Un battant formé à la rigueur britannique, et une bouille qui dégage de l’authenticité. L’industrie libanaise, il en est le porte-drapeau, la défend à bras-le-corps avec enthousiasme. Si bien que ça devient contagieux.
«Je ne peux pas consentir aux compromissions». Le personnage ne sacrifie pas à la tartufferie. Sans doute l’une des raisons principales qui explique l’accession de Fadi Abboud à la tête de l’Association des industriels, fort du soutien de Jacques Sarraf, le président sortant, qui aura marqué l’institution.
«Dès mon adhésion à l’Association, j’ai projeté d’en devenir un jour le président». Évidente, son envie de faire bouger les choses dans la bonne direction. Très tôt, Fadi Abboud se fait remarquer. Et surtout se fait entendre. Sarraf le surnomme le contestataire et en fait, quelques années plus tard, son dauphin. Ces deux forts caractères construisent alors, autour de leur “cause commune” de défendre le secteur industriel, une complicité qui perdure.
Une culture du travail
Formé dès le tendre âge à la culture du travail bien accompli, industriel il sera, comme on l’est en famille.
Originaire de Sakiet el-Misk, un village situé près de Bickfaya, il fréquente l’école de Choueifate et garde jusqu’à aujourd’hui un sentiment d’une fidélité fraîche, propre à l’enfance, à l’égard de ses “maîtres à penser” Ralph Boustani et Georges Massroua. Véritable mentor, celui-ci lui fait découvrir Hannibal, Gibran Khalil Gibran, Antoun Saadé… et autres idoles. Cultivant dès lors un penchant pour les idéaux de justice et de droits de l’homme, Fadi Abboud se destine à une formation de juriste.
Le hasard en décide autrement et la guerre du Liban le propulse à Londres. Il a 18 ans et entame des études d’économie et de développement à l’Université de Westminster. Sept ans de vie universitaire finissent par complètement marquer sa personnalité de l’empreinte britannique et du chapelet des valeurs qu’elle entraîne en termes de démocratie, de citoyenneté et de civisme. Des spécificités à côté de bien d’autres, comme la rigueur devant accompagner tout labeur, et dont il demeure si marqué. «Je n’arrive pas à m’adapter à cette tradition de communication verbale dans les relations professionnelles, propre à nos sociétés moyen-orientales».
Dès l’âge de 26 ans, il rejoint les usines familiales d’aluminium implantées par son père au Ghana et au Nigeria. Ces pays confrontés à des troubles, devenant difficiles pour les Libanais au fil des ans, les Abboud finiront par vendre leurs entreprises et quitter définitivement l’Afrique. Fadi Abboud établit alors au Liban, au milieu des années 80, une entreprise de matériels de cuisine jetables en aluminium et plastique, GPI.
Parallèlement, il se lance à Londres dans deux business différents : la représentation commerciale de vêtements griffés qu’il démarre avec sa femme argentine Liliana, ainsi qu’un bureau de conseil industriel et de machines. Celui-ci a notamment pour activité le montage d’usines à l’étranger, dont la Jordanie, l’Argentine et dans certains pays africains.
À l’époque, il passait 8 mois à Londres et 4 au Liban. Mais «le développement de GPI et ma plus grande implication au sein de l’Association des industriels m’ont conduit, ces cinq dernières années, à vivre 9 mois au Liban et 3 à Londres», sa destination privilégiée en fin de semaine pour voir sa famille.
Travailleur infatigable, il se concentre alors sur le développement de GPI. Cette industrie n’a commencé à produire qu’en 1985. Mais dès les premières années de la décennie 90, près de 95 % de sa production est écoulée sur les marchés de l’export aux quatre coins du monde. Raison de plus pour ce “survitaminé”, amateur de chasse qu’il pratique en Écosse, de viser la conquête du marché libanais. Gageure réussie puisque, avec une part de 60 % du marché local, il est aujourd’hui le leader dans son secteur.
Un engagement à plein-temps
Il va donc sans dire : Fadi Abboud croit ferme à la vocation industrielle de ce pays et la défend à coups de discours parfaitement construits. Et d’arguments convaincants qui vont puiser aux sources d’un nationalisme sincère, palpable. «L’industrie est créatrice d’emplois pour nos jeunes et, par conséquent, une soupape de sécurité efficace contre l’exode de nos cerveaux».
Dès sa prise de fonctions à la tête de l’Association, il cherche à recapitaliser tous les “acquis” industriels… en plaçant haut la barre. «Présider cette Association est un travail à plein-temps. Pour moi, c’est un véritable engagement».
