La cofondatrice de Mumzworld, première plate-forme de vente en ligne de produits et d’accessoires pour mamans et nouveau-nés de la région, a un parcours jalonné de prises de risques.
Le récit que Mona Ataya fait de sa journée type ne diffère pas trop de celui d’une mère de famille lambda. Lever à six heures du matin, petit déjeuner avec son mari et ses trois fils, préparatifs du plus jeune pour l’école, départ au travail et retour à la maison pour le sacro-saint repas du soir. Le week-end respecte lui aussi une série d’impératifs quasi inamovibles rythmé par les leçons de piano et les bords de terrains de rugby. Pour une entrepreneure, qui se veut à la tête du « plus grand réseau de mamans du monde arabe », rien d’étonnant à l’entendre mettre en avant ces moments “sacrés” en famille. Mais derrière ce « travail permanent de mère » qu’elle aime à détailler se détache une autre figure : celle d’une femme d’affaires chevronnée, classée à deux reprises par le magazine arabianbusiness, en 2014 puis 2015, parmi les 100 femmes les plus influentes du monde arabe. Son autre bébé, Mumzworld, lui a valu des dizaines d’autres distinctions. Son CV en récence quatre-vingt. « Pour moi, ces prix ne veulent pas dire grand-chose, répond-elle depuis son bureau de Dubaï. Le plus important est que mon travail ait un impact social et positif. » À l’aube de son huitième anniversaire, la petite start-up lancée en 2011 s’est imposée comme la première plate-forme régionale de vente en ligne de produits et d’accessoires pour mamans et nouveau-nés. Sur son site, Mumzworld présente près de 1 800 marques et propose plus de 200 000 produits (dont 25 000 exclusifs). L’entreprise revendique ainsi un réseau « plus de deux millions de mamans » réparti sur vingt pays de la région Mena. « En tant que chef d’entreprise, je suis guidée par l’ambition et l’excellence », explique cette Libanaise d’origine.
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Du pays du Cèdre, Mona Ataya a gardé un passeport hérité de son père et quelques souvenirs de vacances chez ses grands-parents. Car pour le reste, l’histoire de famille s’écrit plus au sud au Koweït. C’est dans ce petit État du Golfe coincé entre l’Arabie saoudite et l’Irak que la fratrie Ataya – trois frères et une sœur – voit le jour. Là aussi que la jeune Ataya fait ses classes et décroche sans encombre son GCSE (le diplôme d’études secondaires délivré par les établissements britanniques). Mais en 1990, Saddam Hussein se lance à l’assaut de son petit voisin. Mona Ataya a 16 ans et les États-Unis mettent sur pied une coalition internationale pour voler au secours de la monarchie sunnite (et accessoirement sécuriser leur approvisionnement en pétrole). La famille, elle, choisit l’exil aux États-Unis. Loin du bruit des bottes, Mona Ataya se lance dans un double cursus en marketing et finance, et entre, à l’âge de 20 ans, chez le géant américain de produits ménagers et d’hygiène Procter & Gamble. « J’étais très jeune, mais ce premier emploi a été une chance », se souvient-elle. Au sein de la marque, elle découvre les ficèles du marketing avant de prendre le large, direction la Suisse, pour parfaire son CV du côté de la concurrence chez Johnson & Johnson.
L’embryon Mumzworld
Comme pour tout entrepreneur, la carrière de Mona Ataya est jalonnée de prises de risques. « Chaque changement a été radical, confie-t-elle. Je ne crois pas à l’évolution, mais à la révolution. » Quand elle revient dans le Golfe, c’est donc pour « révolutionner le marché du travail ». Rien que ça. « J’avais une situation très confortable chez Johnson & Johnson avec l’opportunité de gravir les échelons rapidement. C’était la situation professionnelle dont j’avais toujours rêvé, mais j’ai tout quitté pour un paysage incertain. » Son nouveau projet s’appuie sur un constat : le Moyen-Orient regorge de profils qualifiés, mais l’absence d’opportunités et la dictature du piston (la fameuse wasta) poussent de trop nombreux talents dans les bras des multinationales occidentales. En 2000, elle lance donc avec son frère Rabea bayt.com, la première plate-forme d’offre d’emplois en ligne. Le site propose d’être un pont entre les entreprises et les demandeurs d’emplois.
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Dix-neuf ans plus tard, bayt.com – dont elle est toujours actionnaire – a réussi son pari. L’entreprise figure parmi les leaders du secteur avec 35 millions d’utilisateurs enregistrés (professionnels et de demandeurs d’emplois confondus) et une moyenne de 16 000 visites par jour. Entre-temps, Mona Ataya est devenue mère. Cela pourrait paraître anecdotique quand on s’attache à retracer le parcours professionnel d’une entrepreneure, mais c’est de cette nouvelle responsabilité que germe l’embryon Mumzworld. « Quelques années après la naissance de mon premier fils, j’ai réalisé à quel point il était difficile d’avoir accès à des produits de qualité pour les enfants à des prix abordables », raconte-t-elle. L’instinct entrepreneurial déjà affûté, la Libanaise se met en retrait de bayt.com et lance avec Leena Khalil sa propre start-up. « Avec Mumzworld, l’objectif était de créer une marque susceptible de redonner un pouvoir de décision aux femmes (empower) avec un impact sur la région tout en créant un réseau d’entraide. » Là encore, le pari est risqué. Car en ce début des années 2010, l’écosystème du commerce en ligne dans la région n’en est qu’à ses premiers pas. Pour mettre sur pied un business florissant, Mona Ataya doit trouver des soutiens, gagner la confiance des marques, attirer des investisseurs, dénicher des portails de paiement en ligne dignes de confiance, opérer avec des relais de livraisons efficaces… Pas à pas la structure s’impose sur ce marché en ligne encore vierge. Dans une présentation destinée à la presse, Mumzworld revendique « une croissance chaque année multipliée par deux ». La firme se donne désormais cinq ans pour entrer dans le club fermé des “licornes”, le surnom donné aux start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars. Pour y parvenir, Mona Ataya mise sur une expansion régionale. Et l’avenir est prometteur. À en croire une étude publiée fin 2018 par Google et le cabinet de conseil Bain & Company, le marché des achats en ligne dans la région Mena devrait atteindre 28,5 milliards de dollars d’ici à 2021, soit une hausse de 28 % par rapport à 2017, tirée par l’Arabie saoudite. C’est notamment pour se développer dans le royaume que Mumzworld a levé vingt millions de dollars en octobre dernier, auprès du fonds Gulf Islamic Investments devenu actionnaire majoritaire. Mona Ataya cible désormais près de 15 millions de mères de famille dans toute la région, mais « notre plus gros challenge est de s’assurer que les infrastructures et les employés sont prêts pour une telle expansion », ajoute-t-elle.
Bio express 1992 : diplômée d’un double cursus en marketing et finance, elle entre à 20 ans chez Procter & Gamble à Cincinatti 2000 : fonde avec son frère la plateforme bayt.com 2011 : cofonde avec Leena Khalil Mumzworld 2014 et 2015 : considérée comme l’une des 100 personnalités arabes les plus puissantes selon Arabian Business 2018 : Mumzworld se classe en première position des douze entreprises les plus prometteuses du Moyen-Orient du magazine Forbes. |