Un article du Dossier

Un marché au ralenti

Baisse du volume et de la valeur des ventes immobilières, stagnation des prix du neuf, diminution des demandes de permis de construire… Tous les indicateurs montrent que le marché immobilier est en berne, ou en tout cas moins performant que lors des cinq dernières années. Les incertitudes régionales sont encore venues ternir le tableau, en pesant sur la demande. Quelles sont les perspectives pour 2012 ?
 

Ces derniers mois, des pancartes d’un nouveau genre ont discrètement fait leur apparition sur les façades des bâtiments flambant neuf de la capitale : “Appartements à vendre”. Du jamais-vu depuis des années. Une grande partie des immeubles dont la construction a commencé en 2007-2008 sont déjà achevés, mais des unités restent toujours sur le carreau. « Le phénomène des invendus commence à se généraliser. À la fin de la construction, il reste souvent entre 10 et 30 % d’unités non écoulées par les promoteurs, alors que pendant le boom, ces derniers pouvaient arriver à vendre tous leurs appartements six mois à un an avant la fin du chantier », explique Guillaume Boudisseau, consultant immobilier chez Ramco Real Estate Advisers.
Les principaux indicateurs du marché confirment cette tendance. En 2011, le nombre de ventes immobilières a chuté de 11,9 % par rapport à 2010. Elles ont même été légèrement inférieures à l’année 2009. Les transactions dans les grandes surfaces au-delà de 350 m² ont été quasiment nulles, tandis que les unités inférieures à 200 m² se sont bien écoulées, mais à un rythme plus lent. La baisse la plus spectaculaire a concerné les ventes aux étrangers, en grande majorité des Arabes du Golfe, avec -20,3 % de transactions sur l’année 2011. La valeur des ventes immobilières a également reculé de 7 % sur cette période. Enfin, les permis de construire ont baissé de 23 % en 2011 par rapport à 2010, alors qu’ils avaient augmenté en moyenne de 16,4 % entre 2005 et 2010, selon le Global Property Guide.
Rien ne semble indiquer que la situation pourrait s’améliorer cette année, et une proposition contenue dans le projet de budget 2012 pourrait même peser négativement sur le marché, même si à ce stade rien n’a été encore tranché. Il s’agirait d’un nouvel impôt foncier sur les plus-values effectuées lors des cessions immobilières. La stagnation qui s’installe ne semble pourtant pas inquiéter outre mesure les principaux acteurs du secteur immobilier. « Tout marché en forte croissance a besoin d’un palier pour se reposer et se fortifier afin d’éviter une chute brutale », affirme Walid Moussa, secrétaire général de la Real Estate Association of Lebanon (REAL). L’essentiel est que la demande soit toujours bien présente », poursuit le promoteur. Les acheteurs potentiels continuent en effet de se renseigner sur les produits sur le marché, mais rechignent à franchir le dernier pas. « Les expatriés, qui étaient le moteur du secteur immobilier ces dernières années, sont des investisseurs rationnels. Ils regardent les prix élevés et sont bien conscients des incertitudes politiques liées à la situation en Syrie. Ils préfèrent encore attendre », soutient Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la banque Byblos.

Des marges de négociations plus importantes ?

Contrairement aux attentes de nombreux acheteurs, les baisses de prix escomptées ne se sont pas généralisées depuis un an et demi, moment où les prix se sont stabilisés. Il est toujours difficile de se faire une idée précise de la réalité, les promoteurs camouflant souvent leurs prix réels, mais les baisses les plus notables – de 15 à 20 % – auraient essentiellement concerné le haut de gamme. Quelques bonnes opportunités se sont aussi présentées en 2011, dans le cas d’investisseurs qui ont raté le coche pendant le pic immobilier et étaient pressés à revendre leurs unités. Dans la plupart des projets, on peut plutôt parler de “réajustement” des prix, ou de marges de négociations plus fortes, mais ne dépassant souvent pas 5 à 10 %, et pour des clients qui peuvent apporter de solides garanties. « Dans le cas où les promoteurs ont vendu 40 % de leurs unités, ils ont déjà couvert tous leurs coûts, et peuvent alors se permettre d’attendre, s’ils n’ont pas d’emprunts à rembourser », note Philippe el-Hajj, directeur général adjoint de la Fransabank. Il n’existe par ailleurs au Liban aucune taxe sur les logements vacants, qui obligerait les promoteurs à vendre leurs produits dans un délai assez court. Les promoteurs disposent aussi toujours de l’option de louer quelques unités en attendant que le marché reparte. Mais il ne faut pas s’y méprendre, si ces derniers font encore de la résistance, ils sont bien obligés de s’adapter à la demande et à ses exigences budgétaires. « La limite des acheteurs était en moyenne de 800 000 dollars pendant les belles années, alors qu’aujourd’hui, les budgets au-delà de 500 000 dollars coincent », explique l’agent immobilier Christian Baz.

Les nouveaux besoins des acheteurs

Les promoteurs ont dû consentir à se contenter de marges plus réalistes. « Ils ont conscience que des profits de 100 à 200 % ne sont plus possibles comme entre 2007 et 2010 », affirme Walid Moussa. Ils ont également commencé à planifier de plus petites surfaces, variant entre 100 et 180 m². Ces produits arrivent au compte-gouttes. Ils sont encore minoritaires sur le marché, qui reste encore dominé par les grandes surfaces de plus de 300 m². Toute la subtilité consiste pour les promoteurs à pouvoir offrir deux à trois chambres à coucher aux familles, dans un espace convenable. Car un 150 m² à la libanaise équivaut environ à un 100 m² à l’européenne, les tailles proposées à la vente incluant les murs, les cloisons, les cages d’escalier, les gaines techniques…
Une autre tendance consiste à construire des appartements avec des surfaces variées – de 100 à 400 m² – afin de viser tous les types de clientèle. « Avec la concurrence qu’il y a sur le marché, les nouveaux projets doivent se démarquer et posséder une forte identité », explique pour sa part le promoteur Bassam Chamoun. Cela passe notamment par un emplacement de qualité, des concepts architecturaux novateurs, intégrant une dimension environnementale (même si cela constitue surtout pour l’instant un slogan marketing).
Les promoteurs s’adaptent aussi progressivement à la demande en acceptant de construire dans des zones moins centrales à Beyrouth, et surtout dans les proches banlieues de la capitale. La tendance, qui s’est développée à partir de 2008-2009, se poursuit, mais sans s’accélérer. Les petites surfaces fonctionnent très bien. « Nous proposons des 145 m² avec des budgets entre 200 000 et 260 000 dollars, un créneau qui est très demandé par les acheteurs », explique Samer el-Hajjar, directeur général de la société immobilière HEC, qui construit dans plusieurs périphéries de Beyrouth. « Je connais plusieurs promoteurs d’Achrafié qui cherchent maintenant des terrains en banlieue », confie l’agent immobilier Christian Baz. Certaines compagnies immobilières comme Zardman ou Sayfco ont déjà choisi cette option. Les prix du foncier à Beyrouth et la pénurie de parcelles libres encouragent de plus en plus à investir en périphérie, même si les profits à réaliser restent encore bien moins importants que dans la capitale.
 

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