Banquière, fondatrice d’une école de mode à Istanbul, coach professionnelle… la directrice générale de LIFE, le réseau d’entraide des financiers libanais, a un parcours atypique.
Nadine Massoud, la directrice générale de la Lebanese International Finance Executives (LIFE), n’a pas l’habitude des projecteurs. « Vous n'allez pas trop insister sur ma vie, j'espère ? » dit-elle avant de se prêter finalement au jeu du portrait.
Le réseau qu’elle dirige, et qui regroupe 800 membres dans le monde, mérite pourtant l’attention du public. Ne serait-ce que parce qu’il a délivré depuis son lancement, en 2009, quelque 217 bourses (pour un total de trois millions de dollars) à des étudiants libanais qui n’avaient pas les moyens de poursuivre leurs cursus.
L’association, fondée et longtemps dirigée par Paul Raphaël, ancien de Crédit Suisse et aujourd’hui vice-président exécutif d’UBS, fête ses dix ans cette année. Pour Nadine Massoud, qui en a repris les rênes en 2017, c’est l’occasion d’imprimer sa marque.
« Nous avons énormément de projets », dit-elle. On n’en saura pas plus : car ces “projets” ne seront dévoilés que lors d’un grand gala à Beyrouth le 5 août. « Je peux néanmoins vous dire que nous organiserons une grande exposition du 8 au 16 novembre à Londres dédiée aux artistes libanais. Un des piliers de LIFE est de promouvoir les Libanais à l’étranger : cette exposition met en avant leur incroyable créativité. »
C’est aussi ce qui donne sens à la déjà longue carrière de Nadine Massoud, marquée par d’étonnants revirements.
Des choix de vie très marqués
Financière de haut vol pendant près d’une vingtaine d’années chez Merrill Lynch, elle n’a pas hésité à envoyer valdinguer le monde de la banque d’investissement londonienne pour fonder une école de mode à Istanbul. « Ce métier, je l’avais vécu à un moment d’extrême liberté et de grande créativité. Mais à partir de la crise de 2008, nous étions contraints dans nos actions. »
Un premier saut dans le vide, qu’elle réitère quelques années plus tard en s’installant comme coach pour cadres exécutifs avant d’être finalement chassée pour prendre la tête de LIFE. « Je suis une femme d’action. Je ne sais pas faire les choses à moitié », s’amuse-t-elle.
Ces choix forts traduisent chez elle un impératif catégorique : Nadine Massoud entend « faire quelque chose de sa vie ».
Le port de Beyrouth en flamme que Nadine Massoud regarde, enfant, depuis les fenêtres de l’appartement familial de Gemmayzé, alors que la guerre de 1975 commence tout juste, lui a laissé des marques profondes. « Oui, je crois que c’est ce qui a motivé une certaine direction dans ma vie. »
Les Massoud fuient alors Beyrouth pour Paris. Nadine a 11 ans et ne reviendra plus qu’épisodiquement dans son pays natal. « Nos voisins pensaient tous que la guerre n’allait pas durer. Mon père pressentait que nous entrions dans un très long cycle de violence. Il est parti en France chercher un emploi. Un mois plus tard, il est revenu avec des billets d’avion pour toute la famille. »
À Paris, ses parents l’inscrivent à la très chic école Notre-Dame des Oiseaux. Un enseignement d’excellence qu’elle prolonge ensuite à la Sorbonne où elle finalise un master d’économie. « À cette époque, j’avais une âme de révolutionnaire et de la sympathie pour la gauche », s’amuse celle qui passa deux ans sur le campus de Tolbiac, réputé “maoïste”.
Trouver sa place
Elle ne le restera pas longtemps : son goût pour la macroéconomie la jette dans les bras de la banque au sortir de ses études. Nadine Massoud se fait d’abord les dents au Crédit commercial de France avant de se laisser séduire par la banque japonaise Nikko Securities, pour enfin atterrir à UBS au début des années 1990.
«J’y suis peu restée à chaque fois, deux années tout au plus… Les missions qu’on me confiait ne correspondaient pas à mes attentes.»
La révélation tarde jusqu’à ce qu’elle intègre, en 1993, Merrill Lynch à Londres. «Les Américains étaient de loin les plus avancés en finance. Chez Merrill, j’adorais mon métier. J’avais l’appui du grand patron de New York, Edson Mitchell, qui m’a laissé les coudées franches.»
Ses premières années, elle les démarre sous la haute protection de cet homme que d’autres surnommaient le “requin” ou le “terminator”. «Il est parti assez vite à la Deutsche Bank. J’ai reçu plusieurs sollicitations pour l’y rejoindre. Mais je ne pensais pas alors avoir besoin d’un mentor pour réussir et j’aimais profondément ce que je faisais à Merrill Lynch.»
