Une brillante économiste était récemment à Beyrouth pour présenter des
prévisions macroéconomiques mondiales destinées à étayer sa vision de
l’évolution de différentes classes d’actifs. L’objectif était d’orienter les
placements d’investisseurs libanais, tentés par les actions américaines, les
matières premières, l’or, les marchés asiatiques, etc. La pertinence du propos
n’avait d’égal que la richesse des outils analytiques mobilisés. De la contribution
de chaque pays au PIB mondial ; à des graphes corrélant les prix de l’immobilier
résidentiel et l’évolution de la demande privée au Japon, aux États-
Unis et en Europe ; en passant par l’évolution des investissements des entreprises
américaines… Tout l’art de la conférencière consistait à savoir choisir
les bons indicateurs qu’elle puisait à loisir dans un arsenal de statistiques
toutes plus pointues les unes que les autres. De quoi faire pâlir d’envie quiconque
voudrait tenter un exercice similaire non pas à l’échelle de la planète,
mais à celle, bien plus modeste, du Liban. Le Commerce du Levant réédite
l’expérience tous les ans. Une véritable
gageure, tant la rareté des chiffres est
devenue légendaire au pays du Cèdre. Le
phénomène persiste depuis de si nombreuses
années - malgré les appels pressants
des économistes et de toutes les institutions
internationales - qu’il ne peut être
fortuit. La pénurie de statistiques est le fruit d’un modèle économique qui repose
sur le dynamisme de certains secteurs bien identifiés au détriment d’autres
activités volontairement ignorées. Souligner la vigueur du marché immobilier
permet d’occulter gentiment l’ampleur du chômage et de l’émigration. Insister
sur la solidité du taux de change et la forme athlétique des banques masque
pudiquement la perte de pouvoir d’achat de la population et l’affaiblissement
de la compétitivité globale de l’économie. À quoi bon éclairer les recoins
sombres si on n’a pas décidé de faire le ménage ? Tant que le gouvernement
ne se décidera pas à mettre au point un système de statistiques efficace, sa
volonté de réforme ne pourra pas être prise au sérieux. Car il ne suffit pas de
calculer l’évolution de la dette ou du déficit publics pour mesurer l’ampleur
d’une crise. Afficher des objectifs de croissance sans en détailler les composantes
ne convainc pas davantage.
La pénurie de statistiques
est le fruit
du modèle économique.