Un rapport conjoint de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Programme alimentaire mondial (PAM) met en lumière la situation dramatique de l’agriculture syrienne, même le retour de la sécurité permet une certaine stabilisation.
L’agriculture syrienne a été très durement affectée par le conflit. Les facteurs qui ont mené à la destruction d’une grande partie du secteur et à la baisse massive de la production sont connus. Ils incluent la destruction de presque toutes les infrastructures (irrigation, production, stockage, transport…) auxquelles s’ajoutent l’insécurité et la fragmentation territoriale, qui désorganise les réseaux de distribution ou de transport. Il faut également mentionner la fuite de la main-d’œuvre ou la pénurie de nombreux intrants (semences, engrais…) ,voire du fuel. La hausse du coût de ces intrants est d’ailleurs autant due à leur pénurie qu’à l’effondrement de la livre syrienne et aux sanctions, à l’absence de prêts bancaires et à la baisse des subventions gouvernementales à la production et à la consommation.
Selon un rapport publié en octobre dernier, conjointement par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), deux institutions affiliées aux Nations unies, certaines cultures continuent à subir l’impact du conflit, telles les céréales, même si grâce à l’amélioration de la sécurité dans de nombreuses parties du pays et une réduction des obstacles aux transports et à la distribution, l’agriculture syrienne commence à entrevoir une amélioration de ses principaux indicateurs.
Le blé connaît sa plus mauvaise récolte depuis 30 ans
Selon le rapport, la production de blé est tombée cette année à son plus bas niveau depuis près de 30 ans à 1,2 million de tonnes. En 2017, la récolte se montait encore à 1,8 million de tonnes.
Cette baisse dramatique est due à plusieurs facteurs, mais la pluviométrie particulièrement faible au début de la saison est en grande partie à blâmer. Quant aux zones irriguées, elles ont souffert de pluies importantes et de températures élevées hors saison, c’est-à-dire en mai et juin, juste avant la récolte.
La production de blé se situe ainsi à environ 30 % de sa moyenne durant la décennie qui a précédé le début du soulèvement populaire syrien, c’est-à-dire entre 2002 et 2011, quand la récolte se montait à 4,1 millions de tonnes.
Le blé est principalement récolté dans les quatre gouvernorats du Nord et Nord-Est syrien, soient Hassaké, Raqqa, Deir ez-Zor et Alep (la province d’Alep s’étend jusqu’à l’Euphrate et englobe de larges terres agricoles). À Hassaké, par exemple, la production a été divisée par deux par rapport à l’année dernière, passant de 619 000 tonnes, ce qui représentait le tiers de la production totale, à 286 000 tonnes cette année.
Quant à la production d’orge, autre culture stratégique, elle a été divisée par deux par rapport à 2017. Elle est ainsi tombée de 777 000 tonnes à 390 000 tonnes, soit son plus bas niveau depuis 10 ans. Plus de la moitié de la récolte, 221 000 tonnes, provient du gouvernorat d’Alep.
Une performance contrastée des cultures industrielles
Les performances des cultures industrielles syriennes (sucre, coton, tabac) sont contrastées. Les deux premières qui étaient historiquement considérées stratégiques, c’est-à-dire bénéficiant d’un soutien particulier du ministère de l’Agriculture, sont en chute dramatique, alors que le tabac, qui a un poids politique significatif car récolté principalement dans les zones côtières supportant le régime, s’en sort mieux.
En 2011, la betterave à sucre était plantée sur près de 25 000 hectares permettant une récolte de 1,8 million de tonnes. En 2018, ces surfaces se sont effondrées à 148 hectares.
Quant au coton, appelé l’or blanc de la Syrie durant les années 1950 et 1960, sa production avait commencé à baisser avant le début de la révolte à la suite de la décision du gouvernement de réduire son soutien à cette culture et de rationaliser d’une manière générale la consommation d’eau – la culture du coton est en effet grande consommatrice d’eau. Depuis 2011, les surfaces plantées avec du coton, principalement dans la région de Hassaké, se sont également effondrées de près de 90 % et les volumes récoltés ne dépassent pas les quelques milliers de tonnes par an, loin du record des 700 000 tonnes atteint en 2000.
Dans son paragraphe sur le coton, le rapport met en lumière l’impact de la guerre sur les chaînes d’approvisionnement du secteur agricole syrien.
