Les victimes de la double explosion s’organisent pour faire valoir leurs droits au Liban comme à l’étranger.
Il ne veut pas qu’on donne son nom. Mais pour relater son histoire, ce Franco-Libanais est partant. « Ils doivent payer », dit-il en désignant derrière ce « ils » la classe dirigeante, l’Etat, voire tout ceux qui ont pu avoir une responsabilité quelconque dans la double explosion qui a pulvérisé la moitié de Beyrouth. L’homme, âgé d’une quarantaine d’années, n’en est pas sorti indemne.
Il souffre des conséquences d’une grave blessure au dos, qui a dû être soignée sans anesthésie. Dans la nuit du 4 août, l’hôpital où il avait été admis en urgence n’ayant plus de stocks disponibles, les médecins l'ont recousu à vif. « Mon appartement s’est écroulé sur moi : les dégâts sont immenses. Je m’en suis sorti par miracle ».
Furieux, il vient de déposer une plainte contre X en France. « J’ai préféré m’adresser aux tribunaux français afin qu'une enquête et une procédure impartiales soient diligentées », ajoute-t-il. Comme ce Franco-Libanais, ils seraient au moins une vingtaine à avoir entamé une démarche judiciaire en France.
Le parquet de Paris avait de toutes les façons ouvert une enquête dès le lendemain de la catastrophe du port de Beyrouth. Une plainte pour « blessures involontaires » avait été déposée puis élargie à des faits d’« homicides involontaires » suite à la mort d'un ressortissant français, l’architecte Jean-Marc Bonfils, décédé des suites de ses blessures.
« Les investigations ont été confiées à la direction générale de la gendarmerie nationale », a indiqué le parquet dans un communiqué, dont les enquêteurs, présents à Beyrouth, n'ont pas souhaité donner plus d'informations.
Avocats bénévoles
Au Liban aussi, plusieurs plaintes ont été enregistrées, notamment celle de l’homme d’affaires Merhi Abou Merhi. Sa société de croisière Orient Queen déplore la mort de deux membres d'équipage, sept blessés et la perte d'un bateau.
L’Ordre des avocats de Beyrouth assure pour sa part avoir mis des avocats bénévoles à la disposition de la population « pour défendre le droit et les intérêts des victimes ». La Cour de cassation a par ailleurs été saisie le lundi 10 août pour contraindre les autorités militaires à poursuivre les recherches. « Le recours a été déposé au nom des enfants d’un disparu pour que les recherches sur le site soient maintenues jusqu’à la découverte des corps, morts ou vifs », affirme Melhem Khalaf, le bâtonnier de Beyrouth.
Dans les prochaines semaines, les plaintes pourraient se multiplier : Marie Ghantous, professeure de droit international public à l’Université Saint-Joseph, agit en ce moment pour le compte d’un cabinet international qui recueille les témoignages de victimes afin d’introduire une action collective devant les tribunaux libanais.
« Le préjudice peut être physique, matériel ou moral. Cela peut être un préjudice déjà subi ou à venir. Quelqu’un qui aurait, par exemple, perdu l’usage de sa main a un préjudice à venir énorme. En matière de justice, les possibilités sont larges : on peut entamer une action pénale contre les personnes jugées responsables. On peut ensuite intenter une action au civile pour exiger des dommages et réparations. En tous les cas, la plupart du temps au pénal, le juge ne se prononce pas sur le montant des réparations mais définit une peine et une sanction. L’évaluation du montant des réparation est laissée à l’appréciation de la justice civile, ce qui signifie qu’il faut un second procès devant les tribunaux civils pour obtenir réparation », explique-t-elle.
Mais la justice, qu’elle soit française ou libanaise, pourrait mettre longtemps à clore un dossier qui a fait, selon un bilan provisoire, 158 morts, plus de 6000 blessés et quelque 110 personnes disparues.
Dans l’affaire AZF, cette usine, située à Toulouse (France) qui est partie en fumée en 2001 à cause de même produit, le nitrate d'ammonium, il aura fallu seize années d’enquête, d’instruction, de procédure judiciaire. Et trois procès de quatre mois chacun pour que la responsabilité du propriétaire du site et celle du directeur soit enfin reconnue et les victimes indemnisées.