D’un bord à l’autre de l’échiquier
politique libanais, la notion d’État
est désormais au centre du
débat. Les uns et les autres réclament un
État fort, sans pourtant que quiconque en
définisse réellement les caractéristiques.
Cette focalisation répond à une demande
profonde des Libanais qui, à chaque épisode
de leur tumultueuse histoire, espèrent
enfin l’émergence d’une superstructure
étatique à l’ombre de laquelle la nation libanaise
pourra vraiment se forger. Les tentations
autonomistes ou l’exacerbation du
communautarisme ne sont que des réactions
de dépit, après chaque échec. C’est
aussi à cette aune qu’il faut comprendre la
popularité acquise auprès d’une partie des
Libanais par Fouad Siniora, alors que le
Premier ministre n’est pas un “ zaïm ” au
sens traditionnel : à travers le soutien à cet
homme, au-delà de ses qualités propres,
c’est une envie d’État qui s’exprime. Serat-
il à la hauteur ? Ou bien, comme d’autres
avant lui, restera-t-il prisonnier des calculs
politiciens étroits faits de combinaisons et
de marchandages communautaires qui
vident l’État de sa substance pour en faire
un simple chef d’orchestre des divers clientélismes
?
Le dossier de la reconstruction et celui de
la réforme sont des tests cruciaux en la
matière. Beaucoup d’argent est en jeu. Si la
générosité internationale exceptionnelle a
sans aucun doute des motivations géopolitiques,
elle n’en demeure pas moins une
opportunité économique qu’il ne faut pas
gaspiller. La Banque mondiale a par exemple
fait un don de 70 millions de dollars au
Liban, une somme exceptionnelle par son
importance, si on la compare à celle offerte
par cette même institution aux victimes du
Tsunami (25 millions de dollars), une catastrophe
réputée pour avoir mobilisé un
montant record d’aide internationale.
Le défi est d’orienter intelligemment les
dons et les prêts bonifiés pour améliorer
l’efficacité du service public, faire en sorte
que l’État joue pleinement son rôle de régulateur
laissant le soin aux forces du marché
de se concurrencer loyalement afin de
relancer l’activité, alléger les déséquilibres
des finances publiques qui pèsent sur la
compétitivité de l’économie, etc. Le risque
est que le Trésor serve uniquement de
caisse de redistribution de flux destinés à
telle ou telle catégorie de groupes d’intérêt,
sans planification d’ensemble.
Inviter les bailleurs de fonds à parrainer
en direct un pont, ou un village, n’est-ce
pas déjà un aveu d’incapacité de l’État à
organiser et programmer ces chantiers ?
Paradoxalement, la gestion de l’abondance
peut se révéler aussi, voire plus,
difficile que celle de la pénurie, en raison
des appétits qu’elle aiguise, qui canibalisent
l’État.
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Le risque est que le Trésor
serve uniquement de caisse
de redistribution