L’homme a des perspectives et de la détermination pour les mettre en pratique. «Les actions de lobbying sont inutiles lorsqu’on n’établit pas une échelle de priorités. Il faut se concentrer sur un ou deux objectifs stratégiques, les faire aboutir et ensuite passer à autre chose». De fait, il va s’atteler à deux dossiers épineux, véritables enjeux industriels : les coûts énergétiques et le développement des exportations.
«Le Liban est le pays où le coût de production est le plus cher du monde arabe… Le gouvernement devrait adopter le principe du zéro taxe sur les exportations», martèle Abboud. Et de recourir aux slogans porteurs : «Au Liban, tout producteur est paradoxalement puni», ou encore «les exportateurs sont des résistants».
L’objectif de l’Association des industriels est d’atteindre à court terme un volume d’une valeur de 1,5 milliard $ à l’exportation. Pour ce faire, l’équipe en place est décidée à déployer toute sa logistique. Son “conseil de développement des exportations“ est donc tenu de passer à la vitesse supérieure. Un centre de 10 000 m2 aménagé à l’entrée du port de Beyrouth accueillera une foire permanente des industries libanaises. Il est prévu d’y organiser des expositions sectorielles, et non plus générales. En effet, il n’est plus aujourd’hui de bon aloi de rassembler dans un même pavillon des produits qui ne s’assemblent pas, comme par exemple les bijoux et les produits alimentaires…
Par souci d’efficience, y seront adoptées les méthodes “taïwanaises”. À la bonne heure, puisque les missions commerciales en visite dans le pays pourront systématiquement s’y rendre et passer des commandes.
Rebelle à l’improvisation
Gonfler le volume des exportations est également le cheval de bataille du ministre de l’Industrie Georges Frem. S’il s’y reconnaît comme son compagnon d’armes, Fadi Abboud ambitionne d’avoir aussi l’oreille du Premier ministre. Rafic Hariri, estime-t-il pour l’avoir vu à l’œuvre lors d’un voyage en Chine, est en mesure de paver la voie aux produits libanais, sur les marchés de tous les continents.
Et de prôner la formation d’un comité ad hoc opérant comme conseiller auprès du gouvernement pour les questions industrielles. «Il n’est pas permis de sacrifier des entreprises en difficulté, alors que plus de 65 000 jeunes entrent chaque année dans la vie active et cherchent des débouchés. Tout État qui se veut moderne a recours, le cas échéant, à des opérations de restructuration et transformation des activités».
S’il y a du rebelle en lui par rapport à l’économiquement correct, Fadi Abboud est avant tout un homme de structure. Instituer une culture de l’industrie dans ce pays passe inéluctablement par une sensibilisation d’envergure à l’échelle universitaire, voire scolaire. À cet effet, des liens rapprochés commencent à se tisser entre l’effectif industriel du pays et les universités ; lesquelles, de surcroît, constituent des viviers de réflexion, devant éclairer les enjeux économiques. Cette relation est désormais consacrée, portée au zénith par les tigres du Sud-Est asiatique, entre la “recherche et le développement”. Abboud en fait son credo. Parce qu’il est temps «de mettre terme à la prééminence de l’improvisation – trop onéreuse pour ce pays». La présidence de l’Association des industriels est aussi l’occasion pour cet amoureux de la campagne de mettre en pratique ses convictions écologiques : «Toute industrie moderne se veut aujourd’hui respectueuse des exigences environnementales».
Dénicheur de beaux objets, Fadi Abboud est un collectionneur d’armes de chasse. Et reconnaît vouer une passion pour les machines industrielles… et les voitures de sport, surtout «la Porsche, pièce maîtresse d’ingénierie».
Voyageur curieux et attentif, il consacre d’abord le plus clair de son temps libre à ses enfants qui grandissent à Londres, mais auxquels il aimerait tant inculquer l’amour et l’habitude du Liban. Et pour ce qui reste, il est voué à son sport favori le ski de fond, et aux livres… de fond. Lecteur polyvalent, il est fasciné par l’histoire et le théâtre élisabéthains. Admiratif des parcours des grands de ce monde, Churchill en tête, il n’en est pas moins «revenu des dogmes et idéologies». L’ambiance londonienne lui manque quand même, «surtout le Sunday Times du dimanche matin».
Mais sa nostalgie appartient à ce pays, un Liban raconté dans les épopées rahbaniennes et porté avec émotion par la «voix divine de Feyrouz». Donc naturellement idéaliste, il est toujours en quête de nouvelles réalisations.
La somme de travail qu’il abat tous les jours ne le dissuade pas de reprendre le chemin de l’université. Et compte décrocher son master à la London Business School.
Fadi Abboud n’est en compétition qu’avec lui-même. Parce que pour lui vivre, à 48 ans comme à tout âge, c’est aussi se dépasser.