La maison de ventes FauveParis organise le 4 avril à Drouot, à Paris, une enchère à huit clos dédiée en grande partie aux peintres orientalistes du Levant. Entretien avec Dimitri Joannidès, l'un des cofondateurs.
Pourquoi consacrer une vente aux représentations orientalistes du Liban ?
Le vendeur d'une grande partie de la collection (26 lots sur les 31 présentés) est un collectionneur privé d'origine libanaise vivant entre Paris et Beyrouth. Certaines pièces de la collection sont des tableaux de famille ; d'autres ont été acquises ces dernières décennies auprès d'antiquaires ou dans des ventes aux enchères. Il est aujourd'hui dans un état d'esprit qui le porte plutôt vers des pièces du XXe siècle. C'est pourquoi il a fait appel à nous pour vendre aux enchères une partie de sa collection. Cette collection dédiée aux représentations orientalistes du Liban est, à mon sens, très importante car elle rappelle à quel point le Levant a contrario de l'Afrique du Nord, notamment du Maroc, qui "truste" le marché depuis quinze ou vingt ans, a été précurseur dans la constitution d'un imaginaire : au Maghreb, l'orientalisme puise ses origines à l'époque de la colonisation, au milieu du XIXe siècle, tandis que celui du Levant est bien plus ancien et prend ses origines dès la fin du XVIIIe siècle avec de grands artistes-voyageurs, comme David Roberts (1796-1864) dont nous présentons une aquarelle. Ce peintre britannique qui a sillonné l'Orient est un habitué des enchères et a eu de nombreux records, l’enchère la plus importante à ce jour ayant été réalisée par une Vue de Jérusalem, vendue aux enchères à Londres en 2016 pour 970.000 euros.
Le marché libanais présente-t-il certaines spécificités ?
C'est un marché de niche extrêmement dynamique car porté par la diaspora. Si Londres attire beaucoup d'hommes et femmes d'affaires, oeuvrant à cheval entre le monde anglo-saxon et le Liban, Paris a été - au moins jusqu'à la fin des années 1960 - un pôle d'attraction culturel et artistique pour les créateurs libanais. Les Libanais, comme les Grecs - je suis moi-même d'origine grecque - sont un peuple extrêmement "culturel", souvent polyglotte et ouverts sur le monde des idées. Il est donc normal que les amateurs du genre s'intéressent à la production de leurs compatriotes. Les ventes réalisées par des artistes comme Huguette Caland ou Etel Adnan, dont les prix vont de records en records depuis quelques années, est en la preuve. Cette spécificité libanaise explique que, pour un même artiste-voyageur par exemple, une vue représentant le Mont-Liban fera le double, voire le triple, d'une vue du Caire ou de Tunis, à qualité égale. Nous présentons une aquarelle de David Robert dont les estimations oscillent entre 400 et 600 euros. Mais l’une des toiles phares est celle du peintre libanais Daoud Corm, estimé entre 10 et 15 000 euros. Formé à l’Accademia di San Luca en Italie, il a réalisé des portraits de grands notables arabes, au premier rang desquels le roi Abbas II d’Égypte (1892–1914). Son travail a été exposé dans toute l’Europe jusqu’à la consécration, en 1900, avec la présentation de ses tableaux à l’Exposition universelle de Paris et le grand prix d’excellence qui lui a été décerné.
Vous maintenez vos ventes malgré l'épidémie de Covid-19? Passer en mode virtuel avec des enchères à huis clos, n'est-ce pas une contrainte énorme?
Au niveau des prix, je n'aime pas trop m'avancer mais l'expérience montre que, dans ce type de circonstances, ils peuvent être supérieurs à la normal. Les prix pourraient être tirés à la hausse par trois facteurs : d'abord, les acheteurs, qu'il s'agisse de collectionneurs ou de marchands, sont chez eux et s'ennuient. Ensuite, nous sommes quasiment les seuls en Europe à avoir maintenu nos ventes aux enchères. Enfin, en temps de crise (sanitaire ou économique) les acheteurs préfèrent mettre 20.000 euros dans un beau tableau, valeur refuge, que sur un compte en banque dont la pérennité n'est pas garantie.