État des lieux de la presse libanaise
Le Liban est le premier pays du Moyen-Orient à avoir développé une tradition de presse libre et indépendante. L’histoire de celle-ci est intimement liée à l’histoire politique, culturelle et sociale du pays.
La première imprimerie du Moyen-Orient a été installée dès 1585 au couvent Saint-Antoine de Qozhaya, dans le nord du Liban ; ce développement précoce de l’industrie de l’impression a joué un rôle prépondérant dans la prolifération de la presse écrite arabe.
1858-1914 : naissance de la presse libanaise dans un contexte de relative autonomie
Hadikat al-Akhbar, le premier journal libanais, a été édité en 1858 sous l’Empire ottoman par Khalil el-Khoury. Il s’agissait du premier journal en langue arabe, publié par un Arabe dans un pays arabe.
À partir de 1861 et de la proclamation du Mont-Liban en tant que province autonome (Moutassarrifiya), une ambiance de liberté règne dans la région et le Liban devient le foyer de la renaissance des lettres arabes, communément appelée al-Nahda. Beyrouth émerge en tant que capitale culturelle : des universités sont créées (l’AUB en 1866, l’USJ en 1875), les écoles (missionnaires, ottomanes et privées) se multiplient, le nombre de lecteurs croît, l’éducation se propage, les imprimeries de qualité prolifèrent (on en comptait vingt dans la capitale). La presse libanaise profite du mouvement de créativité ambiant et se développe : les premiers journaux politiques font leur apparition, les périodiques spécialisés (en science, pour les enfants…) émergent ; les écoles et universités se lancent dans l’édition. Le premier périodique en français, Correspondant d’Orient, est publié en 1907 ; il sera suivi par deux autres en 1909 : La Liberté et le Réveil ; la même année est lancé le premier magazine féminin, al-Hasnaa, publié par Gergi Baz ; un an auparavant, un périodique humoristique était lancé, sous le nom de Habbet ; et 1912 voit la naissance du premier journal d’annonces, distribué gratuitement.
Dès le début, les journaux libanais servent de plate-forme de parole aux différentes communautés : la plupart des journaux appartenaient à des particuliers qui représentaient des communautés religieuses ; ils ont joué un rôle important dans la dénonciation de l’injustice ottomane.
1914-1920 : des années sombres
L’essor de la presse libanaise est stoppé net par la Première Guerre mondiale. Le Liban est alors soumis au joug de Jamal Pacha, en charge de la région pour les Turcs ; famine, menaces et tortures sont le lot quotidien du peuple. Jamal Pacha instaure une censure sévère, à laquelle de nombreuses parutions tentent de résister. Le 6 mai 1916, il fait pendre pour “haute trahison” 11 journalistes et des nationalistes arabes qui s’étaient opposés au régime ottoman. Depuis, la place de Beyrouth (al-Bourj) sur laquelle l’exécution a eu lieu a été renommée place des Martyrs ; et le 6 mai reste commémoré jusqu’à aujourd’hui par la presse libanaise.
1920-1943 : le mandat français et l’affiliation politique des journaux
La fin de la guerre est accompagnée par la chute de l’Empire ottoman et l’arrivée des Français dans la région. La censure ottomane disparaît ; les périodiques caricaturaux et humoristiques se développent. En 1920, Le général Gouraud proclame l’État du Grand Liban. La presse joue un rôle important dans la renaissance du pays, elle devient un instrument de prise de parole ; le journalisme devient un métier, l’article s’impose comme le moyen de proclamer une opinion politique, économique ou sociale. Les éditeurs se multiplient dans les différentes régions ; les journaux communautaires se développent (arméniens, syriaques). Al-Dabbour, journal humoristique célèbre, fait son apparition en 1923 ; Gebran Tuéni fonde an-Nahar en 1933, Georges Naccache et Gabriel Khabbaz publient L’Orient en 1924, Le Commerce du Levant débute en format journal en 1929… À la fin des années 20, on recensait plus de 270 titres en circulation au Liban.
La grande liberté de ton qui régnait au début du mandat français est vite mise à mal par le gouvernement en place, qui renforce la censure dans la première loi sur les imprimés de 1924 pour contrer les mouvements de rue et les prises de position indépendantistes des journaux : fermeture de titres et arrestations de journalistes deviennent monnaie courante.
De 1936 à 1939, le Liban se scinde en deux blocs, qui se déchirent sur les questions d’indépendance : le parti constitutionnel représenté par Béchara el-Khoury, et le Bloc national d’Émile Eddé, alors président de la République. Les journaux se divisent aussi et choisissent leur camp : Le Jour, créé en 1934 par Michel Chiha, soutient le bloc constitutionnel ; L’Orient appuie le Bloc national ; an-Nahar milite pour l’indépendance et la liberté ; Beyrouth (1935) affirme son penchant pour l’arabisme ; etc.
