L’étranger en visite au Liban s’étonne souvent de voir le pays continuer de tourner malgré la vacance de la présidence de la République et le blocage du Parlement, la légitimité du gouvernement étant contestée par l’opposition.
Toujours fiers, les Libanais ont tendance à renvoyer la balle en citant l’exemple de la Belgique qui a elle aussi été privée de gouvernement pendant des mois, en raison de désaccords entre Wallons et Flamands. Les contribuables continuent de payer leurs impôts, les justiciables de comparaître devant les tribunaux, les fonctionnaires encaissent leurs salaires, les marchandises sont dédouanées… Les institutions de l’État fonctionnent en somme !
Oui elles fonctionnent. A minima. Il suffit de consulter le Journal Officiel pour s’en rendre compte. On n’y apprend surtout des créations de nouvelles associations et des déblocages de crédit selon la règle du douzième, aucun budget n’ayant été voté depuis 2004. Pas grand-chose d’autre. Les Libanais s’en accommodent, car en définitive ils n’ont jamais connu d’État réellement interventionniste, l’intervalle de la guerre les ayant même forcés à s’en passer complètement.
L’économiste Toufic Gaspard l’a écrit dans son livre A Political Economy of Lebanon 1948-2002 : le Liban est le seul pays au monde à avoir expérimenté la théorie libérale du laisser-faire, formalisée dès l’indépendance par Michel Chiha.
Les vertus de ce choix historique sont considérées comme une donnée constitutive de l’identité libanaise : le secret bancaire, le Liban havre capitaliste dans une région dominée par les expériences socialisantes... Elles sont d’autant plus vantées que s’exacerbe aujourd’hui la tension avec la Syrie. La séparation avec Damas avait aussi été consommée de manière économique à travers la rupture du système monétaire et douanier commun instauré par le mandat.
Cette composante identitaire entrave la réflexion sur la validité de l’option ultralibérale. Il ne s’agit nullement de prôner le dirigisme étatique, mais simplement de réclamer pour le Liban ce que les pays les plus développés du monde pratiquent : un État essayant d’agir dans l’intérêt national, à travers des politiques d’orientation stratégique. Le Liban ne fera pas l’économie de ce débat de fond, même s’il trouve une solution à la crise actuelle. Une perspective en tout cas lointaine.
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