Rania Abou Moslé a remporté en novembre le titre de "Femme entrepreneure de l'année" à l'occasion des Brilliant Lebanese Award 2018. Elle est entre autres aux manettes d'AMB Contracting, une PME spécialisée dans le tri des déchets municipaux.
Lorsque Rania Abou Moslé, 37 ans, entre dans une pièce, elle en impose : une assurance affûtée qui a contribué à lui faire gagner le prix de la femme entrepreneure de l’année, récompensant le parcours professionnel d’une Libanaise à la carrière exemplaire.
Sa maîtrise de soi saute aux yeux. Mais c’est davantage peut-être le secteur dans lequel elle a fait son nid – la gestion des déchets solides – qui a contribué à son succès auprès des jurés de ce prix, organisé depuis 2012 par la BLC Bank.
«Les déchets sont un sujet qui a fait la une de l’actualité à maintes reprises et pas sous un jour positif... Récompenser une entreprise comme la mienne relevait, je crois, d’une forme de reconnaissance pour le travail ingrat – mais nécessaire – que nous accomplissons.»
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Elle n’a jamais envisagé de se présenter à pareil concours, c’est la directrice de l’établissement bancaire de Aley, la région où elle vit, qui l’a convaincue de concourir.
Pour autant, Rania Abou Moslé ne boude pas son plaisir. «Je voulais gagner évidemment, mais je ne m’attendais pas à être aussi heureuse. J’ai gagné en visibilité et cela m’a vraiment plu», se souvient-elle.
Un secteur d’activités pas banal
On la croit sur parole. Car Rania Abou Moslé détient ce “feu sacré”, qui la pousse à toujours aller de l’avant.
Serial entrepreneure, elle a d’abord fondé AMB Consulting en 2009, une société d’audit spécialisée dans la réalisation d’études d’impact environnemental.
Jusqu’en 2013, elle a ainsi travaillé pour l’énorme projet de Pearl Qatar, l’archipel d’îles artificielles en construction au Qatar, situé non loin de la capitale Doha. «Au départ, AMB Consulting devait simplement gérer l’étude d’impact environnemental du projet», raconte-t-elle. Mais son professionnalisme la fait remarquer.
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L’entreprise qatariote, qui gère cet énorme chantier, United Development Company (UDC), commence en effet à chercher des sous-traitants pour assurer le ramassage, le transport et la gestion des déchets de ces îles. Et c’est presque naturellement qu’on lui demande d’envisager cette évolution de carrière.
«C’est dans ce cadre que j’ai fondé en 2011 AMB Contracting et c’est ainsi que nous avons obtenu notre premier contrat.»
Aujourd’hui, ses entreprises ont été regroupées dans une holding : AMB Consulting, qui emploie quatre salariés à plein-temps, intervient dans la région du Moyen-Orient.
Au Liban, la société a, par exemple, été chargée de réaliser l’étude d’impact environnemental de la décharge sanitaire de Bourj Hammoud. Si AMB Consulting reste une petite structure, elle a malgré tout déclaré un chiffre d’affaires de 300.000 dollars en 2017.
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Quant à AMB Contracting, qui se concentre sur la gestion des déchets solides, elle emploie 90 salariés pour un chiffre d’affaires qui avoisine les cinq millions de dollars ces dernières années. Au Liban, l’entreprise gère le centre de tri et de recyclage de Tripoli.
Depuis, Rania Abou Moslé a ajouté une nouvelle corde à son arc. En 2014, elle a racheté AMC, une compagnie spécialisée dans le développement des systèmes d’automatisation pour la vie de tous les jours. «Lors de mon séjour à Qatar, j’avais pu constater qu’une demande forte existait en matière d’intégration de système. Comme ce n’était pas mon cœur d’expertise, j’ai préféré acheter une société et m’associer à un partenaire dont l’expérience était incontestable.»
Rania Abou Moslé détient 60 % des parts d’AMC, quant à Walid Chahine, son partenaire, il conserve les 40 % restants.
Basée à Doha, cette société réalise près de 10 millions de dollars de chiffre d’affaires annuels et compte 90 salariés.
Un succès qui n’empêche pas les déboires
Aurait-elle les yeux plus gros que le ventre ? En tous les cas, la fin du chantier de Pearl Qatar en 2013 sonne le début d’une période difficile pour AMB.
«Nous ne gagnions aucun appel d’offres, se souvient Rania. J’étais réellement inquiète.»
Le “mauvais œil” est de courte durée : dès 2014, elle remporte l’appel d’offres pour la gestion d’une usine dans le Chouf, qui doit traiter environ 40 tonnes par jour de déchets solides. “Un petit contrat” qui lui met malgré tout le pied à l’étrier au Liban.
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Assez vite, les succès s’enchaînent à nouveau : fin 2017, AMB Contracting se voit attribuer l’un des plus gros contrats de gestion des déchets du pays : le tout nouveau centre de tri de Tripoli, dont la construction a été financée par l’Union européenne.
Le contrat porte sur 500 tonnes par jour et un prix de 25 dollars la tonne. La société est alors censée revaloriser jusqu’à 80 % des déchets collectés.
