Un marché au ralenti
Christian Baz, directeur général de l’agence immobilière Baz Real Estate
Les clients acceptent de plus en plus d’acheter un appartement avec deux chambres à coucher, mais la pilule a encore du mal à passer au niveau des prix. Certains clients n’acceptent toujours pas de débourser plus de 500 000 dollars pour un 170 m² à Beyrouth et espèrent pouvoir négocier des baisses. Mais on constate une stagnation des prix, car, dans la capitale, les promoteurs sont solides financièrement. Dans les nombreuses tours en construction, ils sont par exemple soutenus par des investisseurs des Émirats, qui sont actionnaires dans les projets, et achètent les grandes superficies. Hors de Beyrouth, les négociations sont plus faciles, et c’est vers les périphéries de la capitale que se dirige majoritairement la classe moyenne libanaise. Pour un 200 m² à Achrafié, on peut posséder le double de surface à Mar Takla. La demande a été affectée par les événements en Syrie, mais si la situation régionale ne se dégrade pas, on peut s’attendre une reprise du marché à la fin de l’année 2012.
Joe Kanaan, directeur de l’agence immobilière Sodeco Gestion
Les promoteurs doivent viser essentiellement une clientèle locale, qui constitue actuellement près de 80 % de la demande. À Beyrouth, ils doivent construire de petites surfaces pour des budgets entre 350 000 et 700 000 dollars. À Achrafié et dans les beaux quartiers, la taille des appartements ne doit pas dépasser 200 m², avec un mètre carré à 4 000 dollars. Dans des régions moins centrales comme Sioufi ou Mar Mikhaël, les 150 m² à 3 000 dollars le m² se vendent très bien. On constate aussi qu’il existe une petite demande bien ciblée pour les grands appartements : elle émane des familles qui disposent déjà d’une grande superficie, et qui souhaitent déménager pour acheter plus grand. De manière générale, le marché s’est ralenti : les promoteurs disent qu’ils vendent, mais, en réalité, ce sont souvent leurs associés qui ont réservé des unités. Certains ont retardé de nouveaux projets, car ils ont besoin de finir de vendre leurs unités en cours, pour pouvoir financer de nouvelles constructions.
Roya Kanaan, directrice générale de l’agence immobilière At Home in Beirut
2011 n’a pas été une bonne année, contrairement à 2010, mais depuis trois mois, on constate que la demande repart dans le haut de gamme. Depuis janvier, nous avons eu plusieurs personnes qui souhaitaient investir à plus de 2 millions de dollars. La chute du gouvernement Hariri et la crise régionale ont influé négativement sur le marché, mais comme à leur habitude, les Libanais, en particulier les expatriés, se sont habitués à cette situation. Les baisses de prix en 2012 vont être moins importantes dans le haut de gamme que l’année dernière, où le marché était à l’arrêt, et où les acheteurs pouvaient négocier jusqu’à 20 % de réduction. Les investisseurs achètent souvent 20 à 30 % des appartements, ce qui permet aux promoteurs de prendre leur temps pour vendre.
Raja Makarem, PDG de Ramco Real Estate Advisers
Le marché n’est pas en crise, mais simplement moins performant qu’auparavant. De 2005 à 2009, les prix augmentaient presque chaque trimestre. Aujourd’hui, les prix sont stables et les promoteurs démarrent parfois leurs projets sans prévente. Aussi, on constate un nouveau phénomène : les promoteurs qui avaient acheté des terrains et qui ne sont pas arrivés à réaliser des préventes revendent leurs parcelles, car les plus-values sont plus importantes que sur les appartements. Les promoteurs cherchent de nouvelles opportunités géographiques : ils s’intéressent à des quartiers moins courus (Mar Mikhaël, Jeitaoui...). D’autres destinations hors de Beyrouth voient leur cote monter (Fanar ou Mar Takla). Le ralentissement des performances dans le résidentiel a poussé certains promoteurs à s’intéresser davantage à l’immobilier d’affaires,.
