Les manifestations de protestation contre la cherté de la vie et les coupures de courant ont brutalement créé un lien entre l’économie et la politique – qu’il soit spontané ou instrumentalisé peu importe –, alors que la capacité du Liban à dissocier les deux est depuis des mois présentée comme un succès.
L’apparition de problématiques économiques et sociales dans le débat politique est donc doublement perçue comme une intrusion violente. Elle brouille les pistes.
L’idée que les “événements” politiques et sécuritaires ont une logique propre, autonome, contredit pourtant les lois les plus évidentes de la sociologie. Que la Syrie les manipule ou qu’ils soient mus par leur propre agenda, les islamistes de Tripoli n’ont-ils pas proliféré sur le terreau fertile de la pauvreté ? Quel que soit leur attachement identitaire à l’Iran, les chiites ne suivent-ils pas majoritairement le Hezbollah pour les subsides qu’il leur distribue ? Les réponses à ces questions sont évidentes et connues de tous.
On s’interroge moins sur les raisons de l’incapacité des Libanais à réformer un système politique confessionnel et clientéliste, asservi à des intérêts tiers, pourtant unanimement jugé responsable de la crise.
N’est-ce pas parce que les uns ont tellement bien réussi à dissocier leurs affaires du cours des événements qu’ils n’ont aucun intérêt à se battre pour le changement ; tandis que les autres mènent une vie schizophrène, choisissant de ne prendre que le meilleur du Liban pendant les week-ends ou les vacances ?
Mieux les forces vives du pays parviennent à se développer en marge d’un système déliquescent, moins elles sont incitées à vouloir le réformer, en s’y attelant réellement, pas par de simples incantations. Renouer le lien entre l’économie et la politique est le meilleur moyen d’espérer les remettre un jour sur les rails.