Entre la hausse des coûts et la baisse de la demande, même les entreprises tournées vers l’export ne s’en sortent pas. Témoignage.
Depuis sa création en 1989, la Lebanese Company for Modern Food Industry affirme n’avoir jamais connu une année aussi difficile. En trente ans, l’entreprise a pourtant réussi à imposer la marque Gardenia dans le paysage local, mais aussi à l’international, exportant en 2019 près de 70 % de sa production, pour un chiffre d’affaires total d’environ 20 millions de dollars. Conserves, épices, huile d’olive, graines, plats cuisinés, etc., la marque écoulait ses produits dans les pays du Golfe, mais aussi en Amérique latine et même en Europe.
Mais comme la plupart des 1 400 TPE et PME qui forment l’industrie agroalimentaire libanaise, son activité consiste en grande partie à transformer et conditionner des produits importés. Or les prix des matières premières se sont envolés avec la dépréciation de la livre.
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« Une grande part de nos coûts est en dollars, explique le PDG et président de l’Union des industriels de la Békaa, Nicolas Abou Fayçal. 60 % de nos produits sont importés de pays comme le Mexique ou le Vietnam, mais aussi de l’Arménie, où nous avons des terrains agricoles. Quant aux produits achetés au Liban, leurs prix ont également augmenté car les agriculteurs ont besoin d’acheter des graines, des engrais et des pesticides, tous importés. » Autres conséquences de la crise au Liban : «50% des terrains arables n’ont pas été plantés cette année, ce qui accroît la pression sur les prix », ajoute-t-il.
L’industriel fait ainsi état d’une hausse de ses coûts de production de 400 %, qu’il n’est pas en mesure de répercuter sur les prix dans un contexte local et mondial déjà déprimé. «Nos exportations ont fortement baissé, tandis qu’au Liban, nos ventes en volume ont baissé de plus de 50 % », poursuit Nicolas Abou Fayçal. Un recul qui s’explique selon lui par la détérioration du pouvoir d’achat des ménages libanais et la concurrence des produits étrangers bas de gamme qui inondent le marché. « Par exemple, la pâte à tartiner au chocolat que nous produisons reste plus chère que certaines marques turques, qui en plus d’être subventionnées par l’État turc, sont d’une bien moindre qualité : elles contiennent cinq fois moins de noisettes ! » s’indigne-t-il.
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Face à cette situation, l’entrepreneur appelle les autorités à protéger les industries libanaises. « Nous ne voulons pas d’argent, l’État n’en a pas. Ce que nous voulons, ce sont des règles commerciales équitables », ajoute-t-il. En effet, les producteurs libanais se plaignent de la concurrence jugée déloyale des industriels de la région mais aussi du manque de soutien aux exportations, planche de salut de l’industrie libanaise et source de précieux dollars frais.
« Les ministres de l’Économie et du Commerce qui se sont succédé ont souvent négocié des accords de libre-échange qui désavantagent les producteurs libanais. En plus des tarifs douaniers trop bas qui ne nous protègent pas localement, à l’international, nos produits font face à des barrières non tarifaires très difficiles à surmonter. Ces mêmes barrières n’existent pas pour les produits étrangers qui rentrent au Liban », s’attriste le PDG de Gardenia. « Je ne sais pas si c’est dû à leur incompétence ou si c’est parce qu’ils sont des pantins de l’étranger, mais je sais que la situation est désastreuse », résume-t-il.
Au point de de menacer la survie de ses six usines et ses 200 employés dans la Békaa ? « Au total, si on inclut les agriculteurs et les différents employés du groupe, 400 familles dépendent, directement ou indirectement, de notre activité. Pour le moment, nous n’avons pas encore licencié, mais si la situation se poursuit, je crains le pire », conclut-il.