Chypre, Grèce, Turquie, Dubaï… une poignée de propriétaires acceptent de vendre au prix fort leurs biens à l’étranger, contre un paiement partiel ou total au Liban.
« Payez au Liban votre appartement chypriote », « achetez à Athènes, payez au Liban », « payez au Liban, devenez propriétaire en Turquie »… Les campagnes d’affichage et les publicités agressives sur les réseaux sociaux se sont multipliées ces dernières semaines pour promouvoir les offres des agents immobiliers libanais à l’étranger.
L’investissement dans la pierre séduit depuis l’instauration le 17 octobre d’un contrôle des capitaux officieux et en raison de la crainte d’un “haircut” sur les dépôts bancaires. Et, quoique relativement plus rares, les offres pour l’achat de biens hors du Liban avec paiement intégral ou partiel sur place suscitent un fort regain d’intérêt.
Les offres étant limitées et la demande très élevée, les prix flambent. « Ces biens sont parfois 20 % au-dessus des prix du marché, affirme Pierre Francis, PDG de l’agence ISold Real Estate, active en Grèce et à Chypre. Mais dans la situation actuelle, ceux qui ont les moyens sont prêts à payer plus. »
Maya (le prénom a été changé) fait partie de ceux que la crise financière a poussé à sauter le pas. « J’envisage d’investir en Grèce depuis des années, mais je n’avais jamais vraiment cherché, explique-t-elle. La peur de perdre mes économies m’a soudainement poussé à concrétiser mon projet. » Depuis, elle affirme avoir visité une dizaine d’appartements à Athènes. « C’est assez fou… Certains Libanais qui ont pensé à retirer leur argent des banques avant la mise en place des restrictions arrivent avec des valises de cash à l’aéroport, s’exclame-t-elle. Comme ce n’est pas mon cas, je recherche des appartements déjà construits ou sur plan, payables au Liban. J’espère trouver un appartement à retaper, le louer et le revendre dans quelques années avec une plus-value. »
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Comme Maya, de très nombreux Libanais sont dans ce cas. « Nous recevons une dizaine d’appels chaque jour », raconte Robert Bitar, à la tête de Pyramides Real Estate, représentant au Liban du groupe IPC International, basé à Chypre. L’agent immobilier doit cependant en réorienter une bonne partie. « Les clients espèrent tout avoir : des rendements élevés, un paiement intégral au Liban et en livres libanaises ; mais c’est impossible », ajoute le chef d’entreprise, qui affirme n’avoir finalement signé qu’une dizaine de contrats avec des paiements en chèque bancaire au Liban, en dollars.
« Autrefois, les Libanais qui achetaient à l’étranger le faisaient principalement pour des raisons sécuritaires, afin d’avoir un point d’attache en dehors du pays », explique Pierre Francis. Dans la région, ces deux marchés, avec un accès direct ou facilité à l’espace Schengen de l’Union européenne, étaient privilégiés.
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Mais l’ordre des priorités a changé et « l’objectif est désormais de sortir son argent du Liban par tous les moyens », pointe Robert Bitar.
D’autre part, par rapport aux investissements immobiliers au Liban, certains marchés de la région offrent des rendements intéressants. « Le retour sur investissement en Grèce et à Chypre varie en général de 5 à 7 %, avec un risque-pays moindre qu’au Liban », estime Pierre Francis.
Explosion des ventes
Les ventes à l’étranger se sont donc multipliées ces derniers mois. « Nous signons en moyenne un contrat par semaine », affirme Ramy Farès, à la tête de Property & Plus, filiale libanaise du groupe international canadien The Momentum. L’agent immobilier précise même avoir conclu jusqu’à plusieurs affaires par jour dans les premières semaines ayant suivi la mise en place des restrictions bancaires, pour des propriétés à Chypre et en Grèce, mais aussi au Canada.
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Le nouveau contexte économique a aussi contribué à remettre dans la course des marchés moins privilégiés dans le passé, comme la Turquie. Avec le lancement d’une offre de paiement intégral au Liban fin novembre, les activités immobilières du voyagiste Nakhal dans ce pays se sont retrouvées dopées. « Cinq propriétés ont été vendues en un mois et des clients font le voyage sur place chaque semaine pour visiter les biens », explique son PDG, Élie Nakhal. « Nous proposons un taux de rendement garanti renouvelable sur deux ans de 3 % pour les propriétaires acceptant ensuite de nous confier la location », précise-t-il. Le voyagiste, propriétaire d’une trentaine d’appartements et villas construits à Fethiye en 2016, n’était jusqu’alors parvenu à vendre que deux de ses propriétés.
Le marché immobilier de Dubaï, en berne, bénéficie lui aussi de cette frénésie. « Achetez à Dubaï, jusqu’à 10 % de retour sur investissement », annonce une publicité sur le réseau social Facebook. « Pour une grande partie des Libanais, Dubaï restait jusqu’à présent avant tout une destination de travail, mais aujourd’hui, vu les rendements, il est possible que certains envisagent d’y investir », estime Pierre Francis. Plusieurs agents immobiliers proposant ce type d’offres dans l’émirat n’ont pas souhaité répondre aux questions du Commerce du Levant.
Paiement intégral ou partiel au Liban
Les solutions de paiement au Liban ne concernent cependant qu’une infime partie des offres disponibles sur ces marchés. « Je ne peux collaborer qu’avec des propriétaires ou des promoteurs immobiliers libanais qui ont des comptes en banque au Liban », explique Ramy Farès. « Ils acceptent de se faire payer dans leur pays d’origine, car ils y ont des obligations : soit des dépenses importantes à effectuer, soit un prêt bancaire à rembourser », explique-t-il.
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Et même lorsqu’un promoteur accepte d’être payé au Liban, cela ne concerne parfois qu’une partie de ses propriétés. « Après négociation, certains finissent par autoriser, par exemple, la vente d’une unité sur dix par ce biais », ajoute Robert Bitar.
D’autre part, plutôt que de recevoir un versement intégral au Liban, certains propriétaires exigent qu’une partie du paiement soit réglée à l’étranger, excluant ainsi les clients potentiels qui n’ont pas de comptes en dehors du pays.
« Chaque propriétaire réévalue en temps réel sa proposition, selon l’évolution de la situation financière au Liban », explique Robert Bitar. À partir de février, les conditions seront notamment plus strictes pour Nakhal, qui n’acceptera plus que 75 % du paiement sous forme de chèque bancaire et collectera le reste des fonds en liquide, en dollars.