État des lieux de la presse libanaise
Les publications régionales peuvent échapper au déclin qui frappe leurs consœurs d’Amérique du Nord et d’Europe.
Si dans d’autres régions du monde la presse écrite vit pratiquement sous perfusion, au Moyen-Orient elle se porte remarquablement bien. Avant l’impact de la crise économique en 2009, les estimations misaient sur une augmentation de 21 % par an jusqu’en 2015 du marché publicitaire pour les magazines panarabes et de 17 % par an jusqu’en 2012 pour les quotidiens aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite. Ces chiffres, dans un contexte d’effondrement des pages de publicité en Amérique du Nord et en Europe, sont d’autant plus remarquables que les marges de profit au Moyen-Orient peuvent atteindre 20 % pour les magazines et 40 % pour les quotidiens.
Depuis la crise, et comme partout ailleurs, les investissements publicitaires au Moyen-Orient ont ralenti, et ces estimations sont aujourd’hui revues à la baisse. Mais une série de facteurs culturels et politiques différencient le Moyen-Orient du monde occidental, et assurent aux entreprises de presse du Golfe le potentiel d’une croissance solide et continue. Parmi ces facteurs : une population jeune (moins de 25 ans) nombreuse et en croissance ; un niveau élevé de consommation de loisirs et de divertissements ; une demande de médias plus importante que dans la plupart des pays développés ; des réformes sociales en cours et une soif grandissante pour du contenu politique ; un fort accent sur le développement immobilier, les nouveaux réseaux de télécommunications et les voyages, trois secteurs générateurs d’emplois et de publicité ; et le développement continu de l’économie du savoir et de l’information.
Mais, bien que dotés d’avantages clairs par rapport à leurs homologues occidentaux, les éditeurs de presse du Moyen-Orient font face au même défi majeur : identifier la stratégie appropriée pour faire face à la popularité croissante d’Internet et des autres canaux de distribution électroniques. Autrement dit, comment augmenter les revenus, le lectorat et la publicité sur le web sans cannibaliser la rentabilité de la publication écrite. Dans cette quête, les éditeurs de presse moyen-orientaux sont dans une position favorable : le contenu Internet local est encore relativement immature ; la publicité et les achats en ligne en sont toujours à un stade embryonnaire ; ce qui laisse le champ libre aux éditeurs de presse les plus habiles pour tirer profit de ces opportunités.
Pour implanter une présence web rentable, les compagnies média innovantes du Moyen-Orient doivent suivre quatre stratégies.
1) Renforcer les liens avec les lecteurs : les sociétés de médias devraient s’inspirer des entreprises de biens de grande consommation, d’automobile et de produits de beauté, qui ont compris le potentiel des médias électroniques pour engager une réelle conversation avec les consommateurs. La presse entretient déjà des relations privilégiées avec ses lecteurs, qui font confiance au contenu de la publication et prennent des décisions d’achat basées sur leurs lectures. Les journaux et magazines sont des agrégats de sections couvrant des domaines d’intérêt spécifiques, comme le divertissement, la technologie, l’automobile, la cuisine et le voyage. Dans certaines sections comme le mariage, la mode et le “people”, les publicités sont elles-mêmes du contenu à valeur ajoutée aux yeux des consommateurs. Dans ce contexte, les journaux et magazines pourraient créer des environnements web ciblant des domaines d’intérêt attractifs pour les annonceurs. En offrant des environnements en ligne basés sur du contenu et des applications riches et exclusives, les acteurs de la presse peuvent renforcer leurs relations avec leurs lecteurs. Ces derniers, en s’impliquant davantage, accepteront plus facilement de s’enregistrer et de partager des informations personnelles, qui sont intéressantes pour les annonceurs. Un contenu ciblé, en ligne avec le contexte et bien taggé, peut se prévaloir de tarifs publicitaires 20 à 30 % supérieurs par rapport à une publicité en rotation générale (c’est-à-dire servie aléatoirement sur l’ensemble du site) pour un même site. Il s’agit au final d’un cercle vertueux : en renforçant leurs relations avec leurs lecteurs, les acteurs de la presse peuvent mieux les connaître et ainsi mieux répondre à leurs attentes en termes de contenu et de pertinence des publicités proposées.
