État des lieux de la presse libanaise
Dans un marché publicitaire relativement limité, la presse libanaise résiste pour conserver sa part des revenus, malgré la concurrence à laquelle elle se heurte.
L’histoire avait pourtant bien commencé : dans les années 1990 à la fin de la guerre civile, le Liban est en pleine reconstruction, l’économie démarre, les investisseurs sont au rendez-vous, l’immobilier décolle, les annonceurs dépensent. « Je me souviens qu’on devait s’y prendre parfois jusqu’à un an à l’avance pour réserver dans certains quotidiens », se rappelle Naji Boulos, directeur de l’agence de publicité Memac Ogilvy. Le pic est atteint en 1998, lorsque les revenus publicitaires totaux (pour la télévision, la radio, le cinéma, la presse et l’affichage) atteignent 120 millions de dollars, selon les estimations avancées par Boulos. À partir de 1999, la crise économique, d’abord, et l’instabilité politique, ensuite, grèvent l’optimisme des annonceurs, et les investissements déclinent jusqu’à atteindre 65 millions de dollars en 2006, année de creux historique en raison de la guerre israélienne de l’été. Ce n’est qu’à partir de 2007 que les dépenses publicitaires augmentent à nouveau. En 2009, elles dépassent pour la première fois leur niveau de 1998 et atteignent 156 millions de dollars d’après le magazine ArabAd. Mais les données totales du secteur en 2009 sont faussées par les dépenses liées à la campagne électorale des législatives qui occasionne des dépenses exceptionnelles et gonfle également les tarifs de l’affichage la deuxième moitié de l’année en raison d’un effet d’éviction au profit de ce support.
« 2010 sera une année test », confirme Boulos, qui note que le réseau d’affichage n’affiche pas complet en ce début d’année, signe d’un ralentissement des dépenses par rapport à l’année dernière.
La presse concurrencée dans la recherche aux investissements publicitaires
La part des dépenses publicitaires qui revient aux journaux est d’un peu plus de 20 % en 2009, soit 33,5 millions de dollars, selon ArabAd et Ipsos Stat. Celle des magazines est de 12,5 millions de dollars, soit 12,6 %. Ces pourcentages seraient légèrement en baisse depuis dix ans, en raison notamment de la croissance anarchique de l’affichage libanais. Les réseaux “outdoor” se sont en effet multipliés et se livrent à une guerre des prix féroces. « Aujourd’hui, le prix d’un unipole pendant un mois sur l’autoroute est similaire à celui d’une page de publicité dans un mensuel », explique Boulos, pour qui la régulation de l’affichage permettrait d’en améliorer la qualité et de tirer les prix vers le haut, redonnant sa compétitivité à la presse. Les dépenses “below-the-line”, à savoir les actions commerciales directes (promotions, cadeaux, etc.), sont un autre concurrent de la presse dans la course aux rentrées publicitaires, notamment en temps de crise. Car ce segment du marché offre des résultats immédiats et facilement quantifiables. La part des dépenses budgétaires allouées à la presse est aussi affectée par le coût de référencement en magasin, qui a beaucoup augmenté ces dernières années en raison de l’apparition de réseaux de distribution de plus en plus grands. Ces coûts affectent le budget alloué par les marques à la publicité.
Une audience restreinte, fragmentée mais ciblée
Il faut dire aussi qu’il est difficile pour une entreprise de mesurer l’impact d’une campagne de publicité dans la presse. Outre le fait que le nombre de journaux (14) est relativement élevé pour un pays aussi petit que le Liban et que leur audience est extrêmement fragmentée, leur circulation n’est pas auditée : les chiffres de circulation avancés par les parutions ne sont pas pris au sérieux par les annonceurs. Qui ne font pourtant pas pour autant pression pour obtenir des chiffres audités fiables, à l’inverse de la tendance qui se profile dans les pays du Golfe. Par manque de motivation ? Par habitude ? Parce que le marché est trop petit ? Difficile à savoir.
Mais comme le note Naji Irani, à la tête de la régie publicitaire Pressmedia, « les annonceurs savent plus ou moins quels ont été les effets de leurs campagnes et réinvestissent dans les publications qui portent ». Ce serait la raison pour laquelle le Nahar reste le quotidien qui concentre la plus grande part des revenus publicitaires du secteur, d’après les estimations avancées par plusieurs experts.
