuelles d’autant plus que les recettes attendues de cette hausse ne dépassent pas les 80 millions de dollars, selon les prévisions les plus optimistes du ministère des Finances datant de 2015 », affirme Karim Daher.

 • Taxe sur les taux d’intérêt
Le taux d'imposition sur les intérêts perçus sur les dépôts bancaires au Liban et autres revenus assimilés de capitaux mobiliers (retenus à la source) devait passer de 5 à 7 %. Les banques se sont longtemps opposées à cette mesure, envisagée depuis plusieurs années, en affirmant qu’elle réduirait la capacité des banques libanaises à attirer les dépôts. Mais cette fois, l’Association des banques n’en a pas fait leur principal cheval de bataille.


 • Impôt sur la plus-value immobilière
L'impôt sur la plus-value immobilière devait être relevée de 10 à 15 %, et  son assiette élargie aux particuliers et aux personnes morales qui n’en étaient pas redevables, ainsi qu’à certaines transactions qui en étaient exemptées comme les terrains non bâtis. Celle-ci doit être déboursée dans les deux mois suivant la transaction. Cette disposition est naturellement décriée par les professionnels de l’immobilier qui estiment que cet avantage fiscal jouait un rôle d’attraction pour les investisseurs étrangers. « L’objectif de cette réforme est de rétablir une certaine équité fiscale en imposant une catégorie de personnes qui sont actives, réalisent de gros bénéfices et ne paient pas d’impôt. Ce qui a aussi mené au dérèglement du marché de l’immobilier et à une inflation des prix injustifiés avant la crise », considère de son côté Karim Daher. La résidence principale n’est cependant pas concernée, de même que la résidence secondaire, sachant qu’il est possible pour un particulier de déclarer deux résidences principales maximum sur l’ensemble du territoire libanais. De même, un taux d'érosion annuel de 8 % sur la plus-value réalisée sera applicable, ce qui signifie que l’exemption est totale pour tout bien détenu pendant une période d’au moins 12 ans.

 • Droits de timbre sur les contrats
Le droit de timbre sur les contrats devait passer de 3 à 4 ‰ de la valeur du contrat concerné, alors qu’ il n’était  « pas  fait mention, comme dans les moutures des anciens projets de budget, de dispositions qui limitent l’application du droit de timbre sur une seule copie originale de contrat au lieu d’un paiement sur chacune des copies signées », déplore Karim Daher. Des hausses des droits de timbre ont également été décidées sur l'extrait du casier judiciaire (de 2 000 à 4 000 livres libanaises), sur les reçus issus du secteur public et des municipalité (1 000 livres), des factures de téléphonie mobile ainsi que sur les cartes prépayées de téléphonie mobile et internet (2 500 livres), et sur les factures et les reçus bancaires et commerciaux (250 livres).

 • Taxes sur les documents officiels
Des taxes forfaitaires devait être imposées sur les contrats de travail (100 000 livres libanaises), sur les copies certifiées conformes (4 000 livres), les testaments (40 000 livres) et les traductions d’un traducteur certifié (de 4 000 à 20 000 livres en fonction du type de document).

 • Taxe sur le tabac
Les députés ont voté une taxe de 250 livres libanaises sur le prix de vente du paquet de cigarette et le paquet de tabac pour narguilé, et de 500 livres sur le cigare, qui a été appliquée par la Régie libanaise des tabacs, avant même la promulgation de la loi. Le projet de loi prévoyait initialement une augmentation des taxes de 135 % et 43,75 % respectivement, mais les élus du mouvement Amal ont protesté en invoquant le risque de contrebande. La question n'a pas été abordée sous l'angle de la santé publique. 

 • Taxe sur les passages frontaliers
Les non-Libanais qui entrent sur le territoire libanais par voie terrestre devaient s’acquitter d’une taxe de 5 000 livres (3,3 dollars). Au départ, cette taxe devait s’appliquer aux Libanais, mais les députés des régions du Nord et de la Békaa, où les passages frontaliers sont fréquents, s’y sont opposés.

 • Taxe sur les billets d'avion
Les taxes sur les billets d'avion au départ du Liban vers une destination située à plus de 1 250 km devaient passer de 50 000 à 60 000 livres pour la classe économique, à 110 000 livres pour la classe affaires (contre 70 000 livres), 150 000 livres pour la première classe (contre 100 000 livres) et 400 000 livres pour les jets privés (jusqu’alors exemptés). Le député Ibrahim Kanaan a toutefois assuré que la hausse de la taxe pour les billets en classe économique serait annulée.

 • Taxe sur la Loterie
Les lots d’une valeur de plus de 10 000 livres remportés dans des jeux de Loteries nationales et étrangères devait être taxés désormais à hauteur de 20 %.

 • Taxe sur le ciment
Une taxe forfaitaire de 6 000 livres libanaises par tonne de ciment produite a été adoptée malgré la contestation de plusieurs députés, dont Walid Joumblatt et Sleiman Frangié, actionnaires dans des usines de production de ciment. Les députés ont accepté que cette taxe soit répercutée sur le prix de vente final.

 • Taxe les conteneurs importés
Une taxe forfaitaire de 80 000 livres libanaises a été imposée sur les conteneurs importés de 20 pieds et de 120 000 livres libanaises sur les conteneurs 40 pieds.