Elle prend d’abord en charge les crédits structurés pour les clients français de la banque américaine, puis supervise les relations avec les fonds souverains de la région Europe, Moyen-Orient et Afrique.
Mais en 2008, la crise frappe la banque de plein fouet. Après Lehman Brothers, Merrill Lynch est à son tour happé par le typhon financier que l’ancien président de la Fed, Alan Greespan, juge se produire «probablement qu’une fois par siècle».
À court de liquidités, la banque est rachetée pour 50 milliards de dollars par sa compatriote Bank of America (BofA).
Pour Nadine Massoud, une page se tourne. «J’avais donné 16 ans à cette banque. Je savais que pour accéder à de plus hautes fonctions, il fallait avoir un sens de l’opportunisme qui me manquait. J’ai préféré explorer d’autres pistes d’avenir.»
Virage radical
C’est un virage radical qu’elle opère. Amatrice de mode, elle lance la branche turque de l’École supérieure des arts et techniques de la mode (Esmod). «Il n’y existait aucune grande école de mode. J’y ai vu une opportunité commerciale à saisir.»
Nadine Massoud a une relation privilégiée, il est vrai, avec l’école parisienne fondée en 1841 par le tailleur de l’impératrice Eugénie : ses parents, rentrés au Liban en 1995, ont inauguré le pendant libanais d’Esmod en 1999 (désormais hébergé au sein de l’Université Saint-Joseph). «Esmod, c’est une histoire de famille», avance-t-elle.
Elle ouvre donc l’antenne d’Istanbul en 2010. Très vite toutefois elle se trouve confrontée à la réalité d’un marché qui fonctionne par relation et reste marqué par une certaine opacité.
Cela a représenté une expérience excessivement dure. Il est très difficile de réussir sans partenaire turc.»
Elle dit avoir même été victime d’un “acharnement administratif”, du fait de son statut d’investisseur étranger. À cela s’ajoute le fait que son mari et ses deux garçons sont restés à Londres, entraînant pour elle des allers-retours incessants.
Bio express Mariée, deux enfants, Londres. Depuis 2017 : directrice générale de Lebanese International Finance Executives. 2017 : Preston Associates, coach professionnelle. Depuis 2009 : fondatrice et actionnaire d’Esmod Istanbul. 1993-2009 : Merrill Lynch, directrice générale chargée de crédits structurés puis des relations avec les fonds souverains des pays de la zone EMEA. 1983-1987 : Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, maîtrise d’économie. |
En 2012, la coupe est pleine : Nadine Massoud cherche un repreneur. Elle en trouve un en la personne de Cem Hakko, héritier de la marque turque de vêtement Vakko, qui reprend 51% des parts d’Esmod-Turquie. «C’est le meilleur deal que j’ai jamais fait.» À Istanbul, elle reste deux ans encore pour pérenniser la franchise de l’école. Lorsqu’elle passe le relais à la nouvelle directrice, l’école est devenue une référence, assure-t-elle.
Mais que faire alors que 2016 signe son grand retour à Londres? Ceux qui la connaissent ne seront pas étonnés de sa nouvelle remise en cause. Cette fois, elle se lance dans le coaching, en rejoignant la société Preston Associates, qui compte Danone, EDF ou encore Barclays parmi ses clients.
«J’ai toujours aimé le mentoring, justifie-t-elle. C’était une technique que je mettais en œuvre déjà à Merrill Lynch, en particulier pour les femmes, alors que nous étions si peu nombreuses à des postes à responsabilités. À Esmod, l’un de mes centres d’intérêt était également les relations avec les élèves.»
Elle débute à peine lorsque LIFE la démarche. «Nous avions fait appel à un chasseur de tête », se souvient Paul Raphaël, l’ancien président de LIFE.
«Cela n’avait rien donné. Une amie m’a alors parlé de Nadine Massoud. Je la connaissais de Merrill Lynch, mais nous nous étions perdus de vue.»
Ce qui séduit le comité de direction chez elle? Sa connaissance du monde de la finance. Mais c’est surtout son intelligence émotionnelle qui rafle la mise : «Dans une association comme la nôtre, il faut savoir discuter avec de fortes personnalités. Or, Nadine a un vrai sens de l’écoute, qui rend justement cela possible.»
Elle tergiverse pourtant, s’imaginant d’abord dans un rôle de bénévole.
Si “la discrète” Nadine Massoud finit par accepter, c’est sans doute parce que diriger LIFE répond bien à sa règle de vie : s’inscrire dans un dessein, contribuer à un projet de société…