La récolte du coton se fait en effet largement dans des zones tenues par les Kurdes du PYD, alors qu’il est surtout consommé dans les régions tenues par le régime où se trouvent toutes les grandes usines du secteur textile.
Pour leurs semences, les fermiers syriens s’approvisionnent ainsi auprès de la Turquie. Ils vendent ensuite leur récolte de coton aux autorités du PYD à un prix variant de 80 à 364 livres le kilo selon la qualité. Celles-ci répartissent les volumes dans les usines qui sont sous leur contrôle et vendent ensuite le coton égrené au gouvernement.
Le secteur du tabac s’en sort, quant à lui, relativement bien. Les surfaces plantées, qui se situaient à 11 000 hectares en 2011, ont évidemment baissé, mais dans une moindre mesure que les autres cultures et elles se sont reprises depuis 2016 pour se porter cette année à près de 7 000 hectares. L’une des raisons de cette relative bonne santé est le fait qu’une grande partie de la récolte se fait dans les zones côtières qui ont été relativement épargnées par le conflit. Mais aussi parce que le gouvernement a consenti un effort significatif pour ce secteur en multipliant par près de six, en l’espace de deux ans, le prix auquel il achète la récolte aux paysans.
Le tabac syrien, qui est relativement d’une bonne qualité, est principalement cultivé dans les montagnes côtières syriennes qui sont politiquement largement acquises au régime, d’où le soutien apporté à ce secteur. Une autre raison est qu’une récolte plus importante permet d’augmenter la production locale et réduire ainsi les importations de cigarettes, dont les Syriens sont très grands consommateurs, et donc les sorties de devises.
Des millions de têtes de bétail perdues
Alors que le secteur agricole syrien est surtout reconnu pour ses cultures, tels le blé et le coton, le bétail ne représente pas moins historiquement une part significative des revenus du secteur, y compris à l’export. Certaines années, l’élevage pouvait ainsi représenter en valeur jusqu’à 40 % de la production agricole syrienne et employer près de 20 % de la main-d’œuvre dans les régions rurales. Les exportations se montaient jusqu’à 450 millions de dollars et, en 2010, selon les données du FAO, une époque où la Syrie avait exporté 871 000 moutons.
Comme les autres secteurs, le cheptel animal a cependant été durement touché par le conflit. Depuis 2011, le nombre de moutons a baissé de moitié, de 18 à 9,8 millions de têtes ; celui de chèvres est passé de 2,3 à 1,6 million ; les bœufs ont vu leur nombre se réduire de 1,1 million à 650 000 ; quant au nombre de poulets, il a baissé de 26 à 11,5 millions.
Les éleveurs de moutons, dont une grande partie se trouvait dans la Badia, la zone semi-aride située entre l’Ouest et l’Est syrien, se sont retrouvés au milieu des lignes de front entre les différentes parties au conflit, y compris l’État islamique, les Kurdes du PYD et leur allié américain, le régime syrien et ses alliés russes et iraniens. Par conséquent, ils ont perdu une grande partie de leur bétail et ont quitté leur zone de résidence en grand nombre.
Par ailleurs, à cause du coût élevé de l’alimentation du bétail, beaucoup d’éleveurs tentent de vendre leurs moutons et poulets, mais les acheteurs sont peu nombreux, d’où une baisse des prix.
Les perspectives s’améliorent
Malgré une situation qui reste dramatique, le rapport estime que le secteur agricole se remet graduellement du conflit.
L’amélioration de la sécurité est un des grands facteurs qui explique cette amélioration avec un accès beaucoup plus facile aux marchés et des réseaux de transport et de distribution qui se fluidifient et qui font donc baisser les coûts. Par ailleurs, une partie du réseau d’irrigation est en train d’être réparée, alors que des paysans commencent à retourner à leurs terres. Les agriculteurs ont en particulier besoin de semences et d’une aide humanitaire durable afin de maintenir la sécurité alimentaire.
Ces améliorations restent cependant limitées et fragiles, et l’absence de moyens du gouvernement empêche que les investissements nécessaires se réalisent. Pourtant un regain d’activité de ce secteur est crucial, car une amélioration de la production agricole permettrait d’augmenter les revenus des zones rurales, de ralentir l’exode rural vers les villes et de réduire le coût des produits alimentaires dans les villes syriennes.