Le régime syrien et les Kurdes ont récemment trouvé un accord pour se partager les ressources d’un important champ pétrolier de Deir ez-Zor. L’accord a été négocié par l’intermédiaire de Baraa Qaterji, symbole d’une nouvelle vague d’hommes d’affaires.
Selon plusieurs médias turcs, le régime syrien et le PYD, le parti kurde qui contrôle une grande partie du Nord-Est syrien, ont récemment conclu un accord pour se partager la production de pétrole du champ d'Omar, estimée actuellement à 15 000 barils par jour (b/j). Situé dans la province de Deir ez-Zor, ce champ a été pendant des années le plus grand de Syrie, bien que sa production ait diminué de manière significative dans la décennie précédant le soulèvement.
À la fin de l'année dernière, les Forces démocratiques syriennes (FDS), qui sont une émanation du PYD, se sont engagées dans une course avec les Russes et leurs alliés iraniens pour prendre le contrôle des principaux champs pétroliers de la province de Deir ez-Zor, dont Omar. Les FDS ont atteint leur objectif, en grande partie grâce au soutien américain, ce qui leur permet de contrôler aujourd’hui près de 85 % de la production pétrolière du pays.
D’après les médias turcs et des sources locales syriennes, le PYD a récemment signé un accord de troc avec Damas portant sur le champ d’Omar : pour chaque 100 barils fournis par le PYD au gouvernement, celui-ci lui livrerait l’équivalent de 75 barils de produits dérivés, essentiellement du diesel. Les capacités de raffinage dans le Nord-Est syrien étant inexistantes, le PYD est en effet dépendant des raffineries de Homs et de Banias, qui sont aux mains du régime. Les autres voies éventuelles, via la Turquie et l’Irak, sont bloquées pour des raisons politiques. Le PYD est considéré par les Turcs comme la filiale syrienne du PKK, l’ennemi juré d’Ankara, alors que du côté irakien c’est l’influence américaine qu’on veut circonscrire.
L'accord n'est pas le premier entre les deux parties : un arrangement similaire avait été conclu l’année dernière sur la production de pétrole dans la province de Hassaké. À l’époque, les deux parties se seraient entendues pour partager une production de 35 000 b/j à hauteur de deux tiers pour le régime et le reste pour les Kurdes et les troupes qui protègent les champs.
Ce nouvel accord souligne l'interdépendance économique des deux parties. Il confirme également que les États-Unis ne s'opposent pas forcément à des arrangements impliquant le régime, probablement parce qu’ils sont à court de solutions alternatives pour fournir des produits pétroliers dans cette zone du pays.
Nouvelle figure d’Alep
Cet accord a également mis en lumière le rôle d’un homme d’affaires basé à Alep, Baraa Qaterji (également orthographié Katerji), qui était un parfait inconnu avant le début du soulèvement populaire en 2011.
M. Qaterji – qui agit avec son frère Hussam – joue depuis plusieurs années un rôle d'intermédiation entre le régime et diverses autres parties. Il a déjà été impliqué dans l’arrangement de l’année dernière avec le PYD sur le partage des 35 000 b/j de Hassaké. En décembre 2016, lorsque le champ d'Omar était encore sous le contrôle de l'État islamique, il avait aussi joué l’intermédiaire entre le régime et l’EI permettant la conclusion d’un accord sur la vente de 2 000 b/j.
Les Qaterji sont originaires de la ville de Raqqa et ont utilisé leurs réseaux dans l'est du pays pour jouer leur rôle d'intermédiaires, et pour se poser comme des acteurs incontournables dans toute transaction commerciale d’envergure avec le nord-est du pays. Ils sont également impliqués dans la distribution de blé, qui est récolté dans l’est du pays. Hussam Qaterji a été récompensé de son rôle en étant “élu” à la Chambre du peuple (Parlement) en 2016 et en étant reçu personnellement par Bachar el-Assad. Si le régime a choisi de se tourner vers les Qaterji et non vers d’autres personnalités plus établies du monde des affaires, c’est que ces derniers n’ont pas les réseaux dans l’Est syrien que possèdent les Qaterji.
Ceux-ci se préparent aussi pour le moment où le régime reprendra tout le pays et où il n’aura plus besoin de leurs services. Ainsi, depuis 2016 ils créent des entreprises sous forme de SARL ou de SA dans le but de formaliser leurs activités économiques et de gagner une forme de respectabilité.
La dernière en date est la société Arfada Petroleum JSC au capital d’un milliard de livres syriennes, soit deux millions de dollars, qui doit justement fournir des services d'ingénierie dans des projets pétroliers et gaziers. Parmi les autres sociétés créées figurent Qaterji Real Estate Development qui doit s’activer dans la promotion immobilière, mais aussi des entreprises dans le domaine du transport et de la production agricole.
Les Qaterji symbolisent le changement dans la composition de la communauté des affaires syriennes. Une bonne partie des hommes d’affaires influents avant 2011 ont soit perdu leurs actifs, soit ont vu le niveau de leur activité fondre, ou ont dû quitter le pays. Ils ont été remplacés par des seigneurs de la guerre, de nouveaux intermédiaires ou des hommes d’affaires qui profitent du manque de compétition et des nouvelles activités liées au conflit.
Une autre particularité des Qaterji, qui est aussi celle d’autres hommes d’affaires comme Samer Foz, est qu’ils ne sont pas sous le coup de sanctions internationales. Ceci leur permet d’être des alternatives éventuelles pour construire des relations futures avec des partenaires occidentaux.
La raison de leur absence de ces listes n’est pas claire. Elle pourrait être liée à la faible connaissance par les fonctionnaires européens ou américains de ces nouvelles figures et donc à la difficulté de fournir des preuves claires de leurs soutiens au régime. Certains plus cyniques pensent que les Occidentaux veulent se laisser une marge de manœuvre dans leur relation avec le régime et la possibilité de garder des liens commerciaux.
Des tendances lourdes
L'accord sur le champ d'Omar confirme ainsi plusieurs caractéristiques de la guerre syrienne, à commencer par l'interdépendance économique des différentes parties au conflit. Ces dernières semaines ont d’ailleurs vu des tentatives de rapprochement entre Damas et les Kurdes en partie motivées par les menaces turques mais aussi par la nécessité de préserver leurs intérêts commerciaux respectifs.
L’accord confirme aussi l’approche réaliste des acteurs internationaux, dans ce cas celui des États-Unis, qui ne s’opposent pas au développement de relations économiques entre leurs alliés et le régime. Enfin, il souligne le rôle prééminent des nouveaux intermédiaires/seigneurs de guerre symbolisés par la famille Qaterji. Baraa et Hussam ont des réseaux et un savoir-faire dans cette partie du pays que n’ont pas les hommes d’affaires traditionnels syriens et qu’ils apportent au régime.
Ces hommes d’affaires vont graduellement s’intégrer dans l’économie formelle du pays. Le capital amassé durant le conflit va permettre aux Qaterji, comme à beaucoup d’autres personnalités qui ont émergé ces dernières années, d’investir dans de nouveaux secteurs d’activité, principalement l’immobilier.
L’intégration de ces hommes d’affaires dans les circuits économiques plus traditionnels ressemble beaucoup à ce qui s’est produit dans d’autres pays aux situations similaires, comme le Liban. Au Liban, par contre, l’accès à la sphère politique est complètement bouché. L’élection/nomination de M. Qaterji au Parlement n’a aucune portée en termes d’influence politique, le Parlement ne servant que de chambre d’enregistrement des décisions du régime et non pas d’espace de décision ou de négociation.