« Le Liban dans la tourmente économique et financière : quelles pistes pour une sortie de crise ? » Telle était la question au cœur du second webinaire du Commerce du Levant en partenariat avec l’Association libanaise pour les droit et l’information des contribuables (Aldic), le 15 octobre. Quelque 650 internautes se sont inscrits à la conférence en ligne en présence de Nasser Saïdi, Camille Abousleiman et Mohammad Berrada, sous la modération du présentateur et journaliste Albert Kostanian.
L’ancien ministre de l’Économie et de l’Industrie et ex-vice-gouverneur de la Banque du Liban Nasser Saïdi est notamment revenu sur les causes de la crise actuelle. « Le tournant a vraiment été le début des ingénieries financières de la banque centrale en 2015 », qui ont contribué à creuser le double déficit fiscal et budgétaire. Ces mesures ont abouti à la formation « de la plus grande pyramide de Ponzi de l’histoire ». Plus généralement, l’économiste a dénoncé « une gouvernance minée par la corruption et l’incompétence ».
Rebondissant sur ces propos, Camille Abousleiman, l’ancien ministre du Travail du gouvernement Saad Hariri, a déclaré avoir été surpris durant son mandat par « le manque de connaissance économique de la classe politique ». Il a également pointé du doigt son apathie face à la dégradation de la conjoncture économique, attribuable selon lui à « une croyance en l’existence de solutions miracles, à l’absence d’obligation de rendre des comptes et à une certaine paresse ».
L’ancien ministre de l’Économie et des Finances marocain Mohammad Berrada a, pour sa part, rappelé que les crises étaient l’apanage du modèle néolibéral, dominant dans le monde depuis les années 1990. « Le modèle se nourrit d’excès et le Liban, en particulier, a vécu pendant de nombreuses années dans l’exubérance financière, la spéculation, les inégalités excessives... »
Ces différents facteurs ont été à l’origine de l’éclatement d’une crise multiple – de liquidités, bancaire, économique, sociale... – dont l’élément déclencheur a été, selon Nasser Saïdi, la fermeture pendant quinze jours des banques en octobre 2019, dans les premiers jours du mouvement de contestation populaire.
Nasser Saïdi et Mohammad Berrada ont dénoncé les solutions jusqu’ici mises en place par la Banque du Liban, et en premier lieu l’utilisation massive de la planche à billets qui a contribué à inonder le marché de livres libanaises et entraîné un effondrement de sa valeur ainsi qu’une flambée des prix. « Les États-Unis ont l’habitude d’avoir recours à de telles mesures d’“assouplissement quantitatif” pour financer leurs déficits interne et externe, mais cette politique keynésienne a pour but de relancer la production nationale. Or le Liban n’a presque plus d’industrie qui pourrait permettre de remettre le moteur économique en marche », a expliqué Mohammad Berrada.
Les trois intervenants ont ensuite été invités à discuter des sorties de crise possibles. Pour eux, toute réponse doit passer d’abord par un bon diagnostic de la situation. Mohammad Berrada a insisté sur l’importance de la qualité des données utilisées afin de pouvoir élaborer une stratégie économique pertinente. « Beaucoup trop de statistiques sont imparfaites, selon les organismes publics », a-t-il déploré.
Les intervenants se sont par ailleurs accordés sur la nécessité de faire appel au Fonds monétaire international. « Plus on attend, plus le prix à payer sera élevé », a notamment averti Camille Abousleiman. Mais pour pouvoir espérer obtenir un plan d’aide financière, des réformes doivent être mises en place. « Le Liban a besoin d’un programme d’ajustements économiques crédible et applicable en une période de temps donnée », a commenté Nasser Saïdi. « Les créanciers du Liban n’accepteront pas de renégocier la structure des eurobonds sans un plan du FMI qui leur assure à terme de pouvoir être remboursés », a pour sa part déclaré Camille Abousleiman.
Le gouvernement devra lui-même soutenir le programme, selon Nasser Saïdi : « Un fort appui et une appropriation politiques sont nécessaires. » Or la classe politique actuelle n’a pas forcément intérêt à mettre en œuvre des réformes structurelles, selon les intervenants. « Je ne crois pas la majorité parlementaire actuelle capable de mettre en œuvre un tel programme, sauf sous une très forte pression », estime Camille Abousleiman.
À ce titre, Nasser Saïdi estime nécessaire une intervention internationale afin d’avoir à la fois « le bâton – la menace de sanctions financières contre des individus – et la carotte – une aide financière pour venir en aide au pays ». La diaspora peut aussi jouer un rôle en ce sens : « Les Libanais de l’étranger doivent s’organiser en comités d’action politique. »
Le webinaire est à revoir en entier ci-dessous