Un article du Dossier

Élections 2018 : le pouvoir de l'argent

Le Lebanese Center for Political Studies (LCPS) a publié fin mars une étude sur la performance des parlementaires entre 2009 et 2017. À l’approche des élections législatives prévues le 6 mai, le bilan n’est pas à leur honneur. Alors que les sujets socio-économiques sont en tête des priorités des électeurs, les élus ne s’y sont que très peu intéressés, portant cinq lois seulement en huit ans. Entretien avec le directeur général de l’ONG, Sami Atallah.

Pourquoi avoir réalisé cette étude ?
Cette étude se penche sur le travail réalisé par les députés depuis leurs élections en 2009 jusqu’en mars 2017. Les parlementaires ont deux fonctions principales : légiférer et surveiller le gouvernement. De notre côté, nous avons voulu surveiller ceux qui sont censés surveiller le gouvernement. Notre équipe s’est penchée sur la performance de chaque député, le nombre de projets de lois qu’il a proposés, les thèmes dont traitent les différents textes, leur alignement avec leurs intérêts propres et à la vision du bloc parlementaire auquel ils appartiennent, etc.


Quels sont les principaux résultats ?

En neuf ans, les députés ont adopté en tout 352 lois, dont 128 s’inscrivaient dans le cadre d’accords internationaux. Nous ne pouvons pas comparer aux législatures précédentes, car aucune étude de ce type n’avait été réalisée auparavant. D’autant que le nombre n’est pas indicatif à lui seul, il faut tenir compte aussi de la portée de chaque loi.

À cet égard, nous avons relevé que, depuis 2009, seules 31 lois – soit à peine 9 % – concernent les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’eau et de l’électricité, c’est-à-dire les problèmes auxquels les gens sont directement confrontés. Là encore, la plupart des textes votés découlent d’accords internationaux. En huit ans, le gouvernement n’a soumis que cinq textes relatifs à ces secteurs fondamentaux et les députés n’en ont proposé que cinq, alors que les thèmes socio-économiques sont au cœur des préoccupations des citoyens.




Les députés ont-ils des priorités différentes de celles de leurs électeurs ?

Selon un sondage que nous avons réalisé auprès de 65 élus ayant accepté de participer, les priorités des députés en 2017 étaient la création d’emplois, le vote d’une loi électorale et le terrorisme. Côté électeurs, ce sont plutôt les sujets socio-économiques qui dominent. Le sondage mené auprès de 2 496 personnes montre que les principales préoccupations des citoyens sont la hausse des prix, le chômage et les coûts d’hospitalisation et d’éducation. La part infime allouée par les législateurs à ces sujets témoigne de leur échec à répondre aux préoccupations de leurs électeurs. Les députés ont renouvelé leur mandat à plusieurs reprises sous prétexte qu’il fallait à tout prix éviter un vide parlementaire, alors qu’ils ont été incapables, durant toute cette période, de s’attaquer aux problèmes prioritaires des Libanais.


Cela peut-il s’expliquer par l’absence de consensus au sein de l’hémicycle ?

Nous avons demandé aux différents députés quels étaient les sujets qui les intéressaient le plus et quelle était leur position sur des projets de lois spécifiques, et nous avons été surpris par les divergences d’opinion que nous avons constatées au sein d’un même bloc parlementaire. Les députés peuvent même parfois se montrer en contradiction totale vis-à-vis de leur bloc. Mais cela n’influe pas vraiment sur le processus. Le fait qu’une majorité des députés soit d’accord sur un projet de loi ne garantit pas son adoption, tout comme les divisions n’empêchent pas le vote. Plusieurs projets de lois relatifs à la santé par exemple faisaient l’objet de consensus, mais n’ont jamais été adoptés. À l’inverse, les députés étaient très divisés sur la loi sur la libéralisation des anciens loyers, ce qui n’a pas empêché son adoption. Nous avons deux explications à cela : la première est que les députés ne font pas l’effort nécessaire pour faire adopter une loi même quand il y a un consensus ; la seconde est qu’il y a cinq ou six acteurs-clés qui décident de ce qui est adopté ou pas. S’ils sont d’accord sur la nécessité de voter une loi, elle le sera.


Que font les députés de leur temps ?

Selon notre sondage, les députés passent environ 70 % de leur temps à rencontrer leurs électeurs, à communiquer ou à s’exprimer dans les médias. Ils ne consacrent donc que 30 % de leur temps à leurs missions principales, qui est de légiférer et de surveiller les ministres. L’étude montre aussi que 43 % des députés n’ont proposé aucun projet de loi durant leur mandat, et que les commissions parlementaires, censées étudier les différents projets de lois, ne se réunissent en moyenne qu’une fois tous les deux mois.

L’article 136 du règlement interne du Parlement stipule que pour trois sessions législatives, les députés doivent tenir au moins une session de questions au Gouvernement. Or pour les 26 sessions législatives tenues par le Parlement entre 2010 et 2017, seules cinq sessions de questions au gouvernement ont eu lieu, sur un minimum de neuf requises.

Ces pratiques contribuent à favoriser et à enraciner le clientélisme dans la culture politique libanaise. Les députés sont devenus des pourvoyeurs de services, et les citoyens les élisent désormais en fonction de cela.


Ils remplacent les services publics ?

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent qu’il n’y a pas d’État. Il existe, mais il ne bénéficie qu’à une petite tranche de Libanais. Le problème est qu’il n’y a pas d’État fort, et que cela dure depuis des années. Les hommes politiques utilisent l’argent public, collecté à travers les taxes et les impôts, pour accorder des services à leurs électeurs par le biais des ministères qu’ils contrôlent. L’institution, censée surveiller le gouvernement pour empêcher ce genre d’abus et veiller à ce que la population ait équitablement accès aux services publics, est complice de ce système. On ne peut pas reprocher à ceux qui sont dans le besoin d’accorder leur vote à ceux qui leur rendent des services, mais cela favorise les partis traditionnels déjà en place et perpétue le modèle.


Que pensez-vous de la nouvelle loi électorale et qu’attendez-vous des prochaines élections ?

Deux évolutions me permettent d’être optimiste. La première est l’adoption de la nouvelle loi électorale. Elle ne me plaît pas, je ne suis pas en sa faveur, mais elle pourrait contribuer à secouer les fondations du système politique en place. La seconde raison est la création de nouveaux partis, pleins d’enthousiasme, qui essaient d’accéder au Parlement. Le succès du collectif Beirut Madinati pendant les élections municipales montre qu’il y a une volonté de changement chez une certaine catégorie d’électeurs, et cela est encourageant. Mais en même temps, il faut être réaliste. Certains espèrent que vingt nouveaux députés issus des partis non traditionnels accèdent au Parlement. Cela n’est pas vraiment possible. Une percée avec trois, quatre ou cinq députés issus de ces partis serait déjà pas mal. À mon avis, un tel résultat représenterait déjà une victoire ! Ceux qui promettent une percée de vingt députés ne réalisent peut-être pas l’ampleur et la difficulté de la tâche.


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