 • Avance sur taxe de 2 % sur les contrats immobiliers
Une avance sur taxe de 2 % sur les contrats de vente de biens immobiliers devait être payée au moment de la signature devant le notaire ou sous-seing privé, d’une promesse de vente ou d’un contrat de vente préliminaire préalable à l’enregistrement. « Cette mesure vise à limiter l’évasion fiscale liée aux transactions immobilières.
Ce droit de 2 % serait déductible du droit à payer (actuellement au taux de 5 % plus ses accessoires) lors du transfert final de propriété, à condition que l’enregistrement s’opère dans un délai de 12 mois tout au plus, sinon il est perdu. Si les motifs et la finalité de cette disposition sont louables, le moyen proposé est erroné, car le transfert de propriété au Liban n'est pas effectif s’il n’y a pas eu enregistrement au registre foncier (surtout si le contrat est résilié au lieu d’être enregistré) d’autant plus que se posera un problème de restitution de l’indu et d'affectation des recettes », commente toutefois Karim Daher.

 • Taxes sur l’alcool
La loi prévoit une augmentation des taxes sur le prix de vente final des boissons alcoolisées importées. La bière devait être taxée à 15 % (contre une taxe forfaitaire de 60 livres auparavant), les spiritueux à 25 % (contre 400 livres) ; et le vin ou le champagne à 35 % (contre 200 livres actuellement).
Cette mesure a naturellement suscité une levée de bouclier de la part des différents syndicats du secteur du tourisme et de l’hôtellerie. Il est apparu également qu’elle contrevient à l’accord de libre-échange entre le Liban et l’Union européenne, qui interdit l’augmentation des taxes ou des droits de douane sur les produits importés ou exportés dans le cadre de cet accord. Cette disposition devait donc être amendée ultérieurement.

Autres mesures fiscales


 • Plus de déductibilité pour les banques
Depuis 2003, les banques avaient le droit de déduire intégralement le montant de l’impôt sur les intérêts bancaires et autres revenus de capitaux assimilés (qui était de 5 % et qui est passé à 7 %) du montant de l’impôt sur les bénéfices, dont elles doivent s’acquitter après avoir déclaré leurs revenus.
La loi voulait obliger désormais toutes les sociétés de capitaux financières ou commerciales imposées sur la base du régime du bénéfice réel à considérer l’impôt sur les taux d’intérêt, payé à la source, comme une charge et de le déduire de leurs revenus commerciaux, qui seront ensuite imposés à 17 %. Le ministère des Finances considère que les sociétés financières doivent être traitées comme les entreprises commerciales qui n’ont jamais bénéficié de cette possibilité, et souligne l’importance de l’enjeu en affirmant que cette disposition permettrait de rapporter à l’État les recettes les plus importantes après la TVA. L’Association des banques dénonce toutefois une double imposition, en se distinguant des sociétés commerciales pour qui les revenus des capitaux sont marginaux. Elle a mené un lobbying féroce pour faire annuler cette disposition de la loi.

 • Amende sur l'exploitation illégale des biens-fonds maritimes
Les biens-fonds maritimes publics occupés illégalement devaient être soumis à une amende égale au double de la valeur de la pénalité introduite par décret en 1992. Si une loi datant de 1925 interdit toute occupation illégale des biens-fonds maritimes publics de plus d’un an sous peine d’évacuation et de destruction, un décret datant de 1992 a introduit une pénalité égale à 0,75 % de la valeur estimée de la propriété à l’époque – avec des prix du mètre carré estimés entre 300 000 et 750 000 livres libanaises. La nouvelle loi consacre le principe d’une pénalité payable une fois par an et rétroactivement depuis 1994, mais cette disposition fait bondir des ONG qui défendent l’espace public, comme Nahnoo. « Cette disposition légalise un acte illégal au départ. L’objectif de cette mesure n’est pas de défendre le droit des citoyens, mais de générer des recettes, qui ne dépasseront pourtant pas 40 milliards de livres, puisque l’amende dépend du prix du mètre carré fixé en 1992 », fustige Mohammad Ayoub, directeur exécutif de l’ONG Nahnoo.

 • Annulation de l’avantage fiscal accordé à certaines sociétés cotées
Les dividendes payés par les sociétés cotées à la Bourse de Beyrouth et les sociétés anonymes libanaises dont plus de 20 % du capital était détenu par des entreprises arabes ou issu d’un pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques seront désormais taxées à 10 % (taux normal) au lieu de 5 % précédemment.

 • Impôt général pour les professions libérales
La loi obligeait les professions libérales à inclure leurs revenus financiers, déjà soumis à l’impôt sur les capitaux mobiliers, dans la base de calcul de leur revenu professionnel soumis à l’impôt progressif, ce qui aurait fait basculer un grand nombre d’entre eux dans des tranches d’imposition supérieures. L’ordre des avocats, qui s’est dit victime d’une double imposition, a mené un lobbying actif pour faire abroger cet article. « Bien que cette disposition rapproche de l’impôt général sur le revenu plus juste et plus équitable, le fait qu’il y ait double imposition du même revenu et ne soit applicable qu’aux professions libérales, en exemptant d’autres tels que les fonctionnaires ou les salariés, constitue en soi une atteinte au principe d’égalité devant l’impôt prévu par la Constitution », souligne l’avocat fiscaliste Karim Daher.