Un article du Dossier

Le marché de l’automobile touché par la crise

Dans un pays comme le Liban, où l’apparence et l’image sociale sont les piliers d’une bonne estime de soi, le choix d’une voiture, vécu souvent comme un prolongement de l’ego, a-t-il des chances de se tourner vers le low cost ?
 

Parfois vécue comme l’ultime instrument de frime, la voiture conduit certains Libanais à toutes les folies comme se priver de l’essentiel et même vendre un terrain. Dans un tel contexte, le low cost a une connotation péjorative tant pour les consommateurs que pour les concessionnaires automobiles opérant au Liban. Et si les consommateurs libanais orientent désormais nettement leurs achats vers de petites voitures relativement moins chères que celles qu’ils avaient l’habitude de conduire, ils sont encore peu nombreux à franchir résolument le pas du low cost.
Les contours de ce segment sont difficiles à définir avec précision (voir schéma). On peut y ranger très probablement huit constructeurs. Parmi eux, six dont les statistiques sont disponibles totalisent 427 ventes de voitures sur les neuf premiers mois de l’année, soit une part de marché de 1,75 %, en baisse de 12,32 % par rapport à la même période de 2010. En comparaison avec les ventes globales de voitures neuves qui ont chuté de 4,78%, on remarque que les ventes low cost décroissent nettement plus vite que le marché qui a subi une contraction conjoncturelle ce qui reflète le stade embryonnaire du segment low cost au Liban.
Il n’est pas possible à ce stade de parler d’une véritable tendance de fond pour la demande low cost au Liban. En revanche, il est d’ores et déjà possible de parier sur son développement, car une chose est sûre : le contexte de réduction du pouvoir d’achat des Libanais se prête d’autant plus au low cost qu’il existe peu d’alternative de transport efficace à prix abordable.
Les dépenses liées à l’utilisation d’un véhicule (entretien, assurance, carburant, taxe mécanique…) pèsent sur le budget des ménages et les différents coûts d’“automobilité” devraient orienter les choix des potentiels acheteurs de véhicules vers les gammes inférieures qui représentent de moindres charges. Selon un grand concessionnaire de voitures low cost coréennes : « Les Libanais sont de plus en plus disposés à oublier le prestige, l’élégance, le design et les commandes feutrées au profit du moindre coût. »
La voiture à bas coût pourrait occuper dans un premier temps la place de la deuxième voiture du ménage libanais avisé. Tandis que les entreprises s’y mettront progressivement.
Cependant, les voitures à bas coût qui se vendront le mieux sont probablement celles issues de marques avec un historique favorable sur le marché libanais, essentiellement les coréennes telles que Hyundai. Pour les autres, notamment les chinoises, leur part de marché dans l’ensemble des ventes de voitures neuves n’est que de 0,74 % pour les neuf premiers mois de l’année et semble ne pas évoluer sensiblement à la hausse.

Du côté des consommateurs

Vertone a mené une enquête rapide à Beyrouth auprès des consommateurs et des concessionnaires de véhicules neufs à bas coût pour comprendre la perception qu’ils en ont.
Sur 40 Libanais interrogés, tous âges et catégories socioprofessionnelles confondus, 60 % se disent prêts à s’offrir une voiture low cost. Parmi les personnes interrogées, 52 % préfèrent l’achat d’une voiture à bas coût neuve à l’achat d’une voiture d’occasion. « Une voiture low cost est garantie sur deux ans, alors qu’une voiture de seconde main même si elle présente un confort supérieur me fait peur. Je me méfie des voitures d’occasion importées au Liban », affirme Mario, 32 ans, nouveau propriétaire d’une Chery, marque low cost chinoise.
Mais les deux freins principaux à un tel achat demeurent le prestige de la marque et le manque de confort intérieur des low cost. Ainsi, pour bénéficier d’une baisse de prix sur l’achat d’un véhicule, seuls 40 % affirment être prêts à diminuer le niveau de prestation sur le critère du design et de l’image, et 44 % sur les équipements intérieurs.
Quant au prix auquel les consommateurs sont prêts à acheter une low cost en toute confiance, celui-ci est compris entre 10 000 et 12 000 dollars pour les trois quarts des Libanais concernés par l’enquête.
Par ailleurs, sur une quinzaine de propriétaires de voitures low cost, 80 % affirment être satisfaits et près de la moitié d’entre eux envisagent d’acheter de nouveau un modèle similaire de la même marque. « Ma Logan est simple, fiable, de taille moyenne et solide, ça ne sert à rien de payer plus. Je n’ai donc aucun scrupule à m’acheter une low cost comme prochaine voiture malgré la réticence de ma femme », déclare Reeda, 46 ans.

Du côté des concessionnaires

Selon six concessionnaires low cost interrogés, la tendance aujourd’hui chez certains Libanais est de s’offrir une voiture à bas coût pour les usages journaliers, laissant la voiture plus prestigieuse pour les week-ends, les soirées et les vacances. « Les mentalités évoluent. L’achat d’une voiture était un acte de fidélité familiale pour une marque donnée, presque de l’atavisme. Cette situation n’existe plus forcément aujourd’hui », affirme un concessionnaire de voitures chinoises low cost. 
Jusqu’à septembre 2011, plus de la moitié des ventes des six concessionnaires low cost, soit 214 véhicules ont été destinés à des usages professionnels (taxi, compagnies de distribution, location de voitures, usines…) et l’essentiel de la publicité se fait par les clients eux-mêmes de bouche à oreille. Ainsi, « un retour d’expérience positif favorisera l’achat des voitures à bas coût », estime un sous-agent de véhicules low cost.

 

Verbatim

Les fanatiques du low cost :
Marwan, étudiant, 26 ans :
« L’avantage d’une voiture low cost par rapport à celle qui coûte le double est de pouvoir en changer deux fois plus souvent, tout en bénéficiant à chaque fois d’avancées technologiques. »
Rami, banquier, 44 ans :
« Acheter une voiture low cost d’aujourd’hui, c’est disposer du confort d’une voiture de moyenne gamme d’il y a deux ans. Rapport qualité/prix, c’est un choix malin. »

Les amateurs modérés du low cost :
Élise, architecte, 36 ans :
« Si la voiture low cost n’est pas encore au point, elle le sera inévitablement demain. »
Jihad, commerçant, 48 ans :
« La question du prix est indéniablement centrale pour le choix d’une voiture. Le low cost me semble une bonne solution dans un pays où les moyens de transports alternatifs n’existent quasiment pas. »

Les réfractaires au low cost :
Patrick, professeur, 38 ans :
« Ces voitures n’ont pour elles que le prix d’achat. Elles ne m’inspirent pas confiance. »
Raquelle, journaliste, 29 ans :
« Je ne suis pas prête à acheter une voiture qui manque de confort, de sécurité et de charme. Une voiture d’occasion haut de gamme vaut mieux qu’une low cost. La voiture est pour moi un objet de plaisir. »

 

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