Pour obtenir ce contrat, AMB Contracting a investi cinq millions de dollars. «La moitié de cette somme venait de subventions sous forme de prêts à taux préférentiels ; un million provenait de prêts bancaires à taux élevés et un million et demi de nos fonds propres, précise-t-elle. Nous avons dû nous démarquer des grosses entreprises avec qui nous étions en concurrence.»
Son investissement sert à améliorer l’infrastructure du centre, en achetant en particulier des machines capables de mieux trier et d’accélérer les process de séparation des déchets.
Une entrepreneure touche-à-tout
Mais assez vite, en 2018, AMB Contracting se retrouve au cœur d’un gros scandale sanitaire : dans les quartiers environnants le centre de tri, des effluves pestilentiels se répandent, au grand dam des habitants qui manifestent leur mécontentement dans les rues. L’État ordonne alors la fermeture du centre de tri qu’il incrimine. Pour les autorités, en effet, le doute n’est pas permis : c’est la fabrication du compost fait dans un espace clos, mais fortement ventilé, qui porte la responsabilité de ces vents malodorants.
Rania Abou Moslé, elle, se voit accusée de mauvaise gestion, ce qu’elle conteste de manière véhémente. «Le centre est implanté dans un environnement où on trouve à sa proximité une gigantesque décharge à ciel ouvert sans compter un abattoir… Mais ces structures n’ont pas été inquiétées, moi en revanche si.»
Pour répondre à la crise, l’entreprise ferme plusieurs mois le temps de faire les ajustements nécessaires. Montant des travaux : 450.000 dollars.
Avec, Rania Abou Moslé achète notamment de nouveaux filtres, met en place tout un système de ventilation pour réduire les odeurs qui pourraient se dégager du compost en cours de fabrication.
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De toutes les façons, le centre de Tripoli renonce à produire du compost à la demande du gouvernement. « C’est normalement de manière provisoire. Nous attendons le feu vert du gouvernement. » Mais c’est cela qui fait baisser ses rendements en matière de déchets revalorisés.
«Aujourd’hui, nous recyclons ou ne revalorisons que 6 à 8 % des déchets qui nous parviennent. Responsable : notamment l’absence de tri à la source qui ne nous permet pas de mieux catégoriser les déchets. Mais le centre a également dû renoncer à la mise en œuvre de son installation de Refuse Derived Fuel (RDF), l’une des très rares au Liban, censée produire un combustible alternatif à partir de déchets pour alimenter de grosses usines à l’image des cimenteries de la région.»
«Le gouvernement devait signer un contrat avec les cimenteries pour son emploi. À ce jour, nous sommes toujours en attente.»
Là où tout a commencé
Retour en arrière, lorsqu’elle commence ses études en 1998 à l’Université américaine de Beyrouth, Rania Abou Moslé se tourne vers l’ingénierie agricole et environnementale.
«Rien ne me prédestinait à travailler dans la terre, mais je voulais avoir un impact positif sur le monde et l’environnement me semblait une filière où l’action et la volonté pouvaient influer», explique-t-elle.
Pendant ses études, elle rejoint l’ONG Green Line et travaille sur l’impact environnemental de plusieurs projets de développement durable. À l’université, en parallèle, elle enchaîne avec un master de gestion d’écosystèmes. Cette spécialisation lui ouvre les portes de beaucoup de grosses institutions : parmi ses premiers employeurs figurent le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) ou le ministère de l’Environnement. Elle est également recrutée par l’Union européenne avant de prendre la direction du Qatar en 2006. Elle y reste quatre années.
Quand elle rentre au pays, cette entrepreneure née veut «continuer à apprendre». Elle profite d’ailleurs de la baisse momentanée de l’activité de son entreprise pour se lancer dans un MBA.
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Pour le finaliser, elle choisit l’Institut européen d’administration des affaires, école de commerce française à la renommée mondiale. «J’ai développé mon réseau et j’ai appris la gestion d’une entreprise à l’européenne. Parmi les principes qui m’ont été inculqués figure, par exemple, la lutte contre la corruption.»
Pas question pour elle de s’arrêter en si bon chemin. En 2016, la voilà qui intègre Harvard pour un programme de développement de leadership. «Cette fois, il s’agissait d’un “programme à l’américaine” où l’on travaillait sur la gestion des équipes ; sur “comment être un bon dirigeant”.»
Rania Abou Moslé en sortira plus confiante que jamais.
Le futur ? Rania Abou Moslé ne le voit pas clairement, mais l’aborde avec toujours autant d’assurance. «Nous attendons la réponse de trois appels d’offres différents que nous espérons remporter au Liban.»
Bio Express Depuis 2014 : directrice générale d’AMC Qatar. Depuis 2011 : directrice générale d’AMB Contracting. Depuis 2010 : directrice générale d’AMB Consulting. 2006-2010 : directrice régionale (Asie) et de programme pour la Fondation du Qatar. 2006-2007 : consultante, spécialiste développements régionaux pour le CDR. 2005-2006 : consultante environnementale pour le ministère de l’Environnement, l’Union européenne et le CDR. 1998-2004 : licence en ingénierie agricole, puis ingénierie environnementale à l’AUB. |