Dans un pays habitué à jongler avec
les milliards, les chiffres annoncés
ici et là sur l’ampleur du bilan économique
de la guerre ne sont pas aussi
parlants que les photos des immeubles
rasés ou des ponts brisés par les missiles
israéliens. Par l’image, chaque Libanais se
rend compte concrètement de l’impact des
destructions matérielles : il peut les évaluer
en établissant une comparaison avec ses
propres biens, lorsqu’il s’agit d’appartements
; ou bien mesurer les conséquences
de la disparition d’un point de passage crucial,
car l’expérience des embouteillages et
des voies détournées est encore fraîche
dans sa mémoire.
En revanche, il est beaucoup plus difficile
de mesurer l’impact économique et financier
en termes macroéconomiques, d’envisager
les conséquences du conflit sur l’activité
des entreprises, la consommation des
ménages, le moral des investisseurs, etc.
Les outils statistiques sont absents et les
annonces des uns et des autres sont rarement
crédibles faute d’être étayées par des
études scientifiques.
Les déclarations « à la louche » surestiment
probablement les dommages matériels,
dans l’espoir d’amadouer les bailleurs
potentiels et en tout cas d’obtenir des traitements
préférentiels de la part de l’État.
Mais c’est de bonne guerre, et, quelle que
soit l’exagération, il est possible qu’in fine,
elle ne rende pas compte de pertes beaucoup
plus importantes, même si elles sont
moins tangibles. Les effets indirects de la
guerre sur l’activité économique sont certainement
plus graves que les effets
directs, et très rares sont les entreprises
qui retrouveront rapidement le niveau de
chiffre d’affaires d’avant le 12 juillet.
Davantage que des vies humaines, que des
pierres ou que des ponts, c’est une certaine
idée du Liban qui a été atteinte, celle
d’un pays où l’esprit d’entreprise peut avoir
raison de tous les obstacles, de la géopolitique
à la corruption, en passant par les tracasseries
administratives.
Cet esprit d’entreprise légendaire qui a fait la
réputation du secteur privé pendant ce qu’il
faut désormais appeler la première guerre
du Liban s’est bien entendu manifesté à
nouveau. Importateurs et exportateurs ont
tenté de mille façons de contourner le blocus,
les réseaux de distribution ont fonctionné
tant bien que mal, les usines ont fait tourner
les machines jusqu’à épuisement des
matières premières, etc. Les sociétés qui ont
survécu à des années de guerre ont su trouver
les ressources pour durer encore.
D’autres n’ont pas résisté au choc.
Beaucoup en tout cas sont à bout de souffle.
Si les entreprises qui constituent la colonne
vertébrale de l’économie libanaise – déjà
en crise avant le 12 juillet – semblent pouvoir
résister, les jeunes pousses qui préfiguraient
le nouveau visage potentiel d’un
Liban compétitif, tourné vers l’extérieur,
elles, ont pris peur. Trop nombreuses sont
les histoires de jeunes patrons qui avaient
choisi de s’installer à Beyrouth plutôt qu’à
Dubaï ou à Paris et qui ont vite fait de plier
bagage. La fuite des cerveaux a toujours
été un fléau libanais, cette fois, l’hémorragie
est d’autant plus grave qu’un embryon
de nouvelle société économique était en
train de naître. Le gouvernement, les
plans de reconstruction, les conditions du
règlement politique… sauront-ils les
convaincre de revenir ? Au-delà des fonds
injectés dans le système financier ou
dans l’immobilier, qui permettront au système
de se maintenir, c’est le défi que le
Liban doit relever.
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