Quadras et déjà patrons
La loyauté est vite récompensée si elle est audacieuse. Telle est la leçon que la carrière de Charles Haddad pourrait enseigner, lui qui a pris en main la direction de L’Oréal Luxe Middle East en 2016 alors qu’il venait de fêter ses 38 ans. C’était il y a trois ans. « L’Oréal a une politique très engagée en matière de ressources humaines, qui prend des paris, notamment sur les jeunes managers, leur donne des responsabilités très tôt et les conditions nécessaires pour réussir. Elle encourage l’esprit entrepreneurial et favorise l’équilibre vie professionnelle/vie privée en proposant de plus en plus de flexibilité », avance celui qui a commencé en 2004 chez L’Oréal France comme chef de produit.
Comme la plupart des “CEO sprinters”, la carrière de Charles Haddad est faite de grands sauts, mais toujours en accord avec son environnement. Après avoir grandi à Beyrouth, le jeune homme arrive en France à 16 ans, et vit ce changement non pas comme une rupture douloureuse, mais avec un sentiment « d’excitation, de trac et d’enthousiasme ». Il fait ses études supérieures à l’université Paris Dauphine puis à l’ESCP. Après diverses expériences professionnelles, il entame sa carrière à 26 ans chez L’Oréal dans une filière somme toute banale dans cette entreprise : le marketing. Mais à 28 ans, il se fait remarquer par la direction du groupe en créant de lui-même une nouvelle gamme de produit cosmétique en France. Bien que le produit ne connaisse pas le succès commercial, le jeune marketeur est repéré : il change de poste et fait ses gammes dans le segment Luxe.
Quatre ans plus tard, il fait un deuxième pari : retourner au Liban. Sa maîtrise de l’arabe le distinguant, il obtient à 32 ans un poste de marketeur opérationnel pour le Levant (Liban, Jordanie, Irak), une zone qu’il sera par la suite appelé à diriger. « Ce poste a été un vrai défi, j’étais un tout jeune directeur général et la situation du pays entre 2012 et 2015 n’était pas facile », reconnaît-il.
La simplicité apparente de sa progression est le fruit de ce mélange d’audace et d’engagement. Sa nomination au siège régional de Dubaï le prouve. « Ce nouveau poste était pour moi un gros challenge ; je savais qu’il y avait beaucoup à faire et des décisions difficiles à prendre », avoue-t-il. Ses prédécesseurs avaient, il est vrai, tous dix ans de plus que lui lorsqu’ils ont accédé à cette même fonction. Mais la division avait besoin d’un sérieux coup d’accélérateur pour améliorer l’image et le taux de pénétration des produits L’Oréal dans la région. « J’ai joué cartes sur table avec ma direction en leur montrant ce qui pouvait à mon sens être amélioré et vers où nous pouvions vraisemblablement aller, sans aucun tabou, explique-t-il. Nous étions sur une même ligne. La confiance et le soutien dont j’ai bénéficié de la part de ma direction ont beaucoup aidé. »
Le contexte aussi est favorable : la région n’a contribué qu’à 3 % des résultats de L’Oréal (26,9 milliards d’euros au total) en 2018, mais les perspectives sont très prometteuses. « La région a beaucoup de potentiel : le secteur de la beauté y pèse près de 9 milliards de dollars, selon nos estimations, dont environ 60 % dans les pays du Golfe. Ici les produits de luxe comptent pour plus du tiers du marché, ce qui est supérieur à la moyenne d’autres pays. »
Comme beaucoup de jeunes dirigeants, Charles Haddad prône un management plus souple, axé sur la responsabilisation des salariés plutôt que leur contrôle. Une fois de plus, sa façon de faire s’accorde aux évolutions du groupe, qui a lancé il y a deux ans une refonte des méthodes managériales. « Mon envie personnelle et le projet d’entreprise ont à nouveau trouvé ici un chemin commun : il s’agit d’encourager l’agilité et la créativité en donnant davantage de pouvoir aux équipes, une fois le cadre stratégique défini. Ce qui favorise la collaboration et la culture du feedback. » Une symbiose qui n’est pas prête de s’arrêter : le quadra espère continuer à grimper et à montrer son engagement sans faille pour l’entreprise.