Il y a des mots qui sont utilisés à tout bout de champ au point d’en perdre leur signification. Privatisation est l’un d’entre eux. Ce terme technique est devenu une sorte de symbole de la ligne de clivage économique – toute théorique, car il en faut bien une – entre la majorité et la minorité parlementaire aujourd’hui conduites à cohabiter dans le nouveau gouvernement d’union nationale. L’opposition politique entre les deux camps a toujours été claire (bien qu’elle s’estompe à grande vitesse), en revanche, en matière économique, les choses sont floues, car, il faut bien le dire, peu d’hommes politiques maîtrisent véritablement ces dossiers. D’où l’insistance des “faiseurs d’opinions” à brandir le fanion de la privatisation en geste de ralliement : ceux qui sont “pour” sont dans tel camp et ceux qui sont “contre” dans l’autre. On frise le ridicule. Même en se forçant, la posture idéologique sur la question de la privatisation est impossible dans un pays aussi peu étatisé que le Liban. Car de quoi parle-t-on ? D’une dizaine d’entités ou de sociétés publiques tout au plus. On est bien loin des pans entiers de secteurs industriels de certains pays socialistes pour lesquels l’enjeu de la privatisation est ou a été majeur. Dans la région, la Syrie ou l’Égypte en sont des exemples. Au Liban, il faut assurément réformer une fois pour toutes les secteurs de l’Énergie ou des Télécommunications (l’un coûtant en subventions au Trésor ce que l’autre lui rapporte), mais la privatisation n’est qu’un élément de ce chantier. Réduire la réforme à la seule privatisation est caricatural. Outre l’ignorance qu’elle trahit, cette simplification reflète une tendance malsaine à admettre que l’État, aujourd’hui démissionnaire, n’a aucun rôle économique à jouer. Elle ignore la condition même de la réussite de la privatisation : la présence d’un cadre public en mesure de protéger les consommateurs et les investisseurs. Confier certains secteurs au privé n’est pas un objectif en soi. Le but est de démanteler les monoples publics et de promouvoir une économie de marché compétitive. L’autre objectif affiché de la privatisation est celui de réduire la dette publique. Mais là encore, rien ne sert d’apporter de l’argent frais si aucun effort parallèle n’est entrepris pour réduire le déficit de l’état. Ce qui suppose notamment de revoir la structure des dépenses publiques (en particulier les subventions clientélistes), ainsi que la fiscalité, avec sa cohorte d’exemptions bénéficiant à certaines catégories. Dans un cas comme dans l’autre, les obstacles à la réforme sont légion, de part et d’autre de l’échiquier politique.
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