Premier juge d’instruction par intérim près le tribunal militaire, Fadi Sawan, est décrit comme un homme honnête et discret. Le directeur de l’ONG Legal agenda met toutefois en doute sa capacité à faire face aux pressions politiques.
Qui est le juge Fadi Sawan, à qui a été confié l’immense tâche de mener l’enquête sur les causes de la double explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août dernier ?
Né en 1960, cet ancien de l’Université Saint-Joseph a plus de trente ans de carrière dans la magistrature derrière lui. Avocat général puis juge d’instruction à Baabda, il est depuis 2009 premier juge d’instruction par intérim près le tribunal militaire, où il a développé une expertise dans les affaires de terrorisme, dans lesquelles il a rendu des centaines de verdicts.
Au sein de la profession, le mot d’ordre est de ne pas parler de Fadi Sawan. Quelques magistrats ont toutefois accepté de ne pas s’y conformer, le décrivant comme un homme à la réputation « honnête et intègre ».
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« Le poste qu’il occupe est conforme à une évolution de carrière normale, c’est une bonne indication quant à son absence de connexions politiques », estime un juge sous couvert d’anonymat. « C’est un très bon magistrat, qui n’a aucun contact avec le monde politique », abonde un autre, qui évoque un « homme réservé », peu adepte des mondanités et autres événements sociaux.
Courage politique
Fadi Sawan cocherait ainsi plusieurs cases du candidat idéal, notamment celle de l’âge, un facteur important dans un pays où les considérations politiques pèsent sur la carrière des juges. Membre de l’ancienne génération, il n’aurait ainsi plus rien à perdre ni à prouver, ce qui l’immuniserait de potentielles interférences.
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Mais pour résister aux pressions politiques, il ne suffit pas d’être honnête, il faut aussi avoir de l’audace, ce qui ne serait pas le point fort de Fadi Siwan, à en croire plusieurs avocats, dont le directeur exécutif de l’ONG Legal Agenda.
« Dans une enquête aussi sensible, la carrure du juge et sa capacité à affronter les ingérences sont déterminantes », dit Nizar Saghié, qui affiche son scepticisme en se basant sur trois éléments. Premièrement, « en tant que premier juge d’instruction, c’est Fadi Sawan qui distribue les dossiers aux différents juges du tribunal militaire. Or dans l’affaire de Qabr Chamoun, il semblerait que le choix du juge ait été dicté par le ministre de la Justice de l’époque, Salim Jreissati, qu’il l’aurait contacté au nom du président de la République ». Pour rappel, la fusillade survenue en juin 2019, avait fait deux morts et avait opposé des membres de la formation de Talal Arslane, alliée au Courant Patriotique Libre, à des partisans de Walid Joumblatt.
« Ensuite, c’est lui qui a accepté, en plein confinement, la demande de remise en liberté sous caution du colonel de l’armée accusé d’être l’instigateur de l’assassinat de Alaa Abou Fakher, cadre du Parti Socialiste Progressiste tué dans des circonstances encore très floues en novembre dernier lors d’un blocage de route ».
Enfin, Nizar Saghié souligne que « Fadi Sawan pourrait remettre en cause les verdicts du parquet militaire, mais il se plie le plus souvent à l’avis du Ministère public et n’a pas pour habitude de demander des compléments d’enquête ou d’élargir les chefs d’accusation ».
« Ils ont choisi quelqu’un qui ne remettra pas en cause le système en place », affirme-t-il.
Quatrième choix
Ce choix est le résultat d’un bras de fer entre la ministre démissionnaire de la Justice, Marie Claude Najm et le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Ce Conseil, dont 8 des 10 membres sont nommés par décret en Conseil des ministres et dont les décisions doivent être prises à la majorité, a rejeté les trois premiers noms proposés par la ministre, avant d’accepter celui de Fadi Sawan.
Le CSM n’a pas justifié sa décision, le secret des délibérations prévalant, mais la mise à l’écart de la candidature de Samer Younès, « un juge qui a maintes fois prouvé sa probité et ses compétences », est significative, estime le directeur de Legal Agenda.
Selon une juge, c'est le jeune âge du magistrat qui est avancé pour expliquer ce rejet. D'autres sources judiciaires soulignent toutefois que le procureur général près la Cour de cassation et numéro deux du CSM, Ghassan Oueidate, a eu une influence décisive sur le processus de nomination, et que celui-ci est par ailleurs le beau-frère de Ghazi Zeaïter, l’ancien ministre des Transport et des Travaux publics, autorité de tutelle du port de Beyrouth.