Face à l’aggravation de la crise financière, le marché foncier s’emballe dans la capitale. Selon le cabinet de conseil immobilier Ramco, une cinquantaine de parcelles ont été vendues à Beyrouth ces derniers mois.
Malgré une forte demande depuis le début de la crise, en novembre 2019, le marché foncier à Beyrouth est resté poussif jusqu’en février 2020. « La majorité des terrains mis à la vente valaient entre 5 et 10 millions de dollars, alors que la plupart des clients cherchaient à investir entre un et deux millions de dollars. C’est pourquoi nous avons vendu plusieurs terrains en périphérie de Beyrouth », raconte Walid Eido, agent immobilier, qui a notamment conclu des ventes à Mar Takla.
Dans la capitale, en revanche, à l’exception de quelques parcelles vendues à moins de 5 millions de dollars, le nombre de transactions foncières était dans un premier temps limité.
« En décembre, nous avons vendu une petite parcelle à côté de Hamra pour un peu plus de 4 millions, témoigne un agent ayant requis l’anonymat. L’affaire s’est fait en quelques jours. C’était le terrain le moins cher de notre catalogue. Nous avons fait deux visites. L’acheteur a dû prendre sa décision très rapidement, parce que le vendeur avait trouvé d’autres clients potentiels. »
Une fois les petites parcelles vendues, le marché s’est tassé, les acheteurs hésitant à se lancer pour des propriétés au-delà de 10 et 15 millions de dollars.
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Mais à partir de février 2020, les choses se sont accélérées et plusieurs ventes ont été finalisées.
Selon le cabinet de conseil immobilier Ramco, une cinquantaine de terrains ont été vendus depuis novembre 2019 dans Beyrouth municipe, pour un montant total estimé à environ 600 millions de dollars, dont près de 100 millions de dollars rien qu’au cours de la première semaine de juin.
La majorité des incidences foncières* des ventes s’est située entre 1 200 et 1 600 dollars le m2 avec des pics de 1 800 à 2 000 dollars le m2 à Ras Beyrouth.
La société de reconstruction et de développement du centre-ville, Solidere, a notamment vendu plusieurs parcelles au centre-ville. La moyenne des transactions a été de 20 millions de dollars avec des pics à plus de 50 millions de dollars. Les ventes ont été effectuées principalement dans les secteurs de Saifi Village et du remblai du Normandy qui constitue une réserve foncière considérable avec plus de 73 hectares. L’attrait du centre-ville a été fort, encouragé par la baisse des prix pratiqués par Solidere. Les incidences foncières sont ainsi passées de 3 000 à 4 000 dollars, en 2014, à environ 1 500 et 1 600 dollars par m2 vendable avant négociation.
En dehors du centre-ville, une vente a atteint les 28 millions de dollars à Achrafié. Elle a été conclue au début de juin. Parmi les plus grosses acquisitions, des parcelles à Raouché, Sodeco et Mar Mikhaël ont été conclues de 17 à 19 millions de dollars.
Des acheteurs pas du métier
Les investisseurs se sont surtout focalisés vers les quartiers haut de gamme avec un potentiel de revente. N’étant pas issus de la promotion immobilière, ils ont été sensibles à la notoriété des quartiers.
À part une vente le long du boulevard Sélim Salam, les acheteurs ne se sont pas précipités vers les quartiers dits “populaires”.
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« Les acheteurs ne sont pas du métier. Ils ne sont intéressés que par les quartiers qu’ils connaissent. Ils sont prêts à surpayer pour un bel emplacement dans un quartier qui a du potentiel. À l’opposé, ils sont plus réticents à investir dans un quartier qui n’est pas coté, même si le prix est intéressant. Ces investisseurs boycottent également les opportunités avec des anciens locataires. Ils ne comprennent pas qu’ils pourraient faire, malgré tout, de bonnes affaires », analyse Zaher Boustany, directeur général de l’agence immobilière At Home in Beirut.
Ainsi, une dizaine de parcelles ont été vendues à Ras Beyrouth. Cinq ventes ont été réalisées à Mar Mikhaël et à Verdun/Unesco, et quatre parcelles ont changé de main le long de la rue Sadate, à Hamra, pour un total d’environ 48 millions de dollars.
Certaines ventes au-delà de 15 millions de dollars se sont concrétisées en quelques jours, alors que la parcelle était sur le marché depuis plusieurs années. « Les grands noms de la promotion immobilière n’ont quasiment pas acheté de terrains. Les acheteurs sont surtout des Libanais issus de la diaspora », confirme Walid Eido. La multiplication des ventes s’est progressivement répercutée sur les prix des terrains.
« Les premiers acheteurs, de décembre à janvier, ont fait d’excellentes affaires. Celui qui a acheté à une incidence foncière de 1 500 dollars pourrait revendre son terrain à une incidence de 2 000 dollars, soit une hausse de plus de 30 % en quelques mois », avance Zaher Boustany.
Paiement à l’étranger
Depuis avril, le nombre de bonnes parcelles sur le marché est de plus en plus limité. Les disponibilités étant rares, les prix sont sous pression. « Il y a une pénurie de terrains à vendre à Beyrouth. Les propriétaires terriens sont solides financièrement et ne veulent pas vendre. Si un client veut investir 5 millions, je lui propose désormais des options hors de Beyrouth où les disponibilités sont plus faciles à trouver dans ce budget », affirme Walid Eido.
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Avec la dégradation de la situation financière du pays, une nouvelle contrainte est apparue. Les vendeurs demandent à être payés en partie à l’étranger. Le pourcentage requis hors du Liban varie le plus souvent entre 10 et 20 %, mais certains propriétaires vont parfois jusqu’à exiger que 50 % du montant soit payé sur un compte à l’étranger. Sans cela, beaucoup de vendeurs refusent de céder leur bien.
Mais si l’acheteur accompagne son chèque bancaire d’un paiement en dollars à l’extérieur du pays, il attend en retour un rabais substantiel sur le prix. Une vente à Furn el-Hayek a ainsi été faite avec une partie du paiement à l’étranger. Ceci a permis à l’acheteur d’acquérir une belle parcelle d’environ 900 m2 à une incidence foncière d’environ 1 300 dollars le m2, soit presque 40 % sous sa juste valeur.
« Depuis plusieurs semaines, il y a deux prix sur le marché. Le prix en dollars libanais et celui en dollars à l’étranger. Le second vaut presque le double du premier. Ainsi, certains vendeurs désireux d’être payés à l’étranger sont prêts à baisser leur prix de 50 à 60 % », confirme Zaher Boustany.
*L’incidence foncière est la valeur de la parcelle divisée par le nombre de mètres carrés vendables.