Quelque 128 établissements à Beyrouth et dans la région du Mont Liban ont subi des dommages importants ou légers après la double explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et les quartiers avoisinants. Un défi supplémentaire pour un secteur déjà en crise.
« Heureusement, l’école était vide », déclare le père recteur Charbel Massaad, en montrant les murs lacérés par l’éclat des vitres des salles de classe, après la double explosion du 4 août au port de Beyrouth. Le Collège de la Sagesse Saint-Joseph, à Achrafieh, accueille durant l’année scolaire quelque 590 élèves. Si les pertes humaines ont été évitées, les dégâts matériels sont en revanche considérables. En plus des fenêtres, toutes les portes ont été soufflées, une vingtaine de murs instables doivent être abattus et une grande partie du matériel informatique n’est plus fonctionnel. « C’est l’apocalypse », soupire le père recteur, dont le bureau a aussi été ravagé.
À quelques centaines de mètres de là, à l’École des Trois Docteurs à Gemmayzé, les destructions sont tout aussi impressionnantes. Dans la garderie, où se trouvaient encore des enfants jusqu’à une heure et demie avant le drame, deux murs à arcades traditionnelles se sont effondrés. Le bâtiment principal de l’école, datant du XIXe siècle, a lui aussi été fortement endommagé. De grosses fissures parcourent ses murs, dont certains devront probablement être démolis. La véranda surplombant la cour centrale s’est en partie affaissée. « Les voûtes du plafond ont permis de limiter les dégâts », remarque toutefois un sapeur-pompier français mobilisé
Pour les deux établissements, situés à environ un kilomètre du site de la déflagration, le coût des réparations est estimé à plus de 700 000 dollars. « Les travaux devraient prendre au moins trois ou quatre mois », estime la directrice de l’École des Trois Docteurs, Nayla Daoun.
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Au total, quelque 128 écoles – dont 78 établissements privés et 50 publics – à Beyrouth et dans la région du Mont-Liban ont subi des dommages importants ou légers, selon des informations préliminaires collectées par l’Unicef. Ces établissements scolarisent habituellement quelque 55 000 élèves. Par ailleurs, 20 écoles vocationnelles techniques, accueillant quelques milliers d’élèves, auraient été affectées, selon l’agence de l’ONU. « Un bilan officiel va être publié dans les prochains jours », se contente pour le moment de répondre Hilda el-Khoury, la directrice de l’orientation pédagogique scolaire au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
De son côté, l’Agence française de développement (AFD) a promis de mobiliser une partie de l’aide de huit millions de dollars déjà allouée à ce secteur et une enveloppe supplémentaire de deux millions d’euros pour réparer les écoles. Mais à quelques semaines de la rentrée des classes – déjà compromise par l’envolée des cas de contamination au coronavirus –, le retour vers le chemin de l’école s’annonce difficile, d’autant que la catastrophe s’ajoute à une crise économique qui menaçait déjà tout le système éducatif.
Des écoles privées étranglées
Les écoles privées payantes, qui scolarisent la grande majorité des élèves libanais, font en effet face depuis plusieurs mois à une équation financière insoluble. Les difficultés des familles à s’acquitter des frais de scolarité face à la dégradation rapide de la situation économique, couplées aux conséquences de l’adoption en 2017 de la loi 46 sur la réévaluation des salaires des enseignants, ont creusé leurs déficits budgétaires, au point de menacer leur existence. En mai dernier, le syndicat des écoles catholiques, qui scolarisent près des deux tiers des élèves du privé au Liban, affirmait que 80 % des établissements risquaient de ne pas ouvrir leurs portes à la rentrée. « La situation est tout aussi critique dans les réseaux Makassed ou Mabarrat (appartenant respectivement à des associations musulmanes sunnite et chiite, NDLR) », précise Adnan el-Amine, un chercheur spécialiste du secteur.
Au mieux, les écoles espèrent une nouvelle année scolaire sous perfusion. « Trois écoles sur cinq de notre réseau ne sont plus autonomes financièrement et reçoivent un appui particulier de l’archevêché grec-orthodoxe », explique notamment la directrice de l’École des Trois Docteurs. La France a quant à elle annoncé fin juillet un plan d’aide de 15 millions d’euros pour les écoles privées françaises et francophones du réseau AEFE. Un fonds supplémentaire de deux millions d’euros, financé pour moitié par l’État français et pour l’autre par l’association religieuse Œuvre d’Orient, bénéficiera également en grande partie aux écoles chrétiennes du Liban.
De son côté, le ministre démissionnaire de l’Éducation, Tarek Majzoub, avait fait approuver fin juin en Conseil des ministres un plan d’aide de 500 milliards de livres, dont 350 milliards de livres pour l’enseignement privé et 150 milliards de livres pour le public. Le projet de loi n’a cependant toujours pas été adopté au Parlement, et la capacité de l’État à soutenir le secteur éducatif face à l’ampleur des nouveaux besoins provoqués par la catastrophe est plus que jamais incertaine.
