État des lieux de la presse libanaise
Dans une interview au Commerce du Levant, le ministre de l’Information Tarek Mitri évoque son nouveau projet de loi sur les médias et dresse un portrait sans concessions de la presse libanaise, « libre, mais pas indépendante ».
Vous avez lancé un processus pour revoir la loi sur les imprimés de 1962, où en est le processus ?
Le gouvernement actuel s’est engagé dans sa déclaration de politique générale à réguler et organiser les professions des médias. Car la loi est ancienne et inadaptée : aujourd’hui, la presse écrite est soumise à la loi sur les imprimés de 1962, la presse audiovisuelle est soumise à la loi de 1994 et les médias électroniques ne sont soumis à aucune loi. Nous souhaitons avoir une loi qui regroupe l’ensemble des médias : presse écrite, audiovisuelle et électronique. Nous travaillons actuellement à un projet de loi contenant un tronc commun pour toute la profession et des chapitres spécifiques à chaque média.
Quels sont les principaux sujets abordés par la loi ?
Nous essayons de couvrir tous les sujets concernant la profession : la liberté de presse, les droits des journalistes à l’immunité, les règles de déontologie professionnelle, l’application des peines en cas d’infraction à la loi, les modes de fonctionnement, etc.
Nous tentons également de définir clairement les professions des médias : aujourd’hui, les syndicats ont leurs critères, mais des milliers de personnes exercent des métiers de presse sans pour autant avoir la carte de presse des syndicats. Sont-ils ou non des journalistes ?
Dans la même veine, nous souhaitons avoir une organisation syndicale la plus inclusive possible : aujourd’hui, et pour diverses raisons, trop peu de journalistes sont syndiqués, ce qui pose un problème de représentation de la profession.
Nous prévoyons également dans le tronc commun de la nouvelle loi la constitution d’une mutuelle, d’un fonds de prévoyance et d’un système de sécurité sociale, propres à la presse.
Comment décririez-vous aujourd’hui la situation de la presse libanaise ?
La presse écrite (et audiovisuelle d’ailleurs) est liée à des communautés, des groupes politiques ; son financement en est tributaire, ce qui réduit grandement sa marge d’autonomie. La presse est libre, mais pas indépendante, elle ne peut pas exercer son rôle critique face au pouvoir et à la politique. Par ailleurs, la déontologie professionnelle du secteur, qui implique une distinction claire entre information et opinion, laisse à désirer. Il y a un mélange des genres et le lecteur n’est pas forcément au courant. Les médias sont des médias d’opinion, pas assez concentrés sur l’information.
Même la presse d’investigation verse dans la dénonciation et la diffamation, et se substitue à la magistrature. Or, son rôle est d’informer, pas de juger.
Dans le monde, la presse indépendante a acquis cette indépendance en fidélisant un lectorat important et exigeant, qui l’a mise au défi d’être crédible. Au Liban, cette pression-là n’existe pas : non seulement le marché est trop petit, mais en plus le lectorat n’est pas exigeant.
Qu’en est-il de la censure au Liban et des procès intentés aux journalistes et aux journaux ?
Le Liban bénéficie d’une certaine liberté de presse : il n’existe pas de censure au préalable. Mais la loi sur les imprimés de 1962 et le code pénal libanais permettent à des particuliers ou au parquet de poursuivre en justice un organe de presse qui incite à la haine intercommunautaire, ou qui met en danger l’intérêt public. Sans parler de la possibilité d’intenter un procès pour diffamation.
Mais dans les faits, et même si ce dernier point est courant dans les médias libanais, il y a peu de procès, car la justice est très lente, et il y a tellement d’infractions que cela fait partie du quotidien. La pratique la plus répandue reste celle du démenti, publié le lendemain dans le média concerné : mais l’effet de celui-ci est moindre que celui de l’article original.
Quand la nouvelle loi devrait-elle être votée ?
Nous souhaitons d’abord obtenir l’approbation du projet de texte par une masse critique de gens du métier, car après il nous faudra convaincre les députés. L’idéal serait d’avoir le projet de loi en main d’ici à octobre ou novembre, pour pouvoir le proposer d’ici à la fin de l’année en Conseil des ministres d’abord, puis au Parlement.
Mais il faut être réaliste : on aura beau améliorer la loi, si on ne l’applique pas sur le terrain, cette situation va perdurer. Ceci dit, une loi moderne et réaliste a plus de chances d’être appliquée qu’une loi désuète.
Il n’y aura donc pas de changement radical. Le changement se fera petit à petit, via l’éducation ; je pense notamment aux jeunes journalistes, qui peuvent changer la donne : ils sont plus cultivés, ont accès à davantage d’outils et réclament une presse plus critique et objective.