Un article du Dossier

L’économie syrienne est durement affectée

Alors que le secteur du tourisme avait augmenté de près de 40 % en 2010, l’un des taux les plus élevés au monde, cette année le tourisme syrien s’est totalement effondré.

C’est peu dire que la crise politique qui secoue la Syrie depuis mars 2011 a eu un effet dévastateur sur un secteur sur lequel beaucoup d’espoirs étaient portés. Nouveau “pétrole de la Syrie”, le tourisme était censé générer des milliards de dollars de revenus en devises, créer des centaines de milliers d’emplois en dix ans à travers le pays, attirer les investissements, en particulier des pays du Golfe, et développer un potentiel largement négligé jusqu’alors.
Les dernières années étaient très prometteuses et les efforts semblaient enfin porter leur fruit. En témoignent les taux de croissance record du nombre de visiteurs, les investissements dans le secteur hôtelier et des taux de remplissage impressionnants, certes en partie dus aux capacités limitées. Des dizaines de petits hôtels, de restaurants et de complexes balnéaires ont vu le jour ces dernières années à travers tout le pays.
La Syrie bénéficie d’atouts considérables et variés : des sites archéologiques et culturels incomparables qui remontent à l’Antiquité (les sites d’Ebla, Mari et Ugarit), à l’époque romaine (Palmyre, Apamée), aux Croisades (Krak des Chevaliers, Château de Saladin, Théâtre de Bosra) ou à l’époque musulmane (vieilles villes de Damas et d’Alep, palais Azem) ; des sites religieux de référence pour le christianisme et l’islam ; un climat ensoleillé ; la proximité de l’Europe, de la Turquie et des pays du Golfe, trois grands marchés.

Des promesses irréalistes

Mais ces atouts ne suffisent pas à défaut d’infrastructure hôtelière de qualité pour un large éventail de revenus, et non pas seulement le très concurrentiel tourisme haut de gamme pour lequel elle n’est pas compétitive. Or sur ce plan, la Syrie reste largement à la traîne de ses compétiteurs régionaux, que ce soit le Liban ou la Jordanie sans parler évidemment de l’Égypte. Le secteur touristique est trop largement contrôlé par les barons du régime qui pensaient pouvoir faire fructifier rapidement leurs capitaux sans effort. La capacité hôtelière de la Syrie est faible et déséquilibrée au profit des établissements classés de luxe mais sans que le service ne justifie le prix des prestations. Des dizaines de permis d’investissements touristiques ont été distribués à des sociétés étrangères, notamment du Golfe, associées avec un partenaire syrien. Très peu de projets ont été achevés et beaucoup d’investisseurs ont renoncé en raison des problèmes bureaucratiques et des disputes avec le partenaire syrien. Quelques succès sont à signaler comme le Four Seasons à Damas, construit par le prince saoudien al-Walid ben Talal, et les hôtels de charme dans des maisons arabes rénovées de la vieille ville d’Alep. Seules deux chaînes internationales de gestion hôtelière opèrent ainsi à Damas, le Sheraton et le Four Seasons, à comparer aux dizaines qu’on peut trouver à Beyrouth ou Amman. Certaines chaînes régionales sont certes entrées sur le marché, telle Rotana de Dubaï ou la chaîne turque Dedeman, mais pour une capitale de près de trois millions d’habitants c’est peu.
De nombreux projets étaient en gestation ou en cours de développement. Ainsi Mövenpick, InterContinental, Crowne Plaza, Sofitel et Kempinski se préparaient à s’établir dans la capitale syrienne. La société Qatari Diar avait entrepris la construction d’un vaste complexe touristique de luxe à Lattaquié : Ras Ibn Hani. Mais le chantier, déjà très en retard sur le programme initial, a été arrêté dès le début de la révolte. Il est probable que tant que Bachar el-Assad restera au pouvoir, les projets des pétromonarchies du Golfe demeureront arrêtés. Au final, la perspective annoncée de créer des centaines de milliers d’emplois dans le tourisme est irréaliste. Elle impliquerait un changement complet de la politique du régime tant sur le plan intérieur qu’extérieur et, malgré ces efforts, il n’est pas sûr que cela soit couronné de succès en raison des aléas géopolitiques régionaux. Les discours de Bachar el-Assad ont permis de donner des espoirs d’embauche à une jeunesse désœuvrée et d’attirer quelques milliards de dollars d’investissements du Qatar et du Koweït, sur lesquels les barons du régime ont pu prélever de généreuses commissions. Avec la révolte, le tourisme apparaît comme le secteur le plus sinistré, mais heureusement pour le régime, il demeurait encore secondaire pour l’économie du pays, sans quoi les sanctions économiques occidentales et arabes auraient pu avoir un impact plus important.