« L’Orient-Le Jour est très efficace auprès de la cible francophone du pays », précise Boulos, pour qui la presse attire surtout des annonceurs de produits de prestige, destinés à une élite et à des leaders d’opinion. « Un annonceur cible mieux son lectorat à travers la presse qu’à travers la télévision ou l’affichage », estime Nayla de Freige administrateur déléguée du quotidien français. Dans ce contexte, le fait que la presse quotidienne accapare encore 21 % des revenus publicitaires totaux en 2009 est plutôt positif.
La concurrence embryonnaire d’Internet
Un nouvel acteur risque de se positionner en tant que concurrent de la presse pour l’obtention de rentrées publicitaires : Internet. Outre le fait que le public se tourne de plus en plus vers des sites d’informations type Reuters, Yahoo! ou, pour le Liban Tayyar, El Nashra, Now Lebanon… pour se tenir au courant de l’actualité, le réseau social Facebook rencontre un franc succès auprès du public libanais et draine aujourd’hui la majorité des revenus publicitaires dépensés sur le Net. « Quelque 850 000 Libanais (hors diaspora) sont inscrits sur Facebook, ce qui en fait le premier média libanais en termes d’audience », affirme Naji Boulos. Et ses coûts sont encore relativement raisonnables (à partir de 50 dollars par jour). Une étude de Zenith Optimedia et Value Partners estime que le marché publicitaire en ligne au Liban atteindra 14 millions de dollars en 2013, soit 34 % du montant des investissements publicitaires dans les quotidiens, estimés à 41 millions de dollars ; « à condition que les infrastructures internet et les moyens de paiement en ligne s’améliorent », nuance de Freige.
Les quotidiens libanais ont senti le changement : ils ont pratiquement tous investi dans leurs sites Internet. Mais le manque de moyens et de culture du Net risque de les pénaliser dans la construction de leur offre électronique et les empêcher d’attirer l’audience nécessaire pour drainer les investisseurs publicitaires. Dès à présent, les deux premiers sites d’information libanais ne sont pas liés à des quotidiens ou à des agences de presse, mais à des partis politiques : le CPL avec Tayyar.org et les Forces libanaises avec lebaneseforces.com.
Les 20 plus grands annonceurs de la presse libanaise Le top 20 des annonceurs de la presse libanaise en 2009 est trusté par les banques et les télévisions. Mais attention, l’espace occupé ne correspond pas forcément à des ventes sonnantes et trébuchantes. Si certaines banques ont de réels budgets publicitaires, de même que les importateurs de voitures neuves, par exemple, ou le groupe Aïshti, beaucoup d’espace publicitaire est cependant occupé en vertu d’accords de troc. Les banques, et surtout les télévisions, sont concernées ; les premières en tant que créditrices de certaines parutions ; et les deuxièmes en vertu d’accords d’échange de visibilité avec les autres médias. |
Des estimations à défaut de statistiques fiables Il n’existe pas de chiffres exacts quant aux investissements publicitaires au Liban, que ce soit dans la télévision, l’affichage, la presse, la radio, le cinéma ou l’Internet. L’institut de statistiques Ipsos Stat fournit les chiffres officiels du secteur, mais ceux-ci ne tiennent pas compte des remises et autres escomptes largement pratiqués par la profession. C’est pourquoi avec ArabAd, l’institut fournit également des estimations des chiffres réels, qui sont en 2009 six fois et demi inférieurs aux chiffres officiels. Pour les quotidiens, Ipsos et ArabAd estiment que les rentrées publicitaires réelles en 2009 se sont montées à 33,5 millions de dollars. Ces chiffres sont plus ou moins approuvés par le secteur : l’agence de publicité Memac Ogilvy juge par exemple qu’ils sont surévalués de 10 à 20 % ; la régie publicitaire Pressmedia les estime à 26,5 millions de dollars ; l’agence média Zenith Optimedia et la boîte de conseil Value Partners avancent quant à eux le chiffre de 37 millions de dollars. |