Distribution
Olivier Badot*, professeur, entre autres, à l’École supérieure des affaires (ESA)
de Beyrouth, se penche sur les stratégies d’implantation en vogue aux États-Unis
et en Europe. Pour lui, l’implantation est un facteur de la valorisation de l’actif.
Ce qui exige une réflexion en amont quant à ses choix de localisation,
fonction de sa cible clientèle, de la zone de chalandise du quartier
et de l’identité de la marque.
Olivier Badot : l’emplacement,
un facteur-clé de la réussite
En matière d’implantations commerciales,
le choix de l’emplacement est-il
le facteur le plus important ?
Tout dépend d’abord du type d’activité. Si
l’on s’en tient à des produits de biens à la
personne, les gammes de vêtements principalement,
les stratégies d’implantation se
distinguent selon la clientèle visée : un discounter
et une enseigne moyen ou haut de
gamme ne répondent pas aux mêmes critères.
De manière générale, l’emplacement
est cependant le premier élément à prendre
en compte même si, au final, le choix est
très limité dans les pays occidentaux, tant le
marché y est sursaturé. Les termes du choix
se posent, en fait, entre trois grandes catégories
: les centres-villes, les centres commerciaux
et des zones spécifiques, souvent
à la périphérie des villes, qui ciblent des
publics moins fortunés. Ces espaces ont en
commun une “centralité” géographique et
jouent sur une concentration de l’offre. Cette
centralité est inhérente aux métiers du commerce
: au Moyen Âge, les foires s’installaient
déjà sur les trajectoires des pèlerinages,
afin de bénéficier de ces flux captifs
de passage.
Quels sont les choix qui s’imposent en
matière d’emplacement ?
D’abord, les centres commerciaux. Mais les
droits d’entrée y sont devenus inabordables
pour les petits commerçants. Ce “droit d’entrée”
représente la valeur symbolique de
l’actif, c’est-à-dire l’attraction de sa zone de
chalandise, sa localisation, son trafic… Il
peut aller jusqu’à 500 000 euros en Europe.
Un tarif élevé que seuls de grands groupes
comme Zara, H&M peuvent payer.
Aujourd’hui, le centre commercial du Forum
des Halles (Paris) reçoit 43 millions de visiteurs
par an. C’est un trafic gigantesque – à
comparer avec le premier parc de loisirs
européen, Disneyland de Marne-la-Vallée,
qui lui n’attire que 15 millions de visiteurs
par an.
Depuis quelques années, on assiste aussi à
une montée en gamme des centres-villes,
avec des enseignes plus qualitatives, davantage
tournées vers la mode. Les villes ont fait
un effort pour favoriser cette nouvelle attractivité
: parkings, espaces piétons, parcs ou
jardins paysagers ont ainsi été réaménagés.
Le positionnement clientèle, en centre-ville,
est cependant plus âgé qu’en centre commercial
(seniors et jeunes adultes). On en
vient même à avoir un “city management”
des centres-villes pensés sur le modèle de
celui des centres commerciaux. Il s’agit
alors, comme pour un centre commercial, de
mettre en conformité l’urbanisme commercial,
l’identité visuelle, l’infrastructure et les
flux de chalands.
Enfin, les “retail parks”, ou parcs d’activités
commerciales. Ces zones plus ou moins discount
ont, elles aussi, été repensées de
façon à apporter des services à la clientèle :
création de parkings, d’espaces verts, cursives
aménagées pour donner un sentiment
de convivialité.
De manière générale, on assiste à une montée
en gamme des centres commerciaux qui
deviennent, au-delà de la dimension marchande,
de plus en plus des lieux de promenade,
de vie, voire de projection symbolique et identitaire.
On parle alors de “centres lifestyle”.
Quelles sont les logiques qu’on doit
prendre en compte pour décider de son
emplacement ?
Dans tous les cas, il s’agit de valoriser l’actif,
c’est-à-dire la valeur future du site, une
fois valorisée par la puissance de l’enseigne,
Les termes du choix
se posent, entre trois
grandes catégories :
les centres-villes,
les centres
commerciaux
et des zones
spécifiques
57 - Le Commerce du Levant - Juillet 2009
du concept commercial proposé et par la
complémentarité avec les points de vente
voisins pour l’expérience d’achat des clients.
Dans ce but, mieux vaut penser son choix
d’emplacement en fonction d’une logique de
“cluster”, soit par agrégat commercial. Le
cluster est un mode d’organisation qui privilégie
la centralité : les boutiques se regroupent
dans un même espace, soit par catégorie
de produits, soit en fonction des itinéraires
des clients. On favorise alors des
lignes de produits complémentaires.