C’est à cette époque qu’on voit apparaître, pour la première fois dans un pays du Moyen-Orient, des organes de presse appartenant à des partis politiques. En 1937, le PSNS (Parti syrien national social) fonde al-Nahda ; en 1939 les Kataëb lancent al-Amal ; en 1943 le Parti communiste édite Sawt al-Chabab ; etc.
1943-1952 : le combat pour la liberté de presse au Liban
La pression de la rue et celle de la presse, qui fait grève pour obtenir la libération des leaders de l’indépendance et la reprise de la vie parlementaire, aboutissent à la déclaration d’indépendance du Liban le 22 novembre 1943. Béchara el-Khoury est élu président de la République et Riad el-Solh devient Premier ministre.
La période est propice au développement de la presse libanaise : les agences de presse font leur apparition, la loi sur les imprimés est modifiée, de nouveaux journaux voient le jour, dont certains sont encore en circulation aujourd’hui : Ibrahim Najjar fonde al-Liwa’ en 1940, Hanna Ghosn crée al-Diyar en 1941; Kamal Mroué crée al-Hayat en 1946 et le Daily Star en 1952.
Paradoxalement, la répression envers des journalistes continue, voire s’aggrave : Ghassan Tuéni, Georges Naccache et Mohammad Baalbaki, pour ne citer qu’eux, goûtent aux geôles libanaises. En 1952, la révolte populaire contre le gouvernement oblige ce dernier à assouplir la loi sur la presse.
1953-1975 : l’âge d’or de la presse libanaise
S’ensuivent alors deux décennies qui ont été qualifiées d’âge d’or de la presse libanaise par les historiens. Le Liban est en effet le centre de la littérature arabe, avec de grands noms qui s’y côtoient : Saïd Akl, Nadia Tuéni, Georges Schehadé... La presse modernise ses équipements, augmente le nombre de ses pages, améliore la qualité de ses articles ; les nouvelles arrivent plus vite avec les agences de presse nationales et internationales ; de nouveaux journaux voient le jour, les anciens sont rénovés. En 1959, al-Anwar est créé ; en 1971, L’Orient-Le Jour naît de la fusion entre L’Orient et Le Jour. La publicité se développe, en grande partie grâce à Kamal Mroué qui le premier introduit les encarts publicitaires. Et en 1962, la loi sur les imprimés est modifiée pour garantir la liberté de presse.
1975-1990 : la guerre civile accentue les clivages politiques
Ce développement est interrompu par la guerre civile libanaise, qui affecte durablement l’industrie. Plusieurs journaux ont cessé de paraître, d’autres ont réduit leur nombre de pages ; les barrages entre quartiers et régions ont limité la circulation des journaux, concurrencée par plus de 150 “feuilles de choux” spécifiques à certaines régions ou quartiers. Les clivages politiques sont plus que jamais reflétés dans la presse et cette situation perdure jusqu’à maintenant.
De 1990 à nos jours
À la sortie de la guerre en 1991, le Liban compte encore 105 publications politiques officielles, dont 53 quotidiens. Mais la presse est exsangue, n’a plus de ressources et est plus que jamais divisée sur le plan politique. La concurrence accrue de la télévision, et plus récemment d’Internet, fait le ménage et le nombre de titres baisse drastiquement. Ceux qui restent dépendent en grande partie des financements des partis politiques qui les soutiennent, d’autant plus que les ressources alternatives sont rares. La presse libanaise, qui selon les termes de l’historien Anis Moussallem, « a été le support principal de la liberté et de la démocratie » du pays, devient donc plus que jamais une presse d’opinion, souvent au détriment de l’impartialité journalistique. La bonne nouvelle est que grâce à la liberté de presse chèrement acquise ces 150 dernières années, toutes les opinions en cours dans le pays peuvent être représentées.
Les 100 ans de la presse Une exposition sur les 100 ans de la presse libanaise entre 1858 et 1958, organisée par la Fondation libanaise de la Bibliothèque nationale sous l’égide du ministère de la Culture, se tient au centre-ville jusqu’au 21 juillet 2010. L’exposition se veut « une chronologie des journaux qui se trouvent à la Bibliothèque nationale et au Centre des archives nationales, et vise à archiver la presse en tant que mémoire et patrimoine libanais », explique Randa Daouk, présidente du comité exécutif de la Fondation. Outre la volonté de sauver ces journaux d’archives menacés d’effritement, l’exposition espère qu’elle incitera « les chercheurs à l’analyse approfondie du contenu et des circonstances qui entourent les faits reportés », commente Mme Daouk. L’exposition a nécessité plus de deux ans de travail ; elle est entièrement financée par la Fondation, qui a obtenu des dons de nombreuses banques et sociétés libanaises ; le livre/catalogue et le film qui ont été réalisés à l’occasion de l’exposition ont été financés par Beyrouth, Capitale mondiale du livre 2009. La Fondation libanaise de la Bibliothèque nationale est une organisation à but non lucratif chargée par le ministère de la Culture de promouvoir le projet de réhabilitation de la Bibliothèque nationale du Liban et de collecter les fonds nécessaires à sa réalisation. |