À la différence des promoteurs immobiliers, la société Legacy One a pour objectifs d’acquérir, de porter, puis de revendre les appartements de standing invendus dans le Grand Beyrouth. Pour lever, à terme, un capital d’un milliard de dollars, elle utilise une solution de financement relativement récente dans le secteur immobilier libanais : l’émission d’actions et d’obligations non cotées.
L’industrie immobilière donne encore des signes de vie en cette fin d’année 2018, malgré une demande en berne et des permis de construire en net recul. Deux cadors du secteur, Massaad Farès (président d’honneur de REAL, le syndicat des agents et consultants immobiliers au Liban) et Namir Cortas (président de REDAL, l’association des promoteurs immobiliers libanais), viennent de lancer la “plate-forme d’investissement” Legacy One.
S’il s’agit d’une “plate-forme”, c’est que la structure n’est pas à proprement parler d’un fonds d’investissement et demeure sous le statut juridique de société immobilière. Elle est lancée en partenariat avec la Lucid Investment Bank.
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Cette institution financière, enregistrée auprès de la Banque du Liban depuis 2012, jouera le rôle d’intermédiaire et d’administrateur financier. Dirigée par Waël el-Zein et Samir Taleb, la Lucid Investment Bank compte parmi ses principaux actionnaires Hassan Hachem, Fayçal el-Khalil et Joseph Sahyoun — connus pour leurs solides réseaux en Afrique — ainsi que Waël Siniora, fils de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora.
L’ambition de ce partenariat entre banquiers d’affaires et magnats de l’immobilier est de constituer dans un premier temps un portefeuille de 250 appartements de standing, localisés dans Beyrouth et ses banlieues, qui n’ont jusqu’ici pas trouvé preneur.
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Pour financer ces acquisitions pour lesquelles elle compte bénéficier d’une décote, Legacy One entend collecter une première tranche de 325 millions de dollars dans les prochains mois. Cette levée de fonds se présente sous la forme d’actions (75 millions de dollars), dont les projections de rendement interne affichent 15 %, mais aussi et surtout d’obligations (250 millions de dollars) à échéance de cinq ans avec une rémunération s’élevant à 6 et 7,5 %, selon les coupons.
Cette émission de titres non cotés s’adresse autant à des investisseurs institutionnels – notamment les banques libanaises – qu’à des individuels, à la condition qu’ils soient de nationalité libanaise en cas d’entrée au capital.
De par son statut juridique, Legacy One demeure en effet assujettie à la législation sur l’accès des étrangers à la propriété immobilière.
Finance et immobilier
Cette stratégie de collecte de fonds illustre parfaitement la tendance observée au Liban depuis 25 ans : l’importance toujours plus flagrante du lien entre finance et immobilier.
Solidere en est le pionnier depuis les années 1990 avec l’émission d’actions qui sont, elles, cotées à la Bourse de Beyrouth. Plus tard, lors du boom immobilier des années 2000, plusieurs grands promoteurs comme Mena Capital se sont appuyés sur des schémas de capital-investissement (private equity) pour la construction de tours résidentielles.
Par ailleurs, sur le modèle anglo-saxon des Real Estate Investment Trusts, un fonds de liquidation des biens immobiliers saisis par les banques, ouverts aux investisseurs extérieurs, avait été envisagé, mais jamais réalisé, par la Banque du Liban en 2003. Le schéma d’ingénierie financière retenu par Legacy One poursuit ce mouvement de financiarisation qui transforme des biens fonciers et immobiliers en actifs financiers.
Les futurs investisseurs détiendront ainsi un pourcentage du portefeuille immobilier géré par la société sans être directement propriétaire d’un appartement.
Désendetter les promoteurs
L’objectif de Legacy One est de redonner une “bouffée d’oxygène” au secteur immobilier, reconnaît sans ambages Massaad Farès.
Selon l’agence Ramco, près de 250 appartements de luxe n’auraient en effet pas trouvé preneur rien qu’au centre-ville à l'été 2017.
D’abord, cet apport d’argent frais doit permettre aux promoteurs en disgrâce financière de liquider tout ou partie de leurs stocks pour rembourser leurs emprunts auprès des banques. Par ailleurs, cette “plate-forme” a pour ambition d’atteindre une nouvelle catégorie d’acquéreurs finaux, une fois le portage effectué, pour relancer un marché aujourd’hui atone.
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Comme souvent, l’industrie immobilière cible la diaspora. Legacy One estime pouvoir convaincre les Libanais vivant en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique ou en Australie d’acheter un appartement grâce à un large réseau d’intermédiaires, ainsi qu’à une offre de services (one-stop-shop, service après-vente, etc.) qui n’est aujourd’hui pas proposée par les promoteurs présents sur le marché.
Incertitudes en pagaille
Faire du profit sur la revente à l’unité d’un stock d’appartements acheté avec une décote et redynamiser le marché immobilier de standing sont les deux grands paris de Legacy One.
Le modèle économique retenu pose cependant un certain nombre de questions pour lesquelles Massaad Farès peine à trouver des réponses : dans quelle mesure, par exemple, les actions et obligations émises seront attractives pour les investisseurs face à la hausse des rendements des dépôts bancaires et des obligations d’État ? Quel sera l’impact de la décote exigée par la “plate-forme” lors de l’acquisition des appartements sur des prix immobiliers déjà à la baisse ?
Que deviendra concrètement ce portefeuille d’appartements si la société ne trouve pas d’acquéreurs ou si les prix immobiliers s’effondrent ? À bien des égards, l’initiative de Legacy One n’est donc pas sans risque et va contribuer, par ailleurs, à renforcer l’exposition du marché immobilier beyrouthin à la volatilité du monde de la finance.