Un article du Dossier

Salaires : le mécontentement est général

À l'issue d'une longue et houleuse séance nocturne, le 11 octobre, le gouvernement a décidé d’augmenter le salaire minimum de 500 000 (333 dollars) à 700 000 livres (466 dollars) et d'ajuster à la hausse les salaires ne dépassant pas les 1,8 million de livres (1 200 dollars).
À peine annoncée, la décision a été décriée de toutes parts : par les représentants syndicaux, le patronat mais aussi au sein du gouvernement.
Bien qu'elle ait favorisé la mesure en acceptant de suspendre la grève générale programmée pour le 12 octobre, la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL) a estimé que la décision du gouvernement était “injuste”. Le rôle joué par le patron de la CGTL a en tout cas été décrié par d'autres syndicats, en particulier celui des enseignants, estimant que Ghassan Ghosn avait bradé les revendications des salariés en renonçant à la grève pour des considérations politiciennes. Les enseignants ont d'ailleurs reconduit un mouvement de grève le 19 octobre qui a été très suivi.
De son côté, le patronat est unanime pour dénoncer une décision qu'il qualifie d'inapplicable allant jusqu'à annoncer un recours en invalidation auprès du Conseil d'État. Les représentants des employeurs ont menacé de ne pas l'appliquer, estimant qu'en imposant une hausse de 40 % des coûts salariaux, cette mesure ne prend pas en compte les difficultés économiques auxquelles font face les secteurs productifs.
Les positions initiales des représentants des employés d'une part et de ceux des employeurs de l'autre étaient en tout cas diamétralement opposées.
La Confédération générale des travailleurs réclamait une hausse du salaire minimum à 1,250 million de livres, le réajustement de la grille des salaires et une révision à la hausse des indemnités de transport et les allocations d'éducation.
Le patronat souhaitait, quant à lui, limiter la revalorisation du salaire minimum à 700 000 livres et n'acceptait qu'un réajustement de 150 000 livres (100 dollars) pour les salaires inférieurs à 1,5 million de livres. Il rejetait par ailleurs la majoration des frais de transport et du forfait au titre des écolages.
Les deux parties s'opposaient aussi sur la date de référence pour la prise en compte de l'inflation.
Les représentants des employés et des employeurs ont été conviés à des discussions dans le cadre des travaux du comité de l'indice des prix présidé par le ministre du Travail, Charbel Nahas.
Ce dernier leur a proposé une approche différente, estimant que lorsque les employés se plaignent du niveau de leur salaire et que le patronat affirme ne pas avoir les moyens de l’augmenter, ils ont tous les deux raison. Le rôle de l’État n’est pas d’arbitrer entre les deux, mais de prendre en compte les intérêts des deux, ainsi que ceux d’autres groupes de Libanais. Cet impératif est d’autant plus grand que les salariés formels du secteur privé ne représentent que 225 000 personnes, sur une population active totale de 1,5 million de personnes. En ajoutant les employeurs et les salariés du public, la population concernée par le débat actuel concerne moins de la moitié de la population active.
La détérioration de la situation des employés et des employeurs s'explique par le fait que ni les uns ni les autres n’ont bénéficié des richesses créées péniblement ces dernières années au Liban : le PIB a augmenté de 75 % entre 2006 et 2010, mais la part des salaires dans ce PIB est tombée à 30 % contre 66 % dans les pays développés. La part des profits dans le PIB n’a pas profité de ce recul contrairement à une idée préconçue et ce sont les détenteurs de positions rentières qui sont les seuls véritables bénéficiaires du modèle économique actuel, fait valoir Charbel Nahas.
Fort de ce diagnostic, le ministre du Travail a proposé de ne pas limiter l'intervention de l'État à un ajustement des salaires, mais d'intégrer cette hausse dans une politique plus globale dont l'objectif est de réduire les distorsions majeures de l'économie libanaise en favorisant l’augmentation de la part des secteurs productifs dans le produit intérieur brut et l’amélioration de la compétitivité des entreprises domestiques afin d'obtenir une croissance riche en emplois. Bien qu'elles aient rencontré un écho favorable de la part des syndicats et du patronat, les propositions du ministre sont restées lettre morte lors du Conseil des ministres du 11 octobre. La déception des instances économiques les a poussés à organiser le 20 octobre un grand rassemblement pour dire clairement le refus de cette décision “arbitraire” et menacé de présenter un recours en invalidation auprès du Conseil d’État. Elles réclament au gouvernement de reconsidérer la décision initiale d’ajustement des salaires et de définir une « politique économique et sociale plus globale ». La majorité de ses dirigeants considèrent les propositions du ministre du Travail comme des “pistes intéressantes” et réclament l’ouverture d’un dialogue avec le gouvernement appelé à assumer ses responsabilités.

Le détail du réajustement
Le salaire minimum passe de 500 000 (333 dollars) à 700 000 livres (466 dollars). Les salaires en dessous de 1 million de livres (666 dollars) sont augmentés de 200 000 (133 dollars) et ceux variant entre 1 million et 1,8 million de livres (1 200 dollars) sont relevés de 300 000 livres (200 dollars).
Le gouvernement a décidé aussi la majoration de 8 000 à 10 000 livres du forfait quotidien au titre des transports et d’une majoration de 500 000 à 750 000 livres (500 dollars) du forfait annuel au titre des écolages, avec plafonnement à 1,5 million de livres (1 000 dollars) contre un million précédemment.
Seules les entreprises qui ont octroyé une augmentation à tous leurs salariés entre le 1er juillet 2010 et la date d'entrée en vigueur de la nouvelle hausse pourront déduire cette augmentation de la mesure d'ajustement actuelle.

 

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