La reprise par les troupes du régime syrien du poste frontalier de Nassib avec la Jordanie devrait avoir d’importantes répercussions économiques et commerciales.
Le poste-frontière de Nassib entre la Jordanie et la Syrie était fermé depuis avril 2015, date à laquelle il était tombé sous le contrôle de forces affiliées à l’Armée syrienne libre, entraînant un arrêt des échanges commerciaux entre les deux pays, mais aussi entre la Syrie et le Liban, d’une part, et les pays du Golfe, de l’autre. Le passage des voyageurs avait également été suspendu.
Pour exporter vers le Golfe, un marché important pour toutes les économies de la région, les exportateurs syriens et libanais se sont rabattus sur des voies maritimes ou aériennes, plus longues et plus coûteuses.
La prise de contrôle de Nassib en juillet a donné au gouvernement syrien, pour la première fois depuis 2015, accès à un poste-frontière avec un pays autre que le Liban. Les postes-frontières avec l’Irak et avec la Turquie, ainsi que l’espace aérien de celle-ci sont toujours fermés. Une situation très pénalisante pour une économie dont l’un des atouts est sa situation géographique stratégique, au centre des flux entre, d’une part, la Turquie et le Golfe et, de l’autre, l’Irak et la Méditerranée.
Depuis des années, la réouverture du poste-frontière avec la Jordanie était une demande pressante des communautés des affaires syrienne, jordanienne mais aussi libanaise, et de nombreuses tentatives avaient eu lieu pour trouver des voies alternatives. En novembre 2016, par exemple, la Chambre de commerce et d’industrie de la province de Soueida, qui partage aussi une partie de ses frontières avec la Jordanie, avait proposé l’ouverture d’un poste frontalier alternatif.
Début mai, c’est une importante délégation d’hommes d’affaires jordaniens qui s’était rendue à Damas pour plaider la cause de la réouverture des frontières et de manière plus générale du développement des relations économiques et commerciales bilatérales.
Depuis le 7 juillet, le poste est sous le contrôle des troupes du régime syrien, même si la réouverture formelle du poste doit encore se réaliser, ce qui devrait prendre encore quelques semaines, le temps de sécuriser totalement la route.
De nombreuses retombées positives
La réouverture de Nassib devrait avoir de nombreuses retombées positives. L’impact politique est évidemment très important et va entraîner à terme une normalisation plus large avec la Jordanie qui encouragera le développement des relations économiques entre les deux pays.
Au niveau commercial, les exportations vers la Jordanie devraient reprendre. Selon les données des douanes syriennes, elles étaient de l’ordre de 400 millions de dollars en 2010, ce qui faisait de ce pays le quatrième client de la Syrie, si on exclut les exportations de pétrole brut vers l’Union européenne. Au-delà des flux commerciaux, les transactions entre la Syrie et la Jordanie vont pouvoir se développer de manière plus générale et il est probable qu’on assiste à une légère augmentation des investissements privés. Après 2012, de nombreux industriels syriens ont délocalisé leurs usines en Jordanie et il est probable que la réouverture du poste frontalier facilitera le retour de certains d’entre eux.
Les exportateurs syriens vont aussi à nouveau avoir accès au Golfe, l’un des grands marchés d’exportation de la Syrie avant 2011. En 2010, l’Arabie saoudite était le deuxième client du pays – là aussi en excluant les ventes de brut – avec des ventes d’une valeur de 533 millions de dollars. Les produits agricoles syriens étaient particulièrement compétitifs.
Mais l’ouverture de Nassib va permettre également un accès par la route, certes indirect puisque la frontière syro-irakienne reste fermée au marché irakien. Encore plus que l’Arabie saoudite, l’Irak était un marché primordial pour les exportations syriennes, notamment pour les produits de gamme moyenne qui pénétraient difficilement le marché saoudien. L’Irak a ainsi acheté près de 2,2 milliards de dollars de produits syriens en 2010. À court et moyen terme, il ne faut pas s’attendre à ce que les exportations syriennes retrouvent des niveaux proches de ceux de l’époque, car la capacité de production du pays a été largement détruite. Mais étant donné le très faible niveau actuel des exportations, qui s’élève à moins d’un milliard de dollars contre 12 milliards en 2010, le moindre développement positif aura un impact relativement significatif. Il est d’ailleurs probable que les statistiques officielles reflètent assez rapidement une augmentation de ces exportations cette année et la suivante.
En parallèle, les importations en provenance de la Jordanie et du Golfe vont également augmenter. Elles entreront en concurrence pour les produits syriens, mais avec les importations d'autres pays, ce qui devrait tirer les prix vers le bas, et contribuer à réduire les coûts des commerçants, des producteurs et des consommateurs syriens.
Pour l’État syrien, les recettes de transit à destination et en provenance du Liban vont renflouer un peu les caisses. La Syrie est la seule route terrestre pour les exportations libanaises vers le Golfe et l'Irak. Ces recettes seront en devises étrangères, ce dont l'économie syrienne a particulièrement besoin.
Enfin, les flux de voyageurs vers et à travers la Syrie vont également augmenter. En 2010, les Jordaniens formaient le deuxième plus grand contingent de touristes, derrière les Libanais, avec environ 1,9 million de visiteurs. Ils sont tombés en 2016 à 15 000. Les Irakiens étaient un million, les Saoudiens 484 000. Un grand nombre de ces visiteurs se rendaient en Syrie pour du tourisme médical et, dans le cas des Jordaniens et des Irakiens, pour des visites familiales. Ce type de tourisme va en partie reprendre même si la situation sécuritaire en Syrie et les tensions politiques avec certains pays, comme avec l’Arabie saoudite, vont sans doute limiter les flux. En outre, les flux de voyageurs entre, d’une part, le Liban et, d’autre part, la Jordanie, l’Irak et les pays du Golfe vont également augmenter, ce qui va aussi faire rentrer des recettes supplémentaires.
Reprise du commerce terrestre
La prise de Nassib survient quelques semaines après la réouverture de l'autoroute Homs-Hama et quelques mois après la reprise par les troupes du régime, soutenues par les alliés russes et iraniens, de la ville de Deir ez-Zor. Le défi pour les autorités syriennes est maintenant la réouverture d’une route directe avec Bagdad.
À plus long terme, c’est la frontière turque que les autorités syriennes vont vouloir rouvrir. La Turquie était le principal partenaire commercial de la Syrie avant 2011, même si c’était largement à l’avantage d’Ankara. Au-delà du marché turc, c’est une route terrestre vers le Caucase et l’Europe qui serait ouverte.
En mai, des médias affiliés à l’opposition syrienne avaient affirmé que des discussions étaient en cours entre les autorités militaires russes et turques pour permettre la réouverture du poste frontalier de Bab el-Salameh liant la ville d’Alep à celle de Gaziantep, qui représentait un axe routier stratégique liant la Turquie au Golfe, en passant par la Syrie.
Une telle démarche va requérir de longues négociations et a peu de chances d’aboutir rapidement, mais globalement, les obstacles au commerce et au transport à la fois interne et externe sont tout de même en train de tomber les uns après les autres. Cela devrait faciliter le déplacement des hommes et des marchandises, et rendre l’économie syrienne plus compétitive.