Il faut ensuite prendre en compte les animations
proposées. Depuis la création du West
Edmonton Mall en Alberta au Canada ou du
Mall of America à Minneapolis dans le
Minnesota aux États-Unis, une tendance
lourde est de prévoir des “parcs d’attractions”
à destination des enfants. Pour les
adultes, ce sont plutôt des animations ponctuelles,
calendaires autour de thèmes porteurs
comme la “nostalgie”, le “vintage”.
Dans tous les cas, l’espace dans lequel on
inscrit son enseigne commerciale doit vivre
et respirer autour d’événements.
Lorsqu’on choisit un emplacement dans
un centre commercial et lorsqu’on en a
les moyens, faut-il encore réfléchir à
quel centre spécifiquement ?
Tout dépend de la marque que vous représentez.
Par exemple, Lush, une marque
anglaise de cosmétiques à base de produits
frais : par son positionnement marketing,
cette chaîne est condamnée à s’implanter
dans des lieux à la mode comme Carnegie
Street (Londres), Queen Street (Toronto) ou
Melrose Avenue (Los Angeles). Autre
exemple : celui d’un centre commercial
comme les Quatre Temps, à La Défense, en
plein coeur de la city française. De facto, il
s’est spécialisé sur le créneau des femmes
et des hommes d’affaires : offre de snacking,
de street-food… On trouve même un
Castorama, la chaîne de distribution de bricolage,
de jardinage et de décoration, mais
Hochar, Sami [88] => Bank Audi [89] => Lafarge [90] => Debs, Khalil [91] => Orascom [92] => Harb, Bassima [93] => Compagnie syrienne d’assurances [94] => United Insurance Company [95] => Arope [96] => Bank of Syria and Overseas (BSO) [97] => Shallah, Rateb (al) [98] => Baalbaki, Ihsan [99] => Azhari, Amr [100] => Arabia Insurance [101] => Arab Bank [102] => United Commercial Insurance [103]
avec une offre de produits “portables” »,
adaptés à des clients qui achètent sur le lieu
de leur travail et qui repartent en métro.
N’y a-t-il pas un risque d’uniformisation
de l’offre commerciale en regroupant
ainsi par affinité de produits ou en privilégiant
des espaces centraux ?
Oui et non. Oui, parce que les conditions
financières liées aux droits d’entrée dans les
centres commerciaux ne permettent pas à
des “outsider” de s’implanter. Il y a donc
banalisation de l’offre. Oui encore, car les
commerces tels que nous les connaissions il
y a 30 ans ont désormais cédé la place à des
distributeurs. Oui encore, du fait de la
concentration d’acteurs du même type,
ayant tous, peu ou prou, le même business
model de “mass market”. À ce titre, je
m’amuse assez souvent avec mes classes à
“décontextualiser” » certaines marques. Si
on découpe l’étiquette d’un vêtement Zara,
Stradivarius (groupe Zara), Mango, H&M et,
peut-être même, Vuitton, on a ensuite bien
peu de chance de parvenir à les réaffecter
correctement à leurs marques d’origine.
Toutes ou presque jouant sur le “trendy”
accessible.
Cependant, en même temps, l’expérience
client, elle, n’est jamais identique. L’un des
enjeux alors, c’est précisément de savoir se
différencier. La standardisation n’est pas
inéluctable au prétexte que tous les commerces
s’inscrivent dans un espace identique.
Pour lutter contre l’effet de chaîne, la
personnalisation des boutiques s’avère un
élément-clé. Il faut également redonner du
sens à l’échange. Trop aseptisée, la relation
client perd de sa particularité. Certaines
franchises parviennent à retrouver cette
connaissance client.
Que vous inspire la géolocalisation des
enseignes commerciales à Beyrouth ?
Diriez-vous qu’elles respectent les standards
internationaux ?
L’ABC d’Achrafié est aussi professionnel que
beaucoup de centres commerciaux de par le
monde. La localisation des boutiques et les
itinéraires des clients y ont été étudiés pour
fournir l’offre des produits la plus adaptée
possible et son positionnement est très “lifestyle”.
Au centre-ville, j’ai toutefois l’impression
qu’il s’agit pour l’heure d’une “adresse
vitrine”, avec une recherche, pour les
marques présentes, de notoriété à tout prix.
Les boutiques y manquent encore d’une
véritable différenciation. Même type d’espace,
même design d’intérieur… Ce qui
ne signifie pas que cela ne fonctionne pas :
au Liban, il existe une clientèle captive,
dont les achats sont d’abord déterminés
par la marque.
(*) Olivier Badot, professeur à l’ESA, Beyrouth, professeur à
ESCP-EAP ainsi qu’à l’Université de Caen (IAE-NIMEC)
Visiting Professor, Telfer School of Management, University
of Ottawa. Consultant et expert en distribution.