Un article du Dossier

Salaires : le mécontentement est général

En tant que président de l’Association des commerçants, l’économiste Nicolas Chammas représentait le patronat lors des discussions du comité de l’indice des prix sur l’ajustement des salaires. Il explique au Commerce du Levant la position des chefs d’entreprise.
 

Comment se sont déroulées les négociations sur les salaires ?
Nous avons joué le jeu du dialogue au sein du comité de l’indice en toute objectivité et honnêteté intellectuelle, contrairement à la CGTL qui a choisi de se retirer et de porter le débat sur un terrain politique, voire politicien, davantage qu’économique et social.
La négociation s’est alors déroulée à l’emporte-pièce au Parlement. Malgré cela, le patronat a accepté de porter le salaire minimum à 700 000, et d’augmenter les salaires de 200 000 livres pour les tranches inférieures à un million de livres et de 150 000 livres pour les tranches inférieures à 1,5 million de livres. Nous avons aussi accepté de revaloriser de 2 000 livres l’indemnité quotidienne de transport et de porter l’indemnité de scolarité à 750 000 livres pour le premier enfant en relevant le plafond à 1,5 million de livres.
Malheureusement, les termes de l’accord ont été modifiés contre notre gré. La hausse des salaires sur la deuxième tranche a été doublée et son champ d’application élargi aux salaires inférieurs à 1,8 million de livres, ce qui représente un contingent de dizaines de milliers de personnes additionnelles. Cet effet volume couplé à un effet prix rend la charge trop lourde pour le patronat.

Pourquoi refusez-vous cette hausse ?
D’abord, sur la forme, les instances économiques ont le mérite de la cohérence : notre position n’a pas varié depuis le départ et nous avons démontré le 20 octobre que nous étions tous unis sur une même ligne. Ce qui n’est pas le cas des représentants des salariés qui ont accepté l’offre du gouvernement pour la dénoncer ensuite et dont les rangs sont de plus en plus divisés.
Sur le fond, les entreprises ne peuvent pas supporter une telle augmentation des salaires, dans un contexte économique aussi mauvais. À titre d’exemple, le recul d’activité est de 25 % dans le secteur commercial. La hausse des coûts d’exploitation couplée à la baisse de l’activité a un effet ciseau sur les marges bénéficiaires qui sont loin d’être confortables, contrairement à ce que l’imaginent les représentants des employés. Elles oscillent entre 5 et 8 % du chiffre d’affaires.
Pour s’adapter à la hausse des salaires, les chefs d’entreprise ont plusieurs choix : licencier, vendre des actifs, s’endetter, réduire leur marge au détriment d’investissements et d’emplois futurs, ou augmenter leurs prix. Cette dernière option, la plus probable, couplée à l’effet de la hausse des salaires sur la demande, devrait alimenter l’inflation qui, à son tour, poussera les syndicats à réclamer une nouvelle revalorisation des salaires. Nous tablons sur un effet inflationniste de 10 % dans un contexte de très faible croissance.
Donc au lieu de se retrouver avec deux victimes : le patronat et les salariés, nous voulons sortir de cette logique de jeu à somme nulle pour parvenir à une solution gagnant-gagnant. Le dossier doit être rediscuté avec une approche socio-économique globale. L’État doit assumer ses responsabilités en termes de transport public, d’éducation et de Sécurité sociale, etc.

Que pensez-vous du projet de budget présenté par le ministre des Finances, d’une part, et des propositions du ministre du Travail, d’autre part ?
Les propositions du ministre du Travail valent la peine d’être étudiées. Les organismes économiques ont estimé que le temps imparti par l’ultimatum de la grève ne permettait pas le débat approfondi indispensable à leur examen. Toutefois nous pensons que des réformes de cette ampleur sont plus faciles en période de cycle économique favorable, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, d’autant que malgré la baisse des cotisations sociales de 9 %, la hausse salariale proposée représente un effort trop élevé pour les entreprises et nous dépasserions les lignes rouges en termes d’inflation.
Nous sommes prêts à aller de l’avant sur plusieurs points : l’assurance vieillesse, une réforme indispensable ; les incitations à l’emploi des jeunes, car nous partageons l’analyse selon laquelle le fait d’assurer un premier emploi aux jeunes diplômés est la mesure la plus efficace pour combattre leur émigration. De même que nous souhaitons une relance de l’investissement public : nous ressentons tous les goulots d’étranglement liés à des années de sous-investissement et chaque dollar marginal investi aura un rendement très important sur l’économie.
Concernant le projet d’assurance maladie universelle, l’ambition du ministre est positive, mais notre crainte est que la CNSS ne suive pas un tel élargissement de son champ d’intervention. La réforme de son fonctionnement doit être un préalable. Quant au financement de ce projet à travers l’instauration d’un impôt sur la plus-value, il suppose un vaste chantier fiscal qui mérite un débat national, afin de faire évoluer les mentalités. A priori j’y suis favorable, à condition que le taux soit bien étudié et que l’impôt tienne compte de la durée de détention du bien, ainsi que de l’inflation.
Sur le budget 2012, nous sommes contre toute hausse de la fiscalité qui atteint déjà 24 % du PIB. Certaines mesures proposées sont aussi très pénalisantes pour l’activité économique. Nous aurions aimé que l’État s’applique aussi à lui-même les mesures d’austérité auxquelles les entreprises et les ménages sont contraints au lieu de laisser filer les dépenses à 21 000 milliards de livres. Le plus important pour nous est que l’État réoriente sa politique budgétaire dès cette année, en réglant ses arriérés de 800 milliards de livres à la CNSS, qu’il engage le processus de réforme de la Caisse, s’attaque à la réhabilitation de l’enseignement public et mette en œuvre une nouvelle politique des transports.

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