Walid Moussa, secrétaire général de Real Estate Association of Lebanon (REAL) et PDG de PBM
Le marché s’est installé dans une phase de repos, ce qui s’explique par un manque d’initiative des acheteurs, locaux comme expatriés. La crise régionale a affecté tous les secteurs de l’économie, que ce soit au Liban ou dans les pays environnants, et l’immobilier n’y a pas échappé. Mais le secteur résiste plutôt bien. Sur le plan foncier, on constate aussi beaucoup d’activités, surtout dans des régions vierges loin de Beyrouth. La zone s’étendant de Amchit jusqu’à Tripoli commence par exemple à être très demandée, avec des prix en augmentation. Pour accompagner le boom de l’immobilier de ces dernières années, il est indispensable de développer les infrastructures (l’eau, l’électricité, les télécommunications…), en particulier dans les régions autour de Beyrouth.
Edgar Kassab, architecte à Beyrouth et dans le Metn
Les nouveaux projets à Beyrouth proposent des appartements de 150 à 170 m², mais le marché va très vite se diriger vers les 100 m², car les acheteurs veulent rester dans la capitale et n’ont pas le budget pour s’offrir une plus grande superficie. D’ici dix à quinze ans, on construira des studios à l’européenne. En périphérie de Beyrouth, les superficies doivent être adaptées selon les régions. Les 200 à 300 m² correspondent plutôt à Adma, Raboué, Bayada, Hazmié, Monteverde ou Aïn Saadé, tandis que les 100 à 175 m² visent plutôt Zalka, Jal el-Dib, Dekouané, Jdeidé ou Zekrit. Dans les banlieues, la demande de la clientèle expatriée est toujours très importante et il s’agit en grande majorité d’investisseurs. La clientèle arabe a en revanche quasiment disparu. Ils représentent maintenant à peine 5 % des acheteurs.
Shérif Aoun, architecte et promoteur (Mouin Aoun Contracting)
Quand nous avons commencé à construire en 2005, nous étions parmi les premiers à faire des 150 m². En quelques années, le marché a beaucoup évolué, puisque nous proposons maintenant des 80 m² avec une chambre à coucher. Nous avons diminué nos surfaces pour nous adapter aux budgets des clients. Le marché s’est ralenti en 2011, surtout pour une clientèle d’investisseurs qui achètent pour louer, et qui n’a pas des besoins urgents. Les familles se dirigent de plus en plus en périphérie de Beyrouth, parce qu’elles recherchent trois chambres à coucher et préfèrent habiter un 250 m² en banlieue qu’un 140 m² dans la capitale. Parallèlement, les promoteurs se dirigent hors de la capitale, car de bons emplacements avec des prix abordables deviennent très difficiles à trouver.
Bassam Chamoun, promoteur à Beyrouth et Faraya, PDG de Credo
Le marché n’est pas mort, c’est juste qu’il est devenu plus sérieux. La demande existe, mais le client n’est plus un spéculateur, il est beaucoup plus exigeant. Il s’attend à des prix intéressants et à un produit de qualité. Il existe une vraie attraction pour les petites superficies, car ce produit n’existait pas auparavant sur le marché, mais je pense que d’ici à quelques années, on retournera à des surfaces moyennes de 250 m². C’est la taille standard d’un appartement pour les familles libanaises. Je ne vois pas les prix baisser, parce que les terrains sont rares et chers, et que leurs propriétaires n’ont aucune raison de brader leurs parcelles. Il faut aussi se rappeler que le mètre carré à Beyrouth est encore bien moins cher que la moyenne régionale ou européenne : pour un 40 m² à Paris, on peut acheter un 140 m² à Beyrouth.
Samer el-Hajjar, directeur général de HEC
On constate un ralentissement de la demande sur les grandes et moyennes superficies, avec des baisses de prix de 5 à 10 %. Les plus petites surfaces ont en revanche toujours la cote et leurs prix restent inchangés. Nous avons vendu nos 84 unités du projet Greenville à Roumié en trois semaines pendant les fêtes de Noël, avant d’avoir démarré la construction. Les appartements font entre 125 et 165 m², et 70 % de nos clients sont des locaux. Les tarifs sont encore abordables en banlieue, entre 1 400 et 1 800 dollars le m² dans la plupart des périphéries de Beyrouth et du Mont-Liban, et à partir de 2 000 dollars le m² dans les régions plus luxueuses. Le marché immobilier pourrait être affecté positivement par la situation en Syrie, avec une demande régionale croissante et des investisseurs qui s’orientent davantage vers le Liban.
