Depuis son arrivée à Château Kefraya, dans la Békaa Ouest, en 2006, Fabrice Guiberteau, s’est toujours amusé. Vin doux, cépages rares, petites cuvées… Mais depuis quelques années, l’œnologue expérimente des techniques de vinification, explore de nouveaux terroirs et fait de ce « vieux » domaine, fondé en 1979, un domaine d’avant garde dans la région.
L’une de ses marottes prend aujourd’hui forme : Château Kefraya revient à l’amphore. Le domaine a fait venir des jarres d’Italie, où un potier les façonne encore. Il en a acquis une petite dizaine, de 320 litres chacune, pour tester ce très ancien mode de conservation et de vieillissement du vin, hérité des Phéniciens et des Romains. L’investissement, autour de 40 000 dollars, s’inscrit dans un plan plus vaste de redécouverte des terroirs et des techniques anciennes.
« Les vin libanais se cherchent : certains tentent des cépages internationaux ; d’autres s’essaient à des cépages anciens ou autochtones. Le champ des expériences est à peine ouvert et parmi celles-ci, l’amphore nous semblait une idée à creuser », explique Edouard Kosremelli, directeur général de Château Kefraya.
Cuvée Rare
Silhouettes pansues, goulot large, les amphores sont désormais entreposées dans le chai du château, à côté des barriques et des cuves. « Si nous réussissons, ces vins resteront une cuvée d’exception en termes de volume », ajoute-il. En 2016, Kefraya a ainsi mis en amphore un cépage, le tempranillo. Cette année, il s'apprête à faire de même avec du cabernet et de la syrah. Tous «passeront» ensuite plusieurs mois – autour d’un an - en amphores.
À la dégustation, quelques semaines après leur « mise en amphore », ces rouges ont déjà une belle structure avec une palette aromatique marquée par la fraîcheur et les fruits mûrs. «L’élevage en amphore patine les arômes», ajoute l’œnologue. Pour l’heure, aucune date de sortie n’est encore arrêtée.
« Nous avons jeté les premières amphores, du fait de défaut. L’élevage requiert ici un savoir-faire très précis. On tâtonne encore faute d’historicité, mais ces vins semblent à la fois différents et prometteurs », ajoute l’œnologue. Si l’argument est commercial - « après tout, quel pays a plus de légitimité à faire revivre une tradition phénicienne que le Liban ? » souligne Edouard Kosremelli - il ne s’agit pas non plus de faire des « vins antiques ». L’expérimentation menée par Château Kefraya, s’inscrit davantage dans un mouvement de redécouverte de savoir-faire anciens.
On pourrait presque y voir une forme de lassitude face à la suprématie du bois au sein de la filière vinicole. En France et en Italie, plusieurs domaines utilisent déjà des amphores de terre cuite pour leurs vins. En Arménie aussi, le domaine Karasi en a fait sa marque de fabrique. Résultat ? Sacré « meilleur vin » parmi toutes les caves du pays, son 2010 a été largement plébiscité par la critique internationale. Reste à souhaiter le même destin à Château Kefraya.
Qu’apporte l’amphore au vin ? L’amphore est un matériau assez poreux qui évolue selon le degré de cuisson. L’argile, qui la compose la plupart du temps, favorise les échanges gazeux. Une micro oxygénation s'effectue entre le moult (quand les raisins entrent en fermentation) et l'atmosphère ambiante, à l'instar des tonneaux de chêne. Mais contrairement au bois, la terre cuite des amphores n’apporte pas d'arômes exogènes au raisin. « Le vin doit être techniquement irréprochable, car on ne peut intervenir avec aucun artifices ensuite. Mais lorsqu'on a « l’esprit amphore », cela signifie qu’on a « l’esprit 100 % naturel» », affirme l’œnologue Fabrice Guiberteau. Cette technique de l'amphore est encore en usage en Géorgie sous la forme de grosses jarres, des kvevri, de plus de 1000 litres, traditionnellement enterrées. |