Le ralentissement économique a fait baisser les ventes de champagne au Liban de 2,4 % depuis 2012. Associée aux événements festifs, la bulle française est de plus en plus concurrencée par son alter ego italien, le prosecco.
Synonyme de luxe, le champagne représente moins de 5 % du total des ventes de vins au Liban, avec un chiffre d’affaires estimé à 4,2 millions de dollars en 2016 par le Comité champagne, un organisme de représentants des producteurs de champagne. « Le champagne est une niche pour nous autres distributeurs », souligne Anthony Massoud, qui dirige les Établissements Antoine Massoud (EAM). Une niche qui se rétrécit, lentement mais sûrement, depuis quelques années.
Entre 2012 et 2016, le volume des ventes de champagne au Liban a en effet reculé de 2,4 % pour s’établir à 17 250 caisses de 9 litres en 2016 (ou 155 250 bouteilles de 75 cl), si on en croit IWSR, l’agence de données et d’analyses sur le marché des boissons alcoolisées. Les chiffres de 2017 n’ont pas encore été publiés, mais un renversement de tendance n’est pas à prévoir.
L’érosion des ventes de champagne n’est pas propre au Liban. Il s’agit d’un phénomène mondial : en 2016, la Champagne n’a écoulé que 306 millions de bouteilles dans le monde, un volume en baisse de 2,1 % par rapport à 2015 et équivalent à celui de 2013. En valeur, les ventes ont également reculé de 0,6 % à 4,71 milliards d'euros (5,55 milliards de dollars).
En Europe, cette contraction est d’abord liée à une crise sur le marché britannique, le premier marché d’exportation du champagne. Depuis le Brexit, en effet, la dévaluation de la livre britannique a fait chuter de près de 16 % le chiffre d’affaires des professionnels champenois. Sur son marché d’exportation historique, le champagne n’a ainsi totalisé que 440 millions d’euros (518 millions de dollars), pour 31 millions de bouteilles écoulées en 2016.
Prosecco vs champagne
Mais la dépréciation de la livre britannique n’est pas le seul ennemi de la bulle française : le prosecco italien exerce également une redoutable concurrence. En Angleterre, depuis 2015, cette version édulcorée et souvent plus sucrée de la bulle française dépasse en valeur les ventes de champagne avec un chiffre d’affaires de quelque 600 millions d’euros (707 millions de dollars).
Au Liban, on assiste à un phénomène identique : le ralentissement économique, qui touche le pays depuis le début de la guerre en Syrie, en 2011, a freiné les achats festifs et la consommation de produits de luxe, dans lesquels s’inscrit le champagne, quel que soit son prix. Trop chère, la bulle française se voit peu à peu remplacée par son alter ego italien. « Il faut compter entre 30 et 40 dollars minimum pour un premier prix de champagne quand un prosecco tourne, lui, entre 10 et 15 dollars… », fait valoir Georges Kikano, qui gère Étienne Nicolas, la franchise de la chaîne de cavistes française.
Les chiffres confirment son intuition : en 2016, IWSR a dénombré 11 750 caisses de 9 litres d’effervescents italiens (105 750 bouteilles de 75 cl). Soit une progression de presque 38 % entre 2012 (3 000 caisses) et 2016. Sa progression ne semble d’ailleurs pas devoir s’arrêter en si bon chemin : avec 38 % de croissance entre 2015 et 2016, le prosecco semble même promu à un très bel avenir. « L’année 2017 sera vraisemblablement celle où le prosecco italien aura doublé le champagne au Liban », assure Anthony Massoud.
Mais la chute n’atteint pas toutes les catégories de la même façon. « La baisse concerne plutôt les entrées de gamme, le segment sur lequel se sont installés les effervescents italiens », confirme Wadih Riachi, le patron de Vintage, dont l’offre de prosecco est passée de deux à sept en 2017.