Des devises parties en fumée

Le début des manifestations à Daraa dans le sud de la Syrie, le 15 mars, a en tout cas plombé les espoirs du secteur. Dès que les premières victimes de la répression sont tombées, les opérateurs du secteur ont été confrontés à des annulations en masse. Certes, les troubles en Égypte et en Tunisie avaient soulevé des craintes mais beaucoup espéraient encore que la Syrie était tout simplement “différente”.
Depuis les choses vont de mal en pis. De nombreux établissements ont mis la clé sous la porte, d’autres n’ouvrent plus que le week-end, alors que les licenciements et mises au chômage technique se multiplient. Fin mai alors que la crise en était encore à ses débuts, la Fédération des chambres de tourisme estimait le taux de remplissage des hôtels à 15 % à travers le pays et à presque rien à Alep. La capitale du nord de la Syrie souffre de la tension très forte dans la région centrale du pays, entre Homs et Hama, passage obligé pour tout touriste s’y rendant à partir de Damas, ainsi que de la détérioration des liens avec la Turquie, son principal marché.
L’effondrement du tourisme complique les choses pour le gouvernement. Depuis que la production et les exportations de pétrole ont commencé à baisser, à la fin des années 1990, le tourisme représentait une partie grandissante des revenus en devises de l’économie. Avec la fuite des touristes, ce sont des milliards de dollars qui se sont envolés.
Les perspectives pour l’année 2012 sont des plus sombres, la crise politique ne semblant pas à même de s’estomper, ce qui amène beaucoup d’opérateurs à se poser la question de la pérennité de leur affaire.


 

« La perte est de 100 % »


Contrairement aux précédentes crises, toutes les catégories du tourisme syrien sont affectées par les troubles. Les opérateurs espèrent une reprise à l’automne 2012. Entretien avec Maya Sayegh, gérante de Najm Travel & Tourism.

Quel a été l’impact des troubles récents sur votre activité ?
En termes de visiteurs étrangers la perte est quasiment de 100 %. Dès le début des premiers troubles à Daraa, on a eu des annulations en masse. La Syrie connaît trois saisons touristiques, le printemps et l’été pour le tourisme culturel européen et l’été pour les pays du Golfe. Toutes ont été affectées.
Quid du tourisme domestique ?
Contrairement aux autres crises régionales durant lesquelles ce sont surtout les touristes européens qui manquaient à l’appel, dans le cas des événements actuels le tourisme domestique a été autant affecté que les autres. Les Syriens ne voyagent plus à l’intérieur du pays, parce qu’ils ont peur, ni à l’étranger, car ils cherchent à faire des économies et que la hausse du dollar renchérit les déplacements hors du pays. Les voyages de Syriens vers l’étranger ont baissé de plus de 50 %.

Le gouvernement a-t-il adopté des mesures de soutien ?
Oui, il permet par exemple l’achat de billets d’avions au taux officiel des devises alors que la décote par rapport au marché noir est quasiment de 15 %. Il a par ailleurs échelonné le paiement des factures et des dettes des établissements touristiques. Mais tant que la situation politique générale ne sera pas améliorée il ne pourra guère faire davantage.

Comment une entreprise comme la vôtre fait-elle face ?
Il n’y a pas de miracle. Nous réduisons nos coûts autant que possible et prions pour que le marché redémarre au plus tôt. Nos espoirs se reportent maintenant sur l’automne 2012.

 

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