2) Exploiter de nouvelles sources de revenus : dans la presse écrite, les sociétés de médias optimisent leurs revenus entre les lecteurs payant directement pour du contenu et les annonceurs subventionnant l’accès à ce contenu. Elles devraient faire de même sur Internet. Cependant, faire payer du contenu en ligne est de plus en plus difficile, car l’information gratuite y est largement répandue ; seules des publications économiques spécialisées tels le Wall Street Journal, le Financial Times et The Economist y ont réussi. La plupart des publications d’intérêt général qui ont tenté le modèle de contenu payant ont échoué, y compris l’illustre New York Times. Mais il existe d’autres opportunités de ventes que les éditeurs de presse devraient prendre en considération. La plus évidente : développer un portail. À la différence des pays occidentaux, il n’existe pas au Moyen-Orient de portail en ligne local prédominant. Une société de médias a là une parfaite opportunité d’utiliser ses compétences dans l’édition, la production et la présentation de contenu pour proposer un site avec des applications interactives, des marques web spécifiques et du contenu agrégé, offrant un potentiel de trafic élevé générateur de revenus marketing et de transactions. D’autres sources de revenus en ligne à explorer sont : la vente de réimpressions et de contenu reconditionné ; et la création de communautés web gratuites, mais dont certains avantages et contenus premiums – comme l’accès aux archives ou des solutions pour résoudre des jeux ou des puzzles – sont payants.
3) Réinventer le modèle de génération du contenu : les éditeurs de presse doivent drastiquement baisser leurs coûts en changeant la manière dont ils abordent le développement du contenu et en focalisant leurs ressources sur leur “noyau rentable” – le contenu papier et digital qui génère le plus l’adhésion du lectorat autour de certains domaines d’intérêts spécifiques. Pour le reste, il est nécessaire de mieux partager le contenu entre publications “sœurs” et de développer des capacités éditoriales plus centralisées, externalisées ou délocalisées (par exemple l’analyse pour les journaux et la production pour les magazines). D’autres options moins radicales – renégocier les coûts avec les fournisseurs, utiliser plus de photos et vidéos d’archives, ou généraliser l’usage des technologies de production – permettront également de produire des économies tangibles.
Récemment, le nombre de magazines au Moyen-Orient a sauvagement proliféré, encombrant le marché de nouveaux titres spécialisés – sur les bateaux, les voitures et l’immobilier – dont la qualité laisse souvent à désirer. Les éditeurs devraient se préparer au web en renforçant leur portefeuille de titres papier, se défaisant de titres non rentables tout en acquérant des licences internationales de compagnies comme Condé Nast, Lagardère et Hearst, disposant de marques fortes dans des domaines d’intérêts lucratifs comme le golf, certains centres d’intérêts des femmes (la famille, les enfants), l’informatique et les jeux. C’est uniquement avec de tels actifs de contenus distinctifs qu’une société de médias peut espérer créer un “droit de gagner” dans la compétition qui l’oppose aux marques, au contenu généré par les utilisateurs et aux autres compagnies média.
4) Innover avec de nouveaux produits : lorsqu’une part importante des consommateurs sera équipée de smartphones ou d’autres appareils mobiles connectés, le contenu devra lui être fourni de manière innovante et pratique en termes de formats et de distribution. Les éditeurs de presse devraient expérimenter de nouvelles éditions digitales et d’offres premiums : newsletters électroniques, services d’alerte, contenu téléchargeable... Ils devraient également explorer de nouvelles méthodes de distribution électronique, par exemple en proposant des options d’impression à la demande qui intègrent des formats différents et des options de personnalisation. Parmi ces domaines d’innovation, la vidéo en ligne est de plus en plus importante, en raison de l’appétit grandissant des internautes et de la préférence des annonceurs pour la vidéo comme support pour développer leur image de marque.
Les éditeurs de presse au Moyen-Orient devront développer de nouvelles compétences pour exécuter ces stratégies de croissance : analyse d’audience et recherche pour mieux cerner les intérêts et le comportement des internautes ; gestion du trafic web, des bases de données, de la personnalisation de contenu et du développement d’applications ; et capacité de gérer un réseau de partenariats. En couplant dès aujourd’hui des actions encourageant l’innovation avec une gestion des coûts plus agressive, les éditeurs de presse du Moyen-Orient peuvent espérer un avenir encore plus brillant que prévu.
Faire de l’argent sur le web Pour les éditeurs de presse du Moyen-Orient, le retour sur investissement d’une stratégie web vaut la peine qu’ils s’y attardent. Selon un récent sondage, 77 % des consommateurs du Moyen-Orient utilisent l’Internet via leur ordinateur comme source de contenu média original, alors que seuls 58 % lisent les journaux et que 40 % feuillettent les magazines. Encore plus marquant, 89 % des consommateurs de la région accèdent au web via les téléphones mobiles. En raison de cette migration, les dépenses de publicité en ligne au Moyen-Orient, pratiquement inexistantes il y a quelques années, devraient augmenter de 15 à 25 % par an jusqu’en 2012. De plus, les revenus publicitaires sont uniquement le début d’un modèle en ligne. Les abonnements, le contenu personnalisé, la génération de prospects, les frais de transaction, les partenariats marketing et le développement de bases de données, entre autres, offrent de nouveaux canaux de vente lucratifs. |