La multiplication des fermetures d’enseignes et la modification des modes de paiement ont chamboulé le marché locatif commercial. L’absence de demande a entraîné un taux de vacance record tant dans les centres commerciaux que dans les rues marchandes traditionnelles de la capitale.
« Je n’ai quasiment aucun appel pour des locations de boutiques. Quand cela arrive, je me demande si ce n’est pas une blague, tellement ça paraît surréaliste de louer une boutique ou un restaurant dans le contexte actuel », avoue un agent immobilier sous couvert d’anonymat. Dans une conjoncture de crise économique aiguë, l’immobilier commercial est en effet dans l’œil du cyclone.
Le secteur est confronté à une accumulation de problèmes dont certains sont antérieurs au soulèvement populaire du 17 octobre 2019. La dépréciation de la monnaie nationale face au dollar, la flambée des prix des produits importés, la baisse du pouvoir d’achat et les nouvelles exigences des propriétaires sur les modes de paiement ont entraîné un boom des taux de vacance commerciale dans toutes les destinations marchandes de Beyrouth, les centres commerciaux inclus.
La récession a beaucoup plus impacté le marché commercial que résidentiel, la crise ayant aggravé la situation d’un secteur déjà fragilisé et en déclin depuis 2017.
Les fermetures d’enseignes se sont en effet multipliées et la demande de la part de nouveaux locataires est très faible, « voire inexistante », confirme Walid Moussa, président du syndicat des agents immobiliers au Liban (REAL) et président de l’agence PBM.
Après les restaurants et les boutiques de mode, les banques commencent, elles aussi, à fermer certaines adresses préférant garder les locaux où elles sont propriétaires et où elles bénéficient d’anciens loyers. La SGBL, par exemple, qui avait trois branches dans le quartier Hamra, vient de fermer son local de la rue du Caire devant l’ancien cinéma Le Colisée. D’autres banques vont sans doute suivre.
Nouvelles conditions de paiement
L’absence de demande est amplifiée par les restrictions bancaires et la dévaluation du dollar libanais. De nombreux propriétaires refusent désormais d’encaisser des loyers en livre libanaise ou en chèque bancaire, et les locataires éventuels doivent se soumettre à de nouvelles conditions de paiement.
« Je suis en négociation avec une personne pour la location de ma boutique à Hamra. Je ne sais pas si cela est sérieux. Ayant peur de prendre des livres libanaises, je demande
40 000 dollars par an en liquide pour un local que je louais autrefois à 130 000 dollars », raconte un propriétaire.
Dans un contexte incertain, les propriétaires tâtonnent et rêvent tous d’un paiement en dollars et en liquide. Mais « pour les contrats existants, les locataires ont le droit de payer leur loyer en livre libanaise au taux officiel. C’est la loi », précise Walid Moussa.
« Pour les baux commerciaux que nous gérons, comme celui du Spinneys de Jnah qui accueille des enseignes comme Malek Bookshop, Starbucks et McDonald’s, nous avons fait des concessions pour garder les locataires dans ce contexte difficile. Non seulement nous acceptons les paiements en livre libanaise, nous avons aussi accordé des baisses de loyers allant jusqu’à 50 %. Une collaboration entre les propriétaires et les locataires est nécessaire pour la survie des deux. Si le locataire n’est pas soutenu et aidé, il ne pourra pas survivre, il mettra la clé sous la porte. Et si le propriétaire perd son locataire, il va avoir du mal à en retrouver un autre », ajoute Walid Moussa.
Mais malgré une situation économique désastreuse, les baisses de prix ne sont pas généralisées et les propriétaires ne font pas tous preuve de flexibilité. L’évolution des loyers suscite de nombreuses interrogations. « Le dollar “frais” (NDLR : dollar en liquide ou entré dans le système bancaire après le 17 octobre 2019) correspond à environ 2,5 dollars libanais ou lollars. De ce fait, si un propriétaire veut un loyer en dollars “frais”, il devrait réduire son loyer en conséquence. Pourtant, le marché compte encore beaucoup de cas illogiques comme cette boutique de 240 m2 à Achrafié, louée en 2017 à 180 000 dollars par an et proposée à l’été 2019 à moins de 100 000 dollars annuels. Aujourd’hui, le propriétaire demande 60 000 dollars en liquide ou 150 000 dollars en chèque, c’est absurde », s’insurge un agent immobilier.
Faute d’un accord acceptable avec les propriétaires et les responsables de centres commerciaux, certaines enseignes envisagent de déménager dans des locaux plus abordables. « Les propriétaires doivent s’adapter à la nouvelle réalité du marché. S’ils ne sont pas flexibles et s’obstinent à réclamer des loyers en dollars “frais”, ils risquent d’avoir un local vacant pendant des années », prévoit Walid Moussa.
Le centre-ville, le plus touché
Sans contestation, le centre-ville de Beyrouth reste la destination commerciale la plus touchée par la crise actuelle. La répétition des manifestations et l’escalade de la violence depuis octobre 2019 ont paralysé plusieurs secteurs, comme les rues Weygand, Foch et Allenby. Que dire des emplacements autour des places des Martyrs et Riad el-Solh, ils sont sinistrés. Si les enseignes Mouawad, Rolex et Chanel se sont barricadées derrière des portes blindées et sont encore présentes, plusieurs enseignes ont mis la clé sous la porte. Désormais, des dizaines de locaux sont vacants.
Le long de la rue Verdun, la multiplication des fermetures n’est pas récente. Depuis l’ouverture de l’ABC, des dizaines de commerçants avaient quitté leur emplacement pour avoir un point de vente à l’intérieur du centre commercial. D’autres enseignes avaient tenté leur chance à Verdun entre 2018 et 2019, mais certaines ont fermé quelques mois plus tard comme Salad Bar et Medusa.
À Hamra, selon l’agence de conseil immobilier Ramco, début juillet une vingtaine de locaux étaient à louer le long de la rue, soit une surface totale d’environ 5 000 m2. Le taux de vacance n’a jamais été aussi important depuis de nombreuses années. Les anciens locaux de Food Style, Caribou, Mado, Rotana Café, C&F et Café de Paris sont toujours vacants.
L’entêtement des propriétaires à être payés en liquide et en dollars freine les ambitions des locataires. « Avec le temps, ils devront faire des concessions et passer du liquide au dollar libanais, puis à la livre libanaise », prédit Walid Moussa.
Signe que le quartier reste malgré tout apprécié, les anciens locaux de l’épicerie Shoppers et la franchise GNC (produits vitaminés) ont été repris en juin respectivement par une boutique de produits animaliers et une bijouterie.