Bluff Harbour, port le plus austral de Nouvelle-Zélande. En face, c’est l’Antarctique. Un Français y débarque un soir d’hiver, après une longue marche solitaire à travers tout le pays. Des rafales de vent couchent les panneaux et projettent « les embruns glacés à vous tatouer la peau ». On ne sait pas ce que cet individu a fui, ce qu’il est venu chercher dans ces lointains confins. Personne d’ailleurs ne le demandera. Marins et dockers sont des taiseux : ils savent qu’on ne pousse jamais par hasard la porte de L’Anchorage Café.
Notre Français rencontre alors Rongo Walker, capitaine d’un caseyeur – un petit bateau de pêche – figure emblématique de la communauté maori. En un coup d’œil, le vieux loup de mer jauge son homme et lui propose de l’embaucher pour la campagne de la pêche à la langouste. Accompagné de son second, Tamatoa, un géant tahitien, ils embarquent dès le lendemain sur le Toroa. Entre ces trois-là se noue une amitié ballotée par la houle et la poésie des histoires ancestrales que leur conte le capitaine, une fois les tâches accomplies. Roman choral où s’entremêlent les voix des vivants et des morts, ce livre nous enseigne le “parler” de la mer, l’orientation d’après les étoiles, ou encore l’importance de savoir d’où l’on vient plutôt qu’où on va.
Suspendu au récit des légendes et traditions du Pacifique, le lecteur attend et redoute la tempête qui déferlera bientôt. Et c’est à une véritable scène d’anthologie qu’il est convié. « Une odyssée qui défie l’imagination. Des vagues si hautes qu’en se cabrant elles avalent le ciel », des heures de lutte sans relâche contre les éléments déchaînés. Qu’importe qu’on ne chasse pas la baleine blanche ; “Bluff”, servi par une écriture fiévreuse et puissante, s’inscrit dans la veine des grands romans de mer et d’aventure. Un choix trop rare dans la littérature contemporaine pour être boudé.
“Bluff”, David Fauquemberg, éditions Stock, 22 dollars.