Budget 2017 : quels enjeux ?
En octobre 2013, l’homme le plus puissant au monde, le président des États-Unis Barack Obama, s’est trouvé dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires en raison du refus de la Chambre des représentants d’approuver le relèvement du plafond d'endettement. Cela s’appelle un État de droit.
Au Liban, entre 2006 et 2016, l’exécutif a dépensé plus de 136 milliards de dollars et contracté 36 milliards de dollars de dettes sans autorisation. Car le budget n’est pas qu’un document comptable, prévoyant les dépenses et les recettes de l’État. C’est l’acte législatif à travers lequel les citoyens autorisent annuellement le gouvernement à gérer les deniers publics. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs clairement rappelé dans sa dernière décision sur la loi de financement de la grille. « L’autorisation de collecte et de dépense ne peut venir que des représentants du peuple et sous leur contrôle », a-t-il souligné, ajoutant : « La régularité (NDLR : dans le sens conforme aux règles, pas régulier) des finances publiques et leur contrôle ne peuvent passer que par un budget annuel. »
Le Conseil constitutionnel a ainsi confirmé l’illégalité des artifices et des arguments avancés ces onze dernières années par les gouvernements successifs pour légitimer les dépenses. Déjà en 2014, les anciens ministres Charbel Nahas et Élias Saba, l’ancien président du Parlement Hussein el-Husseini, et le député Ghassan Moukheiber avaient dénoncé les pratiques illégales de l’exécutif et saisi le Conseil d’État, mais ce dernier avait jugé, plus d’un an et demi plus tard, que les requérants n’avaient pas qualité pour le saisir.
Le douzième pas très provisoire
Le principal texte sur lequel s’est basé le gouvernement pour dépenser sans budget est une loi votée en février 2006, en même temps que le budget 2005. Étant donné les circonstances exceptionnelles que traversait le pays à l’époque et le retard pris dans la présentation du projet de budget de l’exercice en cours, le gouvernement avait obtenu au Parlement l’autorisation de « percevoir les recettes et de payer les dépenses à compter du 1er février 2006 jusqu'à l’émission du budget de l'an 2006, conformément à la règle du douzième provisoire ». Cette règle fait référence à l’article 86 de la Constitution qui s’applique lorsque le débat budgétaire n’aboutit pas dans les délais impartis, soit entre octobre et décembre. Le président de la République doit alors convoquer une session extraordinaire qui s’achève fin janvier. « Au cours de ladite session extraordinaire, les impôts, contributions, taxes, droits et autres recettes continueront d'être perçus comme précédemment. Les dépenses du mois de janvier sont engagées sur la base du douzième provisoire de l'exercice précédent », c’est-à-dire du mois de décembre de l’année précédente. Les termes “janvier” et “provisoire” définissent clairement le cadre spécifique dans lequel peut s’appliquer cette règle. Mais au Liban le provisoire devient vite permanent.
Pendant une décennie, le gouvernement s’est basé sur une loi de 2006, dont la validité a expiré il y a dix ans, et qui se base elle-même sur une règle prévue pour un mois. En déformant les textes, il s’est accordé le droit de dépenser chaque année l’équivalent du dernier budget voté, soit celui de 2005.
Au plus fort du conflit entre le 14 et le 8 Mars, entre 2006 et 2008, lorsque le chef du Parlement ne reconnaissait plus la légitimité du gouvernement, le cabinet de Fouad Siniora est parti un peu plus loin. Il a réinterprété à sa guise un autre volet de l’article 86 de la Constitution, qui permet au Conseil des ministres de se passer de l’approbation du Parlement et rendre le projet de budget exécutoire. Mais là aussi dans un cas très particulier défini dans la Constitution : lorsque les discussions au Parlement n’aboutissent pas durant la session extraordinaire de janvier et seulement si le projet de budget a été présenté à la Chambre 15 jours au moins avant le commencement de la session. Même si ces conditions n’étaient pas remplies, le gouvernement s’est autorisé pendant trois ans à dépenser sur la base de projets de budget qui n’avaient jamais été soumis au Parlement. Sans parler des dépenses dissimulées comme étant des crédits, qui n’étaient pas comptabilisées à l’époque dans le budget.
Après l’accord de Doha et la formation d’un gouvernement d’union nationale, l’exécutif décide de revenir officiellement à la règle du douzième provisoire. Mais le budget de 2005 ne suffit évidemment pas à couvrir les besoins de l’administration cinq ans plus tard. En 2010, le ministre Charbel Nahas avait chiffré les dépenses supplémentaires engagées par rapport aux crédits prévus en 2005 à 11 milliards de dollars. Selon lui, ce montant a atteint aujourd’hui plus de 65 milliards de dollars.
Les crédits additionnels permanents
Une partie de ces dépenses a été autorisée par le Parlement. À deux reprises, en 2012 puis en 2015, pour faire face à la forte hausse du nombre d’employés dans le secteur public, le gouvernement a obtenu l’ouverture de crédits supplémentaires à ceux du budget 2005 pour payer les salaires. Ces lois ont en principe une validité annuelle, mais le gouvernement n’a pas hésité à les soumettre, elles aussi, à la fameuse règle du douzième provisoire.
Pour les autres postes, en revanche, il a eu essentiellement recours aux avances du Trésor.
Les avances du Trésor pas remboursées
Ces procédures sont prévues pour permettre de débloquer des sommes pour le compte d’une administration à un moment donné, mais cette dernière doit ensuite la rembourser au Trésor, après avoir légitimé la dépense.
Selon la loi sur la comptabilité publique, « pour toute avance, un curateur est personnellement responsable de sa bonne utilisation sur ses propres deniers ». Ce dernier doit présenter « les pièces justificatives du règlement définitif de l’avance avant le 31 janvier de l'année suivante au plus tard ». Or selon le président de la commission parlementaire des Finances, à peine 4 % des avances accordées ont été remboursées, ce qui théoriquement engage la responsabilité personnelle des ministres concernés. À son arrivée au ministère des Finances en 2014, Ali Hassan Khalil avait lui-même dénoncé ces pratiques. Il était allé jusqu’à déclarer qu’elles étaient « contraires à la loi et légalement non couvertes, même si elles ont été motivées par les conjonctures exceptionnelles ou nécessaires ». Le vote d’un budget devrait enfin mettre fin à ces hérésies.