Signe de la gravité de la crise : de lourdes coupures budgétaires ont eu lieu au sein du corps enseignant. Plusieurs milliers d’instituteurs auraient été licenciés, bien que leur nombre total n’ait pas été officiellement estimé. « Le climat social est très pesant, explique Rodolphe Abboud, président du syndicat des enseignants du privé. Dans certains cas, les deux parents enseignants ont été licenciés, ce qui veut dire que ces familles se sont retrouvées du jour au lendemain sans revenus et avec à leur charge la scolarité de leurs enfants, auparavant en général prise en charge par leur employeur. »
Le clientélisme au sein de l’enseignement public
Or face à cette crise sans précédent de l’enseignement privé, l’école publique n’est pas prête à jouer le rôle de soupape de sécurité. Ces écoles devraient faire face, à la rentrée, à un afflux majeur d’élèves en provenance des écoles privées et semi-privées, selon les experts. Mais leur répartition géographique inégale, leur surcapacité dans certaines régions face à l’afflux d’enfants syriens depuis 2011 et le caractère vétuste de certaines installations pourraient rendre difficile cette absorption. Avant la catastrophe, un fonctionnaire du ministère de l’Éducation affirmait qu’il n’y avait pas de problème de place. « Il y en a suffisamment. Mais tout le monde risque de ne pas être affecté là où il le souhaite », confiait-il. Autrement dit, près de chez soi ou dans l’école publique ayant la moins mauvaise réputation, avec le risque d’une répartition des élèves sur des bases clientélistes.
De telles pratiques ne sont en effet pas étrangères au secteur, à commencer par le mode de sélection des fonctionnaires. « Les nominations de directeurs d’école sont avant tout politiques ; les bureaux pédagogiques des partis politiques imposent leurs noms », dénonce Adnan el-Amine. Les compétences ne sont souvent pas non plus le premier critère pour les recrutements des enseignants – gelés depuis le budget 2019. « Seuls 23 % des instituteurs disposent d’un diplôme d’enseignement et beaucoup ont des lacunes linguistiques », reconnaît un spécialiste du secteur, employé d’une organisation internationale, sous couvert d’anonymat. À cela s’ajoutent d’importants problèmes de gestion au niveau des instances supérieures du secteur. « L’action du ministère souffre depuis longtemps d’un manque de coordination entre ses différents centres de pouvoir – le ministre et ses équipes, la direction générale et le Centre de recherche et de développement pédagogiques (CRDP) – opposés dans une guerre d’influence et des animosités de nature politique ou personnelle », analyse le chercheur. Des dysfonctionnements structurels qui minent depuis des années l’enseignement public et qui ont été soulignés notamment par la pandémie de Covid-19.
Les défis de l’enseignement à distance
La réponse des écoles publiques à cette crise sanitaire n’a en effet pas été à la hauteur. L’adaptation à l’enseignement à distance a été très laborieuse, affectant la continuité de l’enseignement pour les élèves. « Alors que les écoles privées se sont plus ou moins rapidement adaptées, selon leurs moyens, à l’utilisation d’outils numériques comme Zoom ou encore Microsoft Teams, les difficultés sont loin d’avoir été surmontées dans le public », pointe Maha Shuayb, directrice du Centre for Lebanese Studies. Malgré les formations dispensées par le ministère de l’Éducation, le contenu pédagogique a finalement principalement été transmis via les applications de messagerie instantanée Messenger ou WhatsApp. « La qualité de l’enseignement en a beaucoup pâti, ces outils ne permettant qu’un échange à sens unique », explique Maha Shuayb. Les élèves syriens scolarisés l’après-midi ont par ailleurs largement été laissés pour compte.
Le ministère défend pourtant son bilan : « Nous avons fait au mieux de nos capacités, étant donné la crise économique et les limitations techniques, par exemple en termes de connexion internet et d’accès à des appareils électroniques », explique Hilda el-Khoury. « Pour la rentrée prochaine, nous avons lancé un appel aux donateurs internationaux afin de pouvoir mettre un appareil à la portée de chaque élève », précise-t-elle.
L’AFD a ainsi lancé en mai un appel à projets de 8 millions d’euros pour les enfants vulnérables du secteur public dans les gouvernorats du Liban-Nord, du Akkar, de Baalbeck-Hermel et de la Békaa, ainsi que Beyrouth-Sud (dont une partie sera désormais dédiée à la réponse aux explosions), et débloqué deux millions d’euros pour de l’aide alimentaire dès la prochaine rentrée.
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Car malgré la gratuité de l’enseignement public, les familles les plus défavorisées éprouvent de plus en plus de difficultés à s’acquitter des à-côtés. « L’un des traits marquants de l’année scolaire 2019-2020 semble avoir été le soulagement ressenti à la fermeture des écoles, ces fermetures les ayant déchargés d’avoir à donner aux enfants de quoi se payer un trajet en transport en commun ou parfois de quoi se nourrir à l’école », affirme un rapport de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO). Avec la détérioration de la situation, le risque est que des enfants soient déscolarisés. « Certains parents d’élèves ne sont plus “convaincus” par l’utilité des sacrifices consentis pour l’éducation de leurs enfants », alerte l’institut de recherche.