Walid Eido, consultant immobilier, promoteur et investisseur
Les promoteurs ne se sont pas tous mis aux petites superficies à Beyrouth. Certains préfèrent traiter avec quelques clients privilégiés qu’une foule d’acheteurs. Cela s’explique aussi par des raisons techniques, car se lancer dans de petites superficies oblige à construire beaucoup de parkings, ce qui est plus coûteux. Dans les quartiers les plus chics, on constate un vrai manque de surfaces entre 180 et 240 m², dans une fourchette de 750 000 à un million de dollars. On trouve même des clients intéressés par des 110 à 150 m², mais ce segment d’offres est étroit. Le ralentissement du marché en 2011 rappelle la période de transition qui a duré de 1998 à 2005. La majorité des transactions se fait actuellement hors de Beyrouth et les clients recherchent de plus en plus à habiter dans des complexes où tous les services sont offerts.
Élie Hakmé, promoteur à Adma et Hazmié
La situation politique régionale et la stabilisation du marché donnent l’illusion aux acheteurs que les prix vont baisser, mais le coût des terrains est tellement élevé que les promoteurs ne peuvent pas se permettre de diminuer leurs prix de vente. Le prix des terrains a beaucoup augmenté ces dernières années, mais s’est stabilisé depuis un an. Avec la hausse du prix des appartements, certains promoteurs ont modifié leurs permis de construire en cours de route pour diviser les surfaces par deux : au lieu d’une unité de 300 m², ils en proposent deux de 150 m². Le créneau des 100 m² va se développer d’ici à cinq ans à Beyrouth pour les jeunes mariés avec un enfant et les investisseurs qui souhaitent avoir un pied-à-terre dans la capitale. En périphérie aussi, on va constater une réduction des superficies, avec majoritairement des unités en dessous de 250 m².
Guy Manoukian, PDG de Zardman
Le marché immobilier sera peut-être pénalisé par les incertitudes régionales pendant une certaine période, mais si la situation se stabilise, les bénéfices sur le long terme seront plus positifs. Et les troubles régionaux poussent les expatriés dans le monde arabe à revenir investir au Liban, en particulier dans l’immobilier. La stabilité de nos marchés financiers, les perspectives de devenir un producteur de pétrole attirent les investisseurs. Les promoteurs ont réussi à maintenir leurs prix malgré une chute du pouvoir d’achat, et maintenant que les effets négatifs de la crise financière mondiale sont derrière nous, on s’installe dans une période de stabilisation tout à fait naturelle et saine. L’offre et la demande se sont équilibrées, et les promoteurs non professionnels se sont retirés du marché. Dans ce contexte, le marché immobilier va repartir en 2012.
Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la banque Byblos
2011 n’a pas été une bonne année pour le secteur immobilier et le ralentissement se prolongera en 2012. La demande a été affectée par le vide gouvernemental pendant cinq mois et la dégradation de la situation en Syrie. Le niveau de confiance reste toujours bas. Les prêts immobiliers bonifiés à partir de 2009 ont eu une influence positive sur le pouvoir d’achat des clients. Mais ils ont préféré conserver leurs liquidités dans les banques plutôt que d’investir dans la pierre. On n’a pas encore constaté de demande syrienne assez significative. L’offre est en train de se réorienter vers les périphéries de Beyrouth. Avec la hausse des prix du neuf, on constate aussi un regain d’intérêt pour les immeubles anciens rénovés, mais l’offre dans le secteur est encore beaucoup trop rare.
Philippe el-Hajj, DGA de la Fransabank
Il n’y a pas de ralentissement général de l’immobilier, mais plutôt une réduction de la demande sur certaines tranches, en particulier les grandes superficies. À Beyrouth, les promoteurs construisent maintenant en moyenne des 170 m² avec trois chambres à coucher. Cette tendance se poursuit depuis le début de l’année 2011. La demande pour les crédits à la construction reste constante, mais s’est développée hors de la capitale. Les crédits à l’habitat continuent, eux, à augmenter depuis quatre ans : à la Fransabank, nous constatons une progression annuelle de 25 %. La clientèle expatriée a cependant un peu diminué. Les prêts à l’habitat qui sont le plus demandés sont ceux de l’Établissement public de l’habitat avec lequel nous sommes associés. Depuis 2009, la Banque centrale a encouragé les prêts immobiliers en livres libanaises.