Avec une chute de 8,7 % entre 2012 et 2016, les premiers prix sont en effet largement malmenés, au même titre que les autres effervescents français, comme les Crémants, dont les ventes reculent de 5,8 % sur la même période. Les champagnes premium et superpremium en revanche se défendent mieux, avec des baisses de 0,2 % et 2,4 % respectivement.
Derrière cette dichotomie entre champagne et prosecco se cachent deux usages différents de la bulle. « Le champagne a une image de luxe et reste lié à la célébration d'un événement exceptionnel », souligne Étienne Touzot, directeur général du caviste Enoteca, qui regrette d’ailleurs un manque de culture de cet univers. « Les Libanais achètent des marques sans vraiment chercher à les connaître », déplore-t-il. Deux d’entre elles dominent d’ailleurs le marché : Moët & Chandon (distribué au Liban par Diageo) et Laurent Perrier (Gabriel Bocti), qui représentent ensemble près de 52 % des volumes vendus en 2016.
Au Liban, le champagne s’écoule essentiellement en “on-trade” – terme qui désigne dans le jargon des distributeurs les ventes aux professionnels (restaurants, bars, traiteurs…) par opposition au “off-trade” (épiceries, supermarchés…). « Près de 70 % des ventes de champagne se réalisent dans les bars, ou lors de grandes réunions ou cérémonies », affirme Anthony Massoud. A contrario, les prosecco correspondent davantage à une “consommation plaisir”. L’effervescent italien, il est vrai, a su asseoir sa puissance sur un indéniable savoir-faire marketing des organismes de représentation italiens couplé à “l’effet Spritz”, le désormais fameux cocktail à base de prosecco et d’aperol. « Dans les bars, il est très souvent consommé sous forme de cocktails. Son image de marque se veut plus moderne et plus jeune que les vins à bulles français », estime encore Étienne Touzot.
Dans ce contexte de forte concurrence, pas question de louper la saison des fêtes de fin d’année qui concentre, aux dires des distributeurs, la majorité de leurs ventes. « Pour Étienne Nicolas, c’est au moins 70 % », affirme Georges Kikano.
Droits d’entrée
Face à l’érosion des ventes, le Syndicat général des vignerons de la Champagne, en France, a décidé de lever auprès des producteurs 6 millions d’euros (7 millions de dollars) pour financer des campagnes de communication sur la culture et l’aura des bulles françaises. Mais le Liban n’en verra sans doute pas un centime. « Il n’est pas rentable d’adapter des campagnes internationales au Liban étant donné la taille du marché », précise Laurien Benett, de Fawaz.
Les distributeurs locaux privilégient donc les actions de sponsoring ou les partenariats, parfois exclusifs, avec certains endroits. Mais il faut avoir les moyens de payer les “droits d’entrée”. « Beaucoup de restaurants et la plupart des boîtes de nuit réclament un certain montant pour voir une marque figurer sur leur carte. Je ne vous dirais pas les montants en jeu, mais ils sont colossaux », ajoute Étienne Touzot. « Aux États-Unis ou en France, ces pratiques seraient considérées comme illégales et les autorités agiraient », ajoute-t-il.
À ce phénomène s’ajoute un autre : celui des circuits de revente parallèle. « Les marges des distributeurs et des marques au Liban sont rognées par un problème qui touche l’ensemble du secteur des alcools et des spiritueux : l’existence d’un marché parallèle organisé, qui peut alimenter jusqu’à 30 % du off-trade. Ces importateurs illégaux s’alimentent dans les duty-free, comme celui d’Amsterdam, et cassent les prix sur le marché libanais puisqu’ils n’ont à payer aucune taxe », s’emporte Anthony Massoud. Une bouteille de Laurent Perrier, habituellement vendue 40 dollars, peut ainsi se retrouver à 20 dollars sur les étals de certains marchands. « Dans ces conditions, les distributeurs officiels n’ont souvent d’autres choix que de s’aligner sur ces prix cassés. « Mais c’est un cercle vicieux : qui dit guerre de prix dit destruction de valeur et qui dit destruction de valeur dit zéro budget marketing pour attirer le consommateur », conclut-il.