Quatre entreprises ont participé à un appel d’offres lancé par le CDR pour réaliser les études préliminaires du projet de développement du littoral nord, qui avait été abandonné à la fin des années 1990.
On le pensait mort et enterré. Mais le projet du développement du littoral nord (Linord), abandonné à la fin des années 1990, refait surface. Suite à une décision du Conseil des ministres datant de septembre 2019, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a lancé un appel d’offres pour la réalisation de l’étude préliminaire du projet, auquel ont participé quatre entreprises. Contacté par Le Commerce du Levant, le CDR n’a pas souhaité donner le nom de ces sociétés, la date de l’ouverture des plis, ou une estimation des montants en jeu, indiquant qu’il s’agit d’étudier l’impact environnemental du projet, d’évaluer les montants nécessaires pour les expropriations et l’aménagement de la zone, et d’élaborer un plan directeur.
Le projet Linord doit permettre de « créer des zones résidentielles et commerciales, ainsi que des zones de divertissement intégrées à leur environnement et d’accommoder les pêcheurs de la région. Une autoroute grande vitesse sera incluse, afin de résoudre le problème d’embouteillage sur le trajet actuel. Le projet doit également inclure des stations de traitement des eaux usées pour les régions de Beyrouth et du Metn, ainsi qu’une infrastructure centralisée pour le stockage du pétrole et du gaz », a fait savoir le CDR.
Imaginé en 1981 par Amine Gemayel, alors député du Metn, le projet Linord vise à confier à une société privée l’aménagement de près de 200 hectares sur le littoral entre le fleuve de Beyrouth et Antélias, au moyen de remblais permettant la récupération de terrains sur la mer. Il fut officiellement adopté par le gouvernement de Rafic Hariri en 1995. « Sur le papier, le projet permet de doter la région d’infrastructures dont elle a fortement besoin. L’ancienne décharge de Bourj Hammoud, par exemple, devait être transformée en parc urbain », rappelle Éric Verdeil, géographe et chercheur à l’Institut d’études politiques de Paris qui travaille sur les politiques d’urbanisme au Liban.
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Malgré l’opposition de certains députés, comme feu Nassib Lahoud, qui soulignait que le décret qui permettait la création de sociétés foncières privées pour réhabiliter les régions détruites par la guerre ne pouvait s’appliquer au littoral nord, un appel d’offres avait été organisé en 1997. Deux consortiums d’entreprises y avaient participé, avant de se retirer mystérieusement deux ans plus tard.
Le projet a ensuite été enterré. Il n’a été remis sur le tapis qu’en 2016 au moment de la création des nouvelles décharges de Bourj Hammoud et Jdeidé, qui arrivent aujourd'hui à saturation. Pour convaincre les autorités locales, le gouvernement leur avait promis que ces décharges seraient transformées par la suite en terrains municipaux, tandis que les déchets inertes, eux, seraient utilisés pour remblayer la mer et créer des terrains exploités en partie par des investisseurs privés.
Les limites du modèle
Un modèle lucratif calqué sur celui de Solidere, la société de reconstruction et de développement du centre-ville, qui a gagné 70 hectares de biens-fonds sur la mer grâce à l’ancienne décharge de Normandie, devenue le Beirut Waterfront ( connue sous le nom de Biel). L’incidence foncière (valeur d’un terrain divisé par le nombre de mètres carrés qu’on peut y vendre) y varie aujourd’hui entre 2 000 à 2 500 dollars le mètre carré, selon Guillaume Boudisseau, consultant pour le cabinet de conseil immobilier Ramco real estate advisers.
Un autre projet de remblai se trouve à Dbayé, le remblai Joseph Khoury du nom de l’entrepreneur qui l’a réalisé, qui a crée 100 hectares de terre sur laquelle a notamment été construit le Waterfront City à partir de 1995. Fruit d’un partenariat évalué à l’époque à une « centaine de millions de dollars » entre Joseph Khoury Contracting et l’émirati Majid al-Futtaim, le projet représente une zone commerciale de 40 000 mètres carrés ainsi que 2 000 logements, parmi les plus chers du Metn, avec une incidence foncière de près de 2 000 dollars, toujours selon Guillaume Boudisseau.
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Mais les exemples passés ont montré les limites de ce modèle. Qu’il s’agisse du Biel ou de Dbayé, à quelques rares exceptions près, aucune des infrastructures publiques prévues n’a vu le jour. « Les aménagements publics promis par Solidere au Biel n’ont jamais été réalisés ! C’est simple, ce qui intéresse ces sociétés c’est uniquement le profit qu’elles génèrent en augmentant le prix du mètre carré, sans se soucier du bien-être de la population », fait valoir Mohammad Ayoub, président de l’ONG Nahnoo.
Même chose à Dbayé, où 70 % du terrain gagné par le projet est détenu par l’État. Or, encore une fois, presque aucun des aménagements prévus n’a vu le jour : seuls un micro-jardin public et une piscine olympique (inachevée) y sont implantés. Officiellement ces terrains devaient accueillir différents bâtiments « à usage public » comme une usine de retraitement des eaux usées, pour desservir une partie de Beyrouth et sa banlieue. Mais ce n’est pas forcément le voisinage le plus sexy quand on veut vendre des emplacements immobiliers “premium”.
Va-t-on donc refaire une “gated community” pour riches expatriés sur le littoral nord ? Éric Verdeil doute de la pertinence du projet : « D’abord, le marché de l’immobilier est en très mauvaise forme, ce qui fait planer une incertitude sur la rentabilité du projet. Ensuite, construire de grands bâtiments sur les embouchures d’un fleuve est difficile, car les terrains ne sont pas assez solides. Cette instabilité géologique met en doute la solidité du remblai en cas de tremblement de terre », ajoute le géographe français.
Mais c’est sans compter les intérêts des investisseurs potentiels. « Dans sa première version, Linord profitait à beaucoup de personnalités politiquement connectées, notamment à Michel Murr, député et homme fort du Metn à l’époque. Aujourd’hui, le projet dissimule peut-être des connexions clientélistes similaires, plus représentatives de l’équilibre politique actuel », conclut Éric Verdeil.