Les bailleurs de fonds comptent sur les acteurs de proximité pour déployer les 253 millions d’euros d’aide d’urgence promise au Liban. Mais sur le plus long-terme, l’implication des acteurs étatiques est inévitable.
Quelque 252,7 millions d’euros d’aides d’urgence ont été promis au Liban lors de la « conférence internationale de soutien et d’appui à Beyrouth et au peuple libanais », à laquelle ont participé une trentaine de pays et des organisations internationales, comme la BERD, la Banque mondiale ou encore le Fonds monétaire international.
L’objectif de ces aides est de « répondre très concrètement aux besoins de la population de Beyrouth » suite au drame qui a touché la capitale et de faire parvenir l’aide « le plus efficacement possible ». Mais comment l'assistance sera-t-elle distribuée, alors que le pays est plongé dans une crise politique profonde, se traduisant par une perte de confiance totale dans l’État libanais à la fois de la part de la population et des bailleurs de fonds ?
Dans les quatre axes prioritaires qui ont été identifiés, la santé, la sécurité alimentaire, l’éducation et le logement, l’aide sera déployée sous la supervision des Nations unies, avec le soutien et l’expertise du FMI et de la Banque mondiale, ont annoncé les participants.
Concrètement, l’aide ne sera pas gérée par «un fonds commun, dont la constitution exige des négociations juridiques que ne permet pas une logique d’urgence, chacun devra travailler dans son cœur de métier», explique Olivier Ray, directeur régional Moyen-Orient de l’Agence française de développement (AFD). Les dons financiers et matériels passeront par différents canaux choisis par les États donateurs.
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Les acteurs locaux à la rescousse
«Le message de la communauté internationale est clair : ces aides ne seront pas données à des institutions publiques», souligne Adib Nehmé, ancien conseiller régional auprès de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (Cesao).
Ce sont donc vers les ONG et acteurs locaux que les bailleurs de fonds ont décidé de se tourner. «Les acteurs non étatiques sont les plus aptes à répondre dans l’urgence aux besoins de la population sur le court terme. Pour les donateurs, il s’agit d’un choix pragmatique justifié par l’expérience, les structures étatiques n’ayant pas les standards suffisants en termes de transparence, d’efficacité et de qualité», estime Olivier Ray.
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L’enveloppe totale de 30 millions d’euros engagés par la France sera partagée entre le centre de crise et de soutien (le CDCS qui coordonne l'action humanitaire d'urgence) et l’AFD, qui va mobiliser son réseau de partenaires sur le terrain.
En parallèle, quelque 10 millions de fonds déjà alloués ont été redirigés pour répondre, dans l’immédiat, aux conséquences du drame. «Notre but est de pouvoir mettre rapidement les fonds à disposition de nos partenaires locaux, avec qui l’on a développé une relation de confiance, afin d’assurer l’articulation entre l’aide d’urgence déployée par CDCS et les conséquences du drame sur le moyen terme», explique-t-il.
Les défis du déploiement de l’aide
Mais ces acteurs ont-ils la capacité d’absorber ces fonds ? «Entre la guerre civile et la guerre de 2006, c’est loin d’être la première fois que la société civile se charge de la gestion d’une crise humanitaire», estime Adib Nehmé. D’autant plus que les 253 millions mobilisés sont uniquement destinés à répondre à des besoins d’urgence.
«Il est plus efficace de débloquer des montants plus petits et mobilisables tout de suite que des milliards dont la gestion aurait nécessité plus de temps», souligne Olivier Ray.
Autre défi, la coordination entre les myriades d’associations sur le terrain. Le rôle des Nations unies, en charge de la coordination, devrait à ce titre être central, notamment via son agence pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
D’autres mécanismes de coordination entre les partenaires locaux pourraient voir le jour, comme des comités communs incluant des «réseaux d’ONG, des représentants des quartiers et de syndicats afin de coordonner l’effort», explique Adib Nehmé
Enfin, la définition des mécanismes de suivi et d’évaluation, gage de transparence vis-à-vis des contribuables internationaux, demeure une dimension essentielle face aux risques de corruption. Pour l’instant, ils relèvent du ressort de chaque institution, mais «il n’est pas exclu qu’un mécanisme commun de redevabilité soit créé pour suivre la mise en œuvre des financements», explique Olivier Ray.
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Si ces défis peuvent être surmontés à court terme, la problématique à plus long terme reste entière, car l’aide d’urgence promise à ce stade ne permet au Liban que de panser ses plaies. La reconstruction, en revanche, ne pourra pas se faire en marge des acteurs étatiques et sans la mobilisation de montants bien plus importants, impliquant des décisions d’ordre stratégique et politique.
Les bailleurs de fonds restent cependant fermes sur leur position. «On ne pourra pas reconstruire Beyrouth sans passer par l’État, mais cela nécessite des réformes. Une prise de conscience de la part de la classe politique est nécessaire», confirme Olivier Ray.
La Banque mondiale a ainsi annoncé qu’elle avait commencé une «évaluation rapide des dommages et des besoins» en vue de mettre en place un plan de reconstruction à court et moyen terme, et affirmé qu’elle pourrait allouer 200 millions de dollars pour renforcer les filets sociaux, à condition que le «gouvernement soit disposé à agir rapidement».
Or, le gouvernement vient de démissionner et rien ne laisse présager l’imminence d’un sursaut.
«Les donateurs doutent hélas de la volonté des dirigeants libanais d’effectuer les réformes requises», déplore l’expert financier international Jad Khallouf. «La population souffre d’une crise provoquée par les blocages politiques et aggravée par l’explosion criminelle au port», conclut-il.