Sous pression depuis des mois, les spécialistes du jouet misent sur la période des fêtes, mais le rush de Noël n’a pas encore eu lieu.
«Cette année, encore plus que l’année dernière, on va réduire les cadeaux au maximum, les prix en livres libanaises sont devenus délirants», soupire Mireille, mère de deux enfants. Comme beaucoup de Libanais dont le pouvoir d’achat ne cesse de s’effondrer, la crise l’a poussée à limiter sa consommation à l’essentiel.
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«Les jouets sont devenus un luxe , regrette Waël Sinno, PDG de la holding Toy Market Trading qui compte les sociétés Toys4Less, spécialisées dans le déstockage de jouets, ou encore la franchise JouéClub. Les jouets étant quasiment tous importés, leurs prix en livres libanaises se sont envolés avec la pénurie de dollars, qui se vend désormais cinq fois plus cher sur le marché noir. «Environ 95 % des jouets sur le marché libanais sont produits en Chine, le reste provient essentiellement d’Europe», explique le dirigeant. Si Noël dernier n’a pas été catastrophique pour le secteur qui, selon Waël Sinno, représentait encore près de 100 millions de dollars répartis entre 10 gros distributeurs et une centaine de détaillants, la situation s’est nettement détériorée depuis, entre l’effondrement de la livre et le Covid-19. «Les commandes en ligne n’ont pas compensé la baisse des ventes liées aux anniversaires manqués à cause du confinement», explique Waël Sinno. Sur les onze premiers mois de l’année, les ventes du secteur étaient déjà en baisse de 40% en volume, selon lui. «On ne s’attendait pas à une telle chute», confirme Jean Abou Jaoudeh, cofondateur de l’enseigne Wild Willy, qui est implantée dans cinq régions du pays, et dont le chiffre d’affaires en dollars a chuté de 60% par rapport à l’année 2018.
Le rush de Noël, qui en temps normal porte l’activité annuelle, aurait pu éclaircir un peu ce sombre tableau. Mais alors que les fêtes approchent à grands pas, les professionnels du secteur se préparent au pire. « On projette une baisse des ventes de 60% en valeur (en dollars), et de 30% en volume par rapport à Noël dernier », estime Waël Sinno.
Un secteur en mode survie
Face à la crise, les vendeurs de jouets, comme tous les commerçants, essaient de s’adapter en réduisant d’abord drastiquement leur catalogue. «Les limites sur les facilités de crédit nous imposent de payer sur-le-champ les fournisseurs en dollars frais», explique Jean Abou Jaoudeh. Avec la contraction de la demande, de nombreux produits n’ont pas été renouvelés. «On a réduit notre catalogue de 40%», déplore Waël Sinno.
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L’offre, en plus de se réduire comme peau de chagrin, est aussi contrainte d’évoluer. Afin de ne pas perdre une clientèle au budget de plus en plus serré, les enseignes de jouets se dirigent désormais vers des produits moins chers. Si le haut de gamme reste toujours accessible pour une poignée de clients payés en fresh dollars, la crise a creusé la différence avec «le segment intermédiaire». C’est pour ce type de consommateurs, au pouvoir d’achat en chute libre, que tout se joue. «Pour cette clientèle, qui ne veut pas lésiner sur la qualité, notre vrai défi est de continuer à proposer des grandes marques, mais avec des gammes plus accessibles», explique Waël Sinno.
L’enseigne Wild Willy a, elle, fait le choix de se repositionner en s’éloignant des grands noms de l’industrie: «Les jouets de marque représentaient près de 50% de notre catalogue, leur part est tombée à 5% cette année», explique son propriétaire.
Malgré tout, les prix des jouets restent prohibitifs pour le consommateur libanais. «Je ne trouve plus de cadeau à moins de 150.000 LL, alors que mon budget était de 50.000 LL par enfant avant la crise», confirme Mireille.
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Pour continuer à exister, les enseignes disent appliquer un taux de change inférieur à celui du marché noir. «Nous n’aurions plus de clients si nous ne le faisions pas», souligne Jean Abou Jaoudeh.
Chez JouéClub, le taux de change est réévalué chaque semaine, en maintenant un pourcentage de «15% inférieur à celui du marché noir», selon Waël Sinno. Une stratégie qui a un coût: «Nous avons baissé nos marges bénéficiaires de 15%», ajoute-t-il.
L’enseigne Wild Willy, elle, suit le cours journalier du dollar pour les nouvelles commandes, mais liquide ses anciens stocks à un taux situé entre 2500 et 5000 LL. «Nous avons encore de nombreux produits issus de nos anciens catalogues, que l’on ne compte pas renouveler de toute façon», explique Jean Abou Jaoudeh.
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Dans ce contexte, les professionnels placent leurs espoirs dans les émigrés libanais, très attendus pour les fêtes. «Pour eux, le pays est devenu “bon marché”», avance Waël Sinno, en espérant qu’ils seront nombreux à passer leurs vacances cette année au Liban, et surtout qu’ils y achèteront leurs cadeaux. Mais le PDG de Toy Market Trading n’y croit qu’à moitié. «2020 est une année de perte», dit-il, résigné, en espérant toutefois une amélioration de la situation politique et économique en 2021. «D’ici là, l’objectif est simplement de maintenir une clientèle», conclut-il.
Des jouets « made in Lebanon » Dans les magasins de jouets, le « made in Lebanon » est quasiment introuvable. Le renchérissement des produits importés offre toutefois une opportunité pour de jeunes entrepreneurs comme Rayan Barhouche, qui a cofondé en 2017 Bildits, une marque de jouets de construction. Ces kits «made in Lebanon» sont disponibles dans sept grandes chaînes de magasins de jouets. Si l’entreprise, qui emploie trois employés à plein temps, importe ses matières premières, qu’elle doit donc payer en dollars, elle assemble et fabrique les pièces au Liban. Ses coûts liés à la main-d’œuvre étant en livres libanaises, «en s’arrangeant entre les deux monnaies, nous sommes capables de proposer un taux de change de 5000 LL pour un dollar». Des prix qui permettent à Bildits de tirer son épingle du jeu. En 2020, plus de 3000 kits ont été vendus, soit 1000 de plus que l’an dernier. «Même si, avec la dépréciation de la livre, nos profits en dollars ont baissé, nous vendons plus que l’an dernier, notamment grâce aux ventes en ligne, populaires à l’heure du coronavirus, qui ont été multipliées par 10.»Mais pour le consommateur moyen, ses produits restent chers. «Avec des premiers prix commençant à 20 dollars (100 000 LL), nous sommes certes plus abordables que les alternatives importées, mais Bildits n’est pas un produit bon marché», reconnaît Rayan Barhouche, qui compte développer une gamme de produits accessibles aux petits budgets l’an prochain. «Il y a tout de même une opportunité à saisir. Les produits locaux pourraient devenir compétitifs, surtout à l’export», ajoute l’entrepreneur qui vise une expansion à l’international en 2021.Le secteur du jouet prévoit une baisse de 60% du chiffre d’affaires (en dollars) par rapport à l’an dernier. |