À la tête de l’ordre des infirmiers et des infirmières au Liban depuis 2018, Myrna Doumit place la reconnaissance du métier et des droits
du personnel soignant au centre de ses combats.
Surtout en période de pandémie.
À peine apparue que l’image se fige déjà. On aura juste eu le temps de deviner une femme, la cinquantaine, les cheveux en pagaille, dans la lumière verdâtre des néons d’une cuisine. Trop de trafic sur les réseaux. Par ces temps de corona, les vidéos passent mal. Qu’à cela ne tienne, on se contentera d’un appel classique sur WhatsApp. Peut-être est-ce mieux ainsi. Car, pour qui voudrait connaître la personnalité de Myrna Doumit, présidente de l’ordre des infirmiers et des infirmières depuis 2018, la voix se révèle un indice plus pertinent que l’image. Dans la façon qu’elle a de défendre le métier qu’elle a choisi « dès sa plus tendre enfance » se laisse pressentir une femme puissante. On aurait presque envie d’écrire une “combattante” en ces temps de pandémie.
« Le personnel soignant est en première ligne contre l’épidémie. On nous loue pour notre abnégation, on nous remercie pour notre implication de tous les instants… Certains nous appellent des “anges de la miséricorde” alors que derrière on nous poignarde dans le dos. »
Myrna Doumit n’y va pas par quatre chemins quand il s’agit de défendre les quelque 16 000 Libanais qui dédient leur quotidien à soigner les autres dans les hôpitaux ou les dispensaires. « De grands discours, de jolis mots qui n’ont pas empêché les hôpitaux privés de réduire les salaires, voire de licencier leurs personnels soignants lorsque la crise économique a débuté. À ce tarif-là, je me moque qu’on nous applaudisse depuis les balcons des grandes villes. Je veux, en revanche, qu’on respecte nos droits. Avant le déclenchement de l’épidémie, nous n’étions pas très loin de débuter une grève », assène-t-elle.
La propagation du Covid-19 a remisé à plus tard sa bataille contre le management des hôpitaux privés, qu’elle estime tout puissant dans le secteur. Mais cela n’empêche pas Myrna Doumit de s’être vite trouvé une autre ligne de combat : la protection du personnel soignant. « Ce sera “name and shame”, prévient-elle, si j’apprends que des centres hospitaliers ne fournissent pas aux infirmiers les moyens adéquats de se protéger. » Car si la profession ne déplore, pour l’heure aucun décès au Liban, plusieurs soignants sont d’ores et déjà malades. « Notre profession payera, on le sait, un lourd tribut à la maladie. Pas question dans ces conditions de les laisser partir à l’abattoir sans précautions. »
Grâce à des fonds récoltés aux États-Unis, le syndicat a réussi à louer un hôtel pour accueillir gratuitement celles et ceux qui tomberaient malades parmi le personnel soignant. Il a également réussi à imposer que leur éventuel congé maladie soit à la charge de l’employeur. Mais l’association ne s’intéresse pas seulement à la santé du corps professionnel dont elle défend les droits. Membre du comité de suivi de lutte contre le Covid-19, mis en place par le gouvernement, elle est en plus chargée, en partenariat avec l’armée, d’identifier des espaces qui serviront de “zones de confinement” aux Libanais touchés par le Covid-19. « C’est un enjeu de santé publique si on veut limiter la propagation de la maladie : nous devons être en mesure d’offrir à ceux qui sont dans l’incapacité de s’isoler chez eux un espace où ils éviteront de mettre en danger leur famille. Il peut s’agir d’écoles, d’hôtels, voire de casernes. Nous en avons identifié 23, il en faudrait une cinquantaine », précise-t-elle.
Une implication vitale
Pour Myrna Doumit, cette implication au sein des instances publiques s’avère vitale. Au-delà de l’épidémie, elle participe à la reconnaissance du rôle des infirmiers et des infirmières dans la chaîne de soins de santé. « Nous en sommes le cœur. Pourtant, dans de nombreuses sociétés – la nôtre n’y échappe pas –, on dit que c’est un métier de femmes. Ce qui suffit à ternir son image d’autant qu’une majorité de ceux qui l’exercent sont peu ou mal formés. » Au Liban, 51 % des infirmiers exercent avec un bac technique, voire un diplôme professionnel de deux ans (TS), selon Myrna Doumit. Résultat : un salaire moyen qui tourne autour de 1,5 million de livres libanaises, même pour les plus qualifiés. Sans compter sur des conditions de travail difficiles liées en partie à une pénurie de main-d’œuvre : « En Europe ou aux États-Unis, la norme d’un infirmier est pour environ quatre patients. Au Liban, il n’y a pas de règles. Mais les infirmiers ont souvent la charge d’au moins une douzaine de malades, malgré nos recommandations qui voudraient limiter la prise en charge à huit seulement. »
Les choses changent malgré tout : de plus en plus d’hommes choisissent cette profession au Liban, d’autant que le métier est de plus en plus prisé à l’étranger. L’Organisation mondiale de la santé estime que le monde aura besoin de former neuf millions de nouveaux infirmiers et infirmières d’ici à 2030.
Plus attractif, le métier devient aussi plus pointu : désormais, d’assez nombreuses formations universitaires délivrent des licences ou des BS. « Pour revaloriser les diplômes de ceux qui travaillent déjà, l’une des pistes, c’est la formation continue. Nous avons créé de premières passerelles entre l’enseignement technique et universitaire. Au final, infirmier est un emploi magnifique s’il est exercé dans des conditions décentes. Il n’y a rien de plus gratifiant que d’aider les autres à des moments où ils sont fragilisés. »
Une vision de son métier qui l’a poussée à s’engager dans la formation. Professeure à l’AUB d’abord, ensuite à la LAU où elle a cofondé l’école d’infirmiers de cette grande université en 2011. Si elle y enseigne toujours, elle mène en parallèle différentes recherches sur les soins palliatifs et oncologiques. « Pour moi, c’est cela être infirmier : un ensemble de connaissances et de compétences que l’on met au service des patients, un goût pour la recherche. Nous ne sommes pas des “anges de la miséricorde”, mais des professionnels qui exercent un métier qui les passionne, même s’